a rappelé que le rapport de la Cour des comptes est le résultat d'une demande d'enquête commandée il y a dix-huit mois par la commission des affaires sociales. L'étude est présentée en deux parties : d'une part, l'analyse des principales évolutions constatées depuis dix ans, d'autre part, un travail plus approfondi sur la période récente afin de mesurer l'impact de la réforme de 2004 en matière de transferts de charges.
Elle établit trois constats principaux. Le premier souligne la très grande stabilité de la part de l'assurance maladie obligatoire dans le financement des dépenses de santé au cours de la période, soit environ 77 %. En deuxième lieu, cette stabilité générale résulte d'évolutions de sens opposés qui, certes, se neutralisent mais ne doivent pas être masquées : d'un côté, on observe une hausse de la part des dépenses liées à l'hôpital et une augmentation du nombre des prises en charge à 100 %, principalement les affections de longue durée (ALD) ; de l'autre côté, on constate une progression des dépenses moins bien remboursées, en particulier sous l'effet du déremboursement de certains médicaments et en matière de soins optiques et dentaires. Le troisième constat est que la réforme de l'assurance maladie de 2004 n'a pas produit les effets escomptés. Celle-ci avait pour objectif de laisser à la charge des ménages une plus grande partie de leurs dépenses de santé. Dans cet esprit, les contrats responsables ont rendu impossible, pour les assurances complémentaires, le remboursement d'un certain nombre de dépenses prévues pour rester à la charge des assurés. Selon la Cour des comptes, un peu plus de 3 milliards d'euros de dépenses devaient à ce titre être transférés de l'assurance maladie obligatoire vers les ménages. Or, l'examen des comptes nationaux de la santé montre que, sur la période 2004-2006, l'assurance maladie obligatoire a vu ses charges diminuer de seulement 500 millions d'euros avec un transfert quasi intégral vers les assurances complémentaires et pratiquement nul en direction des ménages.
Pour la Cour des comptes, deux séries de raisons expliquent cette évolution. D'une part, la montée en charge des ALD et la croissance du taux de remboursement des médicaments, d'autre part, le délai de mise en oeuvre des contrats responsables. Toutefois, elle interprète aussi et surtout ces résultats comme un échec de la prévision et comme une incapacité à simuler l'impact d'une réforme sur les différents acteurs concernés. La Cour des comptes estime indispensable de dépasser désormais le stade du chiffrage global et volontariste pour parvenir à une évaluation plus affinée des réformes proposées.
D'une manière générale, la Cour des comptes fait preuve d'une grande prudence dans son rapport et multiplie les précautions autour des hypothèses et chiffrages qu'elle retient, en raison des incertitudes liées aux statistiques très partielles et imparfaites qui existent dans ce domaine.
A partir de cette étude, M. Alain Vasselle, rapporteur, a ensuite présenté quatre séries d'observations, rappelant l'importance de la question des transferts de charges pour l'avenir de l'assurance maladie. La première tient au caractère extrêmement préoccupant des carences statistiques qui empêchent le Parlement, comme la Cour des comptes, d'appréhender correctement les évolutions. La présidente de la sixième chambre a fait valoir l'espoir que le nouvel institut des données de la santé, créé par la loi de 2004, permette de progresser. Toutefois, si lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale la commission ne constate pas de progrès effectifs dans la collecte des données et leur traitement en vue de l'évaluation des réformes, il faudra certainement adopter des mesures plus contraignantes. Ainsi, sur la question de l'assurance complémentaire, il apparaît indispensable de connaître le nombre précis des assurés couverts par une assurance complémentaire, leur répartition entre les différentes catégories d'assureurs, le nombre de personnes ayant un contrat individuel, un contrat collectif facultatif ou obligatoire, ainsi que le montant des dépenses remboursées en les ventilant par catégories de ménages. En effet, aucune de ces données n'est actuellement disponible ; seuls existent les résultats de quelques enquêtes et les éléments contenus dans le rapport annuel du fonds couverture maladie universelle-complémentaire (CMU-c). Cette insuffisance de données rend à l'évidence difficile l'appréciation correcte de l'effort des ménages, du montant qu'ils consacrent à leur protection sociale et des restes à charge.
Or, plus de 20 % des dépenses de soins et biens médicaux sont laissés à la charge des patients par la sécurité sociale et les assurances complémentaires financent un peu plus de la moitié de ces sommes. Cela montre à quel point la couverture santé complémentaire, bien que facultative, est un élément clé de l'accès aux soins, notamment pour ce qui est moins bien remboursé par l'assurance maladie obligatoire, à savoir l'optique, le dentaire et les dépassements d'honoraires.
