Intervention de Serge Vinçon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2006 : 1ère réunion
Traités et conventions — Diversité des expressions culturelles - examen du rapport

Photo de Serge VinçonSerge Vinçon, président :

a rendu compte de la mission effectuée en Chine, à Pékin et Shanghai, du 19 au 27 mai 2006, par une délégation qu'il présidait, également composée de Mme Hélène Luc, MM. André Boyer, Jean-Guy Branger, Philippe Nogrix et Jean-Pierre Plancade, l'objet spécifique de cette mission étant d'étudier l'impact de l'exceptionnelle croissance chinoise sur les ambitions stratégiques et les outils militaires de ce pays.

La Chine est, à l'heure actuelle, la sixième économie du monde, avec un taux de croissance moyen de près de 10 %. L'objectif de Pékin est de doubler, d'ici à 2020, le produit intérieur brut, qui atteint actuellement 2.000 milliards de dollars. Pour autant, les interlocuteurs de la délégation ont aussi mis en avant les graves disparités sociales qui persistent, singulièrement entre les régions côtières développées de l'est et la majorité du reste du territoire.

a également évoqué les craintes que suscitent, dans certains pays, la progression impressionnante (+ 14,7 %) du budget militaire chinois. Cet accroissement, en termes financiers, combiné à un plan, annoncé en mai 2006 et destiné à doter la Chine de ses propres armes de haute technologie, est ainsi considéré comme éventuellement dangereux par les Etats-Unis.

a ensuite tenté de définir les menaces auxquelles la Chine doit faire face. Celles-ci sont tout d'abord d'ordre géopolitique (20.000 km de frontières continentales, 10.000 km de frontières maritimes). Elles naissent également de la tension des relations avec Taïwan et le Japon. Toutefois, on peut considérer que la véritable fragilité de la Chine provient de cet extrême déséquilibre social et économique dans lequel se situe son développement. Cette situation constitue peut-être le principal défi auquel sera confrontée la Chine du XXIe siècle. Les interlocuteurs chinois ont mis en avant les deux principales priorités de leur pays : la stabilité et la reconnaissance.

La Chine doit impérieusement asseoir son développement sur une croissance économique forte dans un contexte national et international stable. Elle doit également sécuriser et étendre ses accès aux marchés extérieurs et aux sources de matières premières. Une priorité de la diplomatie chinoise est donc de réunir les conditions permettant d'assurer la stabilité de son approvisionnement énergétique et, dans ce cadre, même si des conflits d'intérêts locaux sont envisageables, des oppositions frontales de grande ampleur seraient pénalisantes. Le besoin de stabilité s'exprime également au niveau régional : la Chine entend être perçue, par les pays d'Asie du sud-est, comme une opportunité d'échanges et de développement, et non comme une menace.

La Chine insiste également sur son nécessaire besoin de reconnaissance, par la communauté internationale, de son intégrité nationale et de sa souveraineté. Aussi bien, sans rompre avec la ligne fixée par Deng Xiaoping à la fin des années 80 (« Cacher ses talents en attendant son heure »), ce pays fait-il de plus en plus entendre sa voix pour promouvoir sa vision des relations internationales en faveur d'un ordre multipolaire, fondé sur le strict respect du principe de souveraineté. Ce besoin de reconnaissance comme une puissance internationale à part entière explique également les demandes réitérées de levée de l'embargo européen des armes vers la Chine, qui revêt une forte importance symbolique. La Chine souhaite, par ailleurs, que soient reconnus les modèles qu'elle propose : un capitalisme spécifique conjugué à un modèle politique reposant sur un système centralisé autour d'un parti unique.

a indiqué comment cette analyse de la place de la Chine dans la région et dans le monde se traduisait dans sa politique de défense et sa diplomatie. Le budget de l'armée populaire de libération s'élèverait à 35 milliards de dollars pour 2006, sa progression étant forte et constante depuis plusieurs années. Cette croissance serait essentiellement répartie en une revalorisation des soldes des militaires, dont le niveau est encore très bas et en une modernisation d'un matériel obsolète. Cet ajustement en cours est concentré sur la marine et l'armée de l'air, l'armée populaire de libération étant actuellement peu apte à la projection de forces dans le cadre d'opérations militaires ailleurs que sur ses abords immédiats.

