Intervention de Joël Bourdin

Délégation pour la planification — Réunion du 8 avril 2009 : 1ère réunion
Coordination des politiques économiques en europe — Examen du rapport d'information

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin, rapporteur :

a d'abord rappelé que la délégation avait adopté en décembre 2007 un rapport sur la coordination des politiques économiques en Europe intitulé : « Le malaise avant la crise ? » et annoncé un second rapport tendant à formuler des propositions concrètes pour dissiper ce malaise.

Ce nouveau rapport, qu'il a établi avec M. Yvon Collin, confirme le diagnostic et propose des voies de résolution des déséquilibres européens alors dénoncés.

Pourquoi s'intéresser à l'Europe alors qu'on affirme si souvent que la crise est d'origine américaine ? Il y a à cela deux réponses : en premier lieu, les déséquilibres majeurs qui ont conduit à la crise sont précisément les déséquilibres dont l'existence en Europe avait été identifiée ; en second lieu, l'Europe représente une puissance économique de premier plan et un ensemble politiquement, économiquement et financièrement intégré de sorte qu'elle a la possibilité d'agir, même seule, et la responsabilité de le faire.

Le rapport comporte quatre chapitres et autant de grandes recommandations :

- le premier chapitre montre comment le système économique européen qui s'est instauré depuis dix ans engendre des déséquilibres sans valeur ajoutée pour l'Europe et insoutenables dans la durée ;

- le deuxième chapitre est consacré au problème du partage des richesses en Europe, qui apparaît central à la fois pour la stabilité du régime de croissance économique et pour la stabilité financière ;

- le troisième chapitre est dédié à cette dernière question à travers une analyse des effets de la surveillance des positions budgétaires des Etats telle qu'elle est conduite dans l'Union européenne ; dans la configuration qui a prévalu jusqu'à présent, et qui ne paraît remise en cause pour le moment que dans certaines de ses caractéristiques, il y a les germes d'une série de déséquilibres graves pour l'Europe ;

- enfin, le dernier chapitre est consacré à un problème essentiel pour l'Europe, celui du niveau d'inégalité et de pauvreté qu'elle entend accepter.

En préambule, il faut rappeler que la coordination des politiques économiques est de longue date reconnue comme un impératif dans une union économique et monétaire. Un économiste canadien, M. Robert Mundell, en a fait la théorie. S'il a pris parti en faveur de l'adoption de l'euro, c'est en assortissant cette prise de position d'une condition essentielle : que les Etats de la zone euro partagent une même façon de voir les problèmes économiques ; en bref, qu'il y ait un consensus entre eux sur les politiques économiques. D'ailleurs, la coordination des politiques économiques est consacrée par les traités européens comme un engagement réciproque des Etats. On peut ajouter, en se référant à la théorie des jeux, que la coordination est indispensable pour optimiser les choix économiques. La théorie des jeux a des prolongements très pratiques : elle explique que, sans coordination, les risques de protectionnisme sont immenses ainsi que ceux de voir les Etats s'engager dans des stratégies « perdants-perdants », autant de problèmes concrets pour l'Europe.

a alors indiqué que le système économique européen est un système sous-optimal et qui recèle des déséquilibres tels qu'il est insoutenable à terme. Deux stratégies économiques sont particulièrement problématiques : les stratégies de désinflation compétitive et les stratégies inflationnistes.

Ni l'une ni l'autre n'assure aux pays qui les choisissent un régime de croissance à la fois forte et équilibrée, et leur confrontation affecte le système européen d'une instabilité économique et financière potentiellement explosive.

De la désinflation compétitive, l'Allemagne a donné ces dernières années l'exemple le plus abouti. La compétitivité de ce pays avait certes été très dégradée par la réunification, mais, ce n'est pas seulement à ce besoin d'ajustement que l'Allemagne a souhaité répondre. En fait, l'Allemagne semble avoir obéi à une analyse d'adaptation à la mondialisation dans la perspective d'un pays vieillissant. Sa stratégie économique vise à surpasser ses concurrents occidentaux par des avantages de compétitivité. Pour ce faire, l'Allemagne a d'abord pleinement inscrit ses processus de production dans la nouvelle division internationale du travail, notamment en délocalisant et en externalisant ses productions à l'étranger dans les pays à bas coûts. Elle a, en outre, décidé de réduire drastiquement ses coûts salariaux relatifs.

