Intervention de Yvon Collin

Délégation pour la planification — Réunion du 8 avril 2009 : 1ère réunion
Coordination des politiques économiques en europe — Examen du rapport d'information

Photo de Yvon CollinYvon Collin, rapporteur :

a alors souligné qu'un des éléments fondamentaux des équilibres économiques est le partage des richesses, qu'on appréhende usuellement à partir d'un indicateur de partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits. Cet indicateur est très imparfait puisque la valeur ajoutée correspond à la richesse issue de la production alors que la richesse - la création de valeur - comprend également l'ensemble des éléments financiers notamment les plus-values, dont l'importance est grandissante dans l'économie financiarisée et mondialisée d'aujourd'hui.

Même quand on ne tient pas compte des ces éléments financiers, la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée reste forte. Depuis le point haut du milieu des années 70, la chute atteint 12 points de PIB en Europe. Il faut sans doute nuancer ce constat pour tenir compte de certaines évolutions structurelles mais, dans un autre sens, la prise en compte des gains financiers ferait ressortir une baisse encore plus importante.

Dans ce panorama d'ensemble, il faut faire ressortir des éléments de différenciation entre pays, en particulier pour les années correspondant à l'adoption de l'euro. On relève deux situations : dans les pays qui ont fait le choix de la désinflation compétitive, ou, au contraire, dans les pays qui n'ont pas su maîtriser leur inflation, le partage de la valeur ajoutée aux dépens des salariés a été particulièrement net ; dans les pays où ce partage s'est à peu près stabilisé, ce processus a été rendu possible par l'adoption de politiques au terme desquelles les salaires ont évolué parallèlement aux progrès de productivité du travail.

Il existe un lien très étroit entre les modalités du partage de la valeur ajoutée et les déséquilibres économiques et financiers qui prévalent en Europe.

Sur le plan économique, il est généralement admis que le partage de la valeur ajoutée doit être stable dans le temps sauf modifications du régime de croissance. La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée en Europe, et, inversement, la hausse de la part des profits contredisent cette approche théorique.

Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Le rapport avance l'hypothèse que cela a été le résultat combiné de la mondialisation et de la financiarisation des économies européennes. Ces deux processus ont affaibli le pouvoir de négociation des salariés et, plus largement d'ailleurs, des ménages européens. La mondialisation a plus particulièrement touché les non-qualifiés dont précisément les salaires ont le plus baissé relativement. La financiarisation a permis aux détenteurs d'actifs d'élever le niveau de leurs exigences de retour financier. Pour satisfaire ces exigences financières, il a fallu augmenter le rendement économique du capital et donc réduire la part revenant aux salariés, d'autant plus que la croissance réelle était morose. S'est ajouté à ce mécanisme le jeu de l'effet de levier d'endettement qui, à son tour, a entraîné une baisse de la part des salaires dans les richesses créées.

Certains pays, plus « mondialisés » ou plus financiarisés, ont été plus touchés que les autres et, par ailleurs, il faut tenir compte des politiques fiscales et budgétaires, qui ont été différenciées. Ainsi, le Royaume Uni, par une politique budgétaire plus redistributive, a, dans une certaine mesure, limité la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, à un faible niveau relatif il est vrai. Il en a été de même pour la France. Mais, d'autres pays européens ont connu des évolutions plus radicales notamment l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, situation moins acceptable que pour la Grèce ou les petits pays européens en retard de développement, qui avaient besoin d'accumuler des investissements.

a alors abordé la question de la soutenabilité de ces évolutions. Il a indiqué qu'elles ne semblent pas cohérentes avec l'idée que le travail devait être au centre des politiques européennes. Par ailleurs, elles pourraient se comprendre si la croissance avait été plus riche en capital en Europe, ce qui n'a pas été le cas : tant le capital matériel (l'investissement productif) que le capital humain (l'éducation, la formation, la recherche) ont décliné. En fait, à travers l'épargne, ce sont les plus-values financières qui, en lien notamment avec les investissements à l'étranger, de portefeuille ou de prise d'intérêt, ont profité de la hausse de la part des profits en Europe.

Ces évolutions posent un problème pour la croissance économique : comment équilibrer un régime de croissance où la rentabilité du capital est de moins en moins issue de la demande ?

La réponse semble tenir dans la nécessité d'augmenter constamment les excédents extérieurs ou l'endettement afin de dégager de ressources et des plus-values financières, ce qui ramène aux problèmes de soutenabilité posés par de tels enchaînements.