Il a rappelé que, selon les interlocuteurs de la délégation, la doctrine chinoise est, aujourd'hui, celle d'une « politique défensive ». La Chine veut être en état d'intervenir sur des théâtres extérieurs proches pour y défendre ses intérêts nationaux s'ils sont menacés. Puis M. Serge Vinçon, président, a précisé l'état des relations entre la Chine et les principales puissances régionales et mondiales.

Dans le cadre régional, les relations avec le Japon sont centrales. Celles-ci sont « historiquement émotionnelles, politiquement froides, économiquement intenses », selon les chercheurs de l'université de Fudan rencontrés par la délégation, et demeurent marquées par la rivalité. La montée en puissance de la Chine représente une source d'inquiétude majeure pour la population japonaise, tandis qu'inversement Pékin redoute de voir le Japon acquérir une stature diplomatique à la mesure de sa puissance économique. La Chine estime surtout que le regard porté par les responsables japonais actuels sur la période de la guerre n'est pas de nature à permettre un rapprochement politique réel.

S'agissant de la Corée du Nord, la reprise des pourparlers à six bute sur la méfiance réciproque entre Washington et Pyong-Yang. La Chine s'emploie à faire progresser le dialogue, en particulier parce que le rôle stratégique qu'elle y joue lui confère un statut de négociateur international.

Sur Taïwan, la « réunification » n'est pas considérée comme la priorité du moment. En revanche, la Chine ne saurait accepter les velléités sécessionnistes de Taïwan. A ce sujet, elle exprime sa reconnaissance à l'égard des prises de position sans équivoque du président de la République française ; la Chine se félicite du rapprochement opéré avec l'Inde au cours des dernières années. Toutefois, le conflit indo-pakistanais et le « gouvernement tibétain en exil » demeurent deux pommes de discorde.

En Asie centrale, où elle développe sa présence économique, la Chine privilégie le cadre du « groupe de Shanghai » (OCS), qui regroupe également quatre pays d'Asie centrale ainsi que la Russie et la Chine qui peut jouer un rôle essentiel pour contrer les risques d'instabilité régionale redoutée par le gouvernement chinois.

Les Etats-Unis sont et resteront durablement l'un des enjeux majeurs de la diplomatie chinoise, dans la mesure où les relations entre ces deux grands pays intègrent à la fois une solidarité économique, commerciale et même financière, mais aussi des points de divergence forte dans l'approche géopolitique, tant régionale que mondiale.

Concernant le dossier nucléaire iranien : la Chine préconise de ne perdre « ni confiance, ni patience ». Tout en attachant la plus grande importance au maintien de l'efficacité de l'outil international de non-prolifération, elle estime que l'Iran a le droit d'utiliser pacifiquement l'énergie nucléaire, dans le cadre de ses obligations découlant du traité de non-prolifération.

La présence et l'influence grandissante de la Chine en Afrique sont un élément désormais incontournable : les échanges sino-africains ont atteint 40 milliards de dollars en 2005. L'aide au développement est mise en avant par Pékin, qui ne néglige pas pour autant de renforcer ses intérêts économiques et la sécurité de son approvisionnement énergétique.

Avec la Russie, la Chine affiche de réelles convergences de vue sur de nombreux dossiers internationaux, manifestées par une solidarité sur de nombreux sujets en débat au Conseil de sécurité des Nations unies. Le partenariat stratégique russo-chinois s'est intensifié, et se traduit, notamment, par le rythme des rencontres des dirigeants au plus haut niveau de ces deux pays.

Dans sa relation avec l'Union européenne, la Chine s'appuie sur le nouveau document d'orientation de la politique européenne à son égard. Sur les deux problèmes de reconnaissance du statut d'économie de marché et l'embargo, Pékin considère Paris comme « son ami fiable » au sein de l'Union européenne.

a conclu en insistant sur les deux besoins principaux mis en avant par la Chine, le temps et l'espace : le temps, pour évoluer et se réformer progressivement, y compris, ce qui est souhaitable, sur le plan politique ; l'espace, comme élément indispensable à la poursuite de son développement économique, qui constitue