D'autres pays, au contraire, se sont montrés insouciants de connaître une inflation supérieure à celle de leurs partenaires et aux 2 % d'inflation définis par la Banque centrale européenne (BCE) comme cible de la stabilité des prix. L'Espagne, la Grèce, le Portugal et l'Irlande entrent dans cette catégorie. Dans ces pays, les salaires nominaux ont augmenté à un rythme très élevé. En contrepartie, les coûts salariaux unitaires ont eux aussi crû sur un rythme rapide car les gains salariaux ont souvent dépassé les gains de productivité.

Cependant, l'importance de l'inflation a rogné les gains de pouvoir d'achat. Dans la plupart de ces pays, on a certes observé une forte croissance économique apparente mais, cette croissance a été assise sur le recours à l'endettement, rendu d'autant plus attrayant que l'inflation réduisait les charges des agents endettés.

Au demeurant, a précisé le rapporteur, c'est de façon générale que l'Europe a connu un essor considérable de l'endettement privé, bien au-delà de ce qu'impliquaient les perspectives de croissance du revenu. Il est facile de crier haro sur la dette aujourd'hui mais il faut être plus nuancé : dans certains pays, l'endettement était au départ particulièrement bas et une partie de la croissance de la dette a témoigné d'une amélioration structurelle du fonctionnement du système bancaire dans des pays enregistrant un retard en ce domaine.

Néanmoins, des excès ont été commis, particulièrement dans certains pays européens.

Il en est résulté, outre un endettement croissant des agents privés, la constitution de bulles et l'excroissance de certains secteurs économiques dans différents pays : la construction en Espagne ; le secteur financier au Royaume-Uni.

Les émergents de l'Europe (Pologne, Hongrie, Pays baltes, République tchèque...), ont été submergés par l'octroi de crédits, souvent en devises, par des banques généralement étrangères.

La croissance de ces pays s'est faite dans la dépendance à l'endettement et aux investisseurs étrangers. Or, comme ils n'appartiennent pas à la zone euro, ces deux éléments posent des problèmes redoutables dans un contexte où leurs déficits commerciaux sont immenses, leurs besoins de capitaux considérables et les bailleurs de fonds de plus en plus rares.

a conclu en soulignant que le système européen est marqué par la confrontation de régimes de croissance divergents et non soutenables. La croissance européenne risque donc d'être à la fois faible et difficilement soutenable.

L'Allemagne, qui est pourtant « tirée » par les autres pays européens, a connu une croissance inférieure à la moyenne de la zone. De leur côté, les pays inflationnistes n'arrivent pas à distribuer du pouvoir d'achat à leurs populations.

La désinflation compétitive freine la croissance des autres pays ; l'inflation augmente les taux d'intérêt pour l'ensemble de la zone y compris les pays vertueux, autrement dit, chacun nuit aux autres sans gains pour personne.

L'explosion des déséquilibres des transactions courantes est d'autant plus redoutable que, sans coordination des politiques économiques, la seule issue est soit de les « laisser filer », avec des incidences insupportables économiquement et financièrement, soit de copier le pays le plus désinflationniste, l'Allemagne, avec pour effet de brider la croissance en Europe.

En bref, il existe au coeur de l'Europe des problèmes exactement identiques à ceux qui existent dans le monde avec les excédents de la Chine et les déficits des États-Unis. Par contraste, la France dispose du régime de croissance le moins porteur de déséquilibres.

Il faut ainsi changer la donne européenne en harmonisant les régimes de croissance des pays de sorte que les pays divergents acceptent d'adopter des stratégies économiques plus soutenables et plus ambitieuses.

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