Ainsi, le partage de la valeur ajoutée doit devenir un élément essentiel du nouveau pilotage des politiques économiques en Europe. A défaut, les déséquilibres ne cesseront d'y croître, sans même évoquer l'impossibilité dans laquelle se trouveraient encore durablement les pays européens, dans le régime actuel, d'augmenter leur croissance potentielle, ce qui est, a rappelé le rapporteur, l'objectif principal de la Stratégie de Lisbonne.

a alors observé que, du partage de la valeur ajoutée, dépendait la résolution du problème des inégalités en Europe et notamment de celui de la pauvreté.

Il existe une Europe sociale qui affirme parmi ses valeurs le progrès social, la cohésion sociale, et la justice sociale. Pourtant, l'Europe n'entend pas promouvoir un modèle social spécifique. Le domaine social est par excellence celui de la subsidiarité. L'Europe sociale fonctionne dans le cadre de la méthode ouverte de coordination qui est plus une confrontation de bonnes pratiques, un échange d'expériences, qu'autre chose. Le suivi des progrès réalisés dans ce domaine est, par ailleurs, assuré par un examen régulier d'une série d'indicateurs statistiques parmi lesquels figurent des indicateurs d'inégalités et de pauvreté.

Cette situation n'est pas satisfaisante. L'Europe de la lutte contre la pauvreté ne peut se contenter d'être une Europe des statistiques. En effet, l'Europe n'échappe pas à la montée des inégalités observée dans l'ensemble des pays occidentaux, pas plus qu'à celle de la pauvreté.

Toutefois, tous les pays n'ont pas les mêmes résultats en ce domaine. Les inégalités et la pauvreté ont particulièrement augmenté dans des pays comme l'Allemagne ou l'Italie. Elles sont stabilisées en France et ont été réduites, en partant d'un point haut, au Royaume-Uni.

Les facteurs d'évolution en ce domaine sont multiples mais on peut en retenir trois principaux : les revenus du travail sont de plus en plus inégalitaires ; les revenus financiers sont croissants et partagés très inégalement ; et les effets des systèmes redistributifs s'atténuent.

En bref, les inégalités et la pauvreté sont tributaires des conditions du partage de la valeur ajoutée, de la répartition des revenus salariaux entre les salariés et des systèmes d'intervention publique qui sont en retrait sensible dans certains pays, du fait de la logique du pacte de stabilité et de croissance et des politiques de compétitivité qui y sont pratiquées.

Il est délicat de fixer une norme d'égalité car les objectifs sociaux doivent tenir compte de considérations économiques - la rémunération du travail en fonction de son efficacité ou la prise de risque financier, par exemple - et de considérations d'équité. Mais, on ne peut prétendre poursuivre un objectif de justice sociale et de croissance forte et équilibrée sans agir en ce domaine.

De même, il est contestable de laisser complètement libres les Etats au regard de ces objectifs. Autant il est naturel que chacun agisse selon les moyens qui lui semblent appropriés, autant laisser libres les Etats de poursuivre leurs propres objectifs, revient à les inciter à n'agir que mollement. Car la poursuite d'objectifs de lutte contre les inégalités et la pauvreté a un coût dans une Europe intégrée où les capitaux et les hommes sont libres de se déplacer. Atteindre un niveau donné de réduction des inégalités et de la pauvreté, c'est produire un bien public ; cela demande des moyens et, dans un univers concurrentiel et de liberté des flux internationaux, cela expose à des fuites de capitaux et à des pertes de compétitivité, quels que soient les gains de long terme qu'on puisse en attendre.

A défaut de promouvoir un modèle positif, l'Europe semble avoir tourné le dos au modèle américain, selon lequel 1 % de la population bénéficie de 20 % des richesses créées. Toutefois, si elle ne se donne pas de règles solennelles de lutte contre la pauvreté et les excès d'inégalités, elle se dirigera vers ce modèle avec les conséquences économiques tragiques constatées aujourd'hui et la rigidification sociale qui l'accompagne.

Le rapport propose ainsi que l'Europe se fixe des objectifs précis et « sanctionnables » en la matière, par exemple dans le cadre de « grandes orientations des politiques sociales de l'Union européenne », encore à inventer.

L'Europe doit prendre au sérieux ses valeurs. Et, alors qu'on s'interroge sur le devenir des classes moyennes, il serait regrettable qu'on ne réduise pas cette cause première de leurs difficultés qu'est la concentration des richesses.

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