Intervention de Jacques Blanc

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2010 : 1ère réunion
Sécurité des approvisionnements stratégiques de la france — Communication

Photo de Jacques BlancJacques Blanc, rapporteur :

J'avais souhaité étudier la question de l'eau et c'est sur votre proposition, Monsieur le Président, que j'ai eu la chance de conduire cette mission sur la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France. J'avoue que j'ai découvert le sujet et ses véritables enjeux, qui sont essentiels. Depuis le premier choc pétrolier, on mesure l'importance des matières premières énergétiques, charbon, hydrocarbures et gaz, on a depuis 1973 pris des mesures pour mieux gérer les stocks et diversifier les approvisionnements. Mais on mesure encore mal combien nous sommes devenus dépendants des matières premières stratégiques minérales que sont le cuivre, le titane ou le diamant et ce que l'on appelle les terres rares, au nombre de 17, ainsi que des matières premières stratégiques végétales comme les céréales et les terres arables.

Ce n'est qu'avec l'expansion économique très rapide de nouveaux acteurs comme la Chine, l'Inde et le Brésil, que les pays du Nord ont réalisé que leur propre accès aux matières stratégiques pouvait devenir problématique, du fait de l'accès des pays émergents aux technologies de transformation primaire des matières premières, mais aussi parce que les nouvelles technologies dépendent de ces matériaux rares, surtout les télécommunications.

Ainsi, les 17 éléments chimiques désignés aujourd'hui sous le terme de « terres rares » ont longtemps été considérés comme des curiosités de laboratoire. Mais leur utilisation récurrente dans des techniques de pointe a démontré leur caractère stratégique et souligné que la seule Chine en produisait, aujourd'hui, 97 % des quantités consommées.

Quelques exemples illustrent leur caractère crucial : les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne, qui confèrent aux armées occidentales un avantage décisif dans les conflits en cours, notamment celui d'Afghanistan.

Quant aux matières stratégiques végétales, les nombreuses initiatives venant de pays très divers par la richesse et la densité de population, pour s'assurer la maîtrise de terres arables, en démontrent l'intérêt.

La très active diplomatie chinoise en Afrique illustre la stratégie très élaborée de ce pays pour sécuriser ses approvisionnements, non seulement alimentaires, mais également énergétiques et miniers.

Des exemples récents soulignent les interrogations d'autres pays sur la pérennité de leur accès aux produits agricoles : ainsi la Corée du Sud ou l'Egypte, qui vient de conclure un accord sur ce point avec le Soudan, s'engagent dans des démarches de location à long terme de terres arables dans des pays où des espaces restent disponibles : Éthiopie, Madagascar...

Face à cette forte concurrence pour l'accès aux matières premières, l'Union européenne a pris conscience de sa vulnérabilité dans ce domaine. Une communication de la Commission européenne au Parlement et au Conseil, en novembre 2008, souligne la nécessité d'une « initiative dans le domaine des matières premières », constatant que la majorité des ressources métalliques utilisées dans l'Union européenne sont importées. Deux groupes d'experts ont été réunis pour établir une liste des ressources stratégiques, et pour élaborer un plan d'action destiné à sécuriser les approvisionnements européens de ces ressources, sachant que l'importance des investissements requis nécessite un délai de dix à vingt ans entre la recension des besoins, et le début de leur satisfaction.

La Finlande et la France ont été les plus actives au sein de l'Union européenne pour amorcer cette réflexion, qui s'appuie sur deux constats : tout d'abord, il est faux de croire que les ressources minérales européennes sont épuisées. En effet, la robotique permet d'exploiter les gisements recensés jusqu'à des profondeurs de 1 500 mètres aujourd'hui, pouvant aller jusqu'à 3 000 mètres dans un avenir proche, alors qu'on se limitait au XXe siècle à 200 mètres.

Ensuite, l'analyse économique récente a développé une hypothèse, fallacieuse, d'un développement économique « dématérialisé », alors que la valeur ajoutée par le secteur des services réclame toujours des matières premières. Les écrans plats des téléviseurs, les trains à grande vitesse, les voitures électriques nécessitent ainsi l'utilisation de métaux rares, de cuivre et de titane. Chaque voiture construite aujourd'hui contient 25 kg de cuivre ; en 2030, les voitures hybrides ou électriques en réclameront le double.

La France, du fait de sa tradition industrielle, a longtemps gardé un intérêt marqué pour les ressources minérales. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a ainsi été chargé d'effectuer, de 1975 à 1992, un inventaire minéral de la France, axé sur le cuivre, le plomb et le zinc.

L'approvisionnement en énergie a également fait l'objet, en 2008, d'un rapport du secrétariat général de la défense nationale (SGDN), qui est classifié, ce qui en empêche la communication. Cet organisme mène actuellement une étude sur les métaux stratégiques, indispensables à l'approvisionnement des secteurs d'activités jugés prioritaires comme l'automobile, l'armement ou les nanotechnologies.

Enfin, le conseil des ministres du 27 avril 2010 a créé une mission de préfiguration d'un futur comité interministériel pour les métaux stratégiques (COMES), confiée à M. Jean Bersani, ingénieur général des mines. Le décret créant ce comité devrait être pris dans les prochaines semaines.

Voici les premiers éléments recueillis lors des cinq auditions auxquelles j'ai procédé, en commençant par un entretien avec M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationales, qui a estimé très opportun que le Parlement se penche sur ce sujet. Les informations recueillies soulignent la grande actualité de cette problématique au sein des pays occidentaux qui ont longtemps été les premiers consommateurs de matières premières, et dont ils ont tenu l'obtention facile et peu coûteuse pour acquise.

La donne a changé, car les ressources mondiales sont limitées et très inégalement réparties, alors que la demande est en forte expansion.

Je me propose donc de poursuivre mon travail d'information et de vous en livrer une conclusion globale à la fin du mois de février 2011.

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