Ce rôle essentiel des assurances complémentaires a d'ailleurs été confirmé tant par la mise en place au 1er janvier 2000 de la CMU-c que par la création d'une aide complémentaire santé à partir de 2005. L'absence de couverture complémentaire étant l'un des premiers facteurs de renoncement aux soins, il est impératif de connaître le détail de l'évolution de la couverture complémentaire de nos concitoyens. D'une manière générale, cela montre l'importance d'accompagner chaque réforme ou projet de loi d'une étude d'impact détaillée et complète afin de mesurer les conséquences des décisions qui peuvent être prises sur l'ensemble des acteurs concernés.
a ensuite insisté sur le constat fait par la Cour des comptes du montant élevé des fonds publics consacré à accroître le taux de couverture de la population par des assurances complémentaires, c'est-à-dire le coût pour la collectivité du transfert de charges de l'assurance maladie obligatoire vers les assurances complémentaires.
La Cour des comptes évalue ce coût à 7,6 milliards d'euros dont, en particulier, 1,7 milliard d'aides en faveur des personnes à bas revenus pour la CMU-c et l'aide complémentaire santé et 5,2 milliards pour les travailleurs indépendants et les salariés à travers les contrats Madelin et les contrats collectifs. Dans son rapport, la Cour des comptes rapproche ce montant du total des prestations versées par les assurances complémentaires santé, soit 21,8 milliards d'euros et en conclut que ces aides représentent un coût de 35 % par rapport aux prestations remboursées, ce coût étant réparti entre l'Etat pour près de 5 milliards, la sécurité sociale pour environ 2 milliards, au titre des exonérations de charges sur les contrats collectifs, et les assureurs complémentaires eux-mêmes pour 650 millions, au titre de leur contribution au fonds CMU. La Cour des comptes relie à cette question l'analyse du montant des frais de gestion des assureurs qui est de 5,4 % pour l'assurance maladie obligatoire et de 25,4 % en moyenne pour les assureurs complémentaires.
Puis M. Alain Vasselle, rapporteur, a exposé la question de la rapide montée en charge des ALD. Dans son rapport, la Cour des comptes rappelle que le stock des ALD a augmenté de plus de 4,3 % par an au cours des dix dernières années, le coût moyen d'une ALD progressant également. Cette question n'est pas neutre pour les finances sociales puisqu'on compte actuellement environ huit millions de personnes en ALD qui mobilisent 60 % des dépenses de l'assurance maladie. Néanmoins, il faut souligner que les patients en ALD ne sont pas exonérés de toute forme de responsabilisation puisqu'ils doivent s'acquitter du forfait de un euro, du forfait journalier hospitalier et respecter les règles du parcours de soins. En outre, pour faire face aux restes à charge qui leur reviennent, nombre d'entre eux bénéficient d'une couverture complémentaire.
Enfin, le rapporteur a développé le sujet de la place des assurances complémentaires dans les réformes à venir de l'assurance maladie, sujet évoqué à plusieurs reprises au cours des derniers mois par le Président de la République et la ministre de la santé. Cette question doit être envisagée en la replaçant dans son contexte. Ainsi, le secteur des assurances complémentaires est en bonne santé avec un chiffre d'affaires global de 27,4 milliards d'euros en 2007, en progression de plus de 5 % par rapport à 2006 et de 55,8 % par rapport à 2001. Au cours des quatre dernières années, la marge bénéficiaire de ces organismes est passée de 12 % à 23 %, soit un montant de 3 milliards à 4 milliards d'euros d'excédents. Or, dans le même temps, les cotisations ont augmenté de 13 % à 14 % plus vite que les prestations. La justification de cette hausse des cotisations par les nouvelles règles européennes en matière de fonds propres liées à l'entrée en vigueur de la directive Solvabilité 2 n'est pas suffisante puisque la plupart des organismes complémentaires sont d'ores et déjà en mesure de faire face à ces exigences. C'est pourquoi, dans un tel contexte, il peut apparaître légitime d'envisager de nouveaux transferts de charges en direction des assureurs complémentaires. Certains sont régulièrement évoqués, comme les soins optiques ou dentaires, ou une modification des règles de prise en charge de certains médicaments, de la kinésithérapie, de l'homéopathie ou des cures thermales. On ne doit pas exclure aussi la possibilité d'accroître la participation de ces organismes aux dépenses hospitalières ni, pourquoi pas, de réfléchir à une réforme du mode de financement du fonds CMU-c. Mais cette question doit être analysée dans sa globalité et ne pourra se faire qu'à deux conditions : d'une part, disposer d'une information fiable, consolidée et partagée, sur la situation des organismes complémentaires, d'autre part, améliorer le taux de couverture de la population par une assurance complémentaire. En effet, selon une récente étude, 7 % à 8 % de nos concitoyens n'ont pas de couverture complémentaire. En tout état de cause, comme le recommande le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie dans un avis récent, il faudra instituer une collaboration plus poussée entre l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et l'union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam) en matière de gestion des risques. Cette question devra également être abordée dans le cadre de la création des futures agences régionales de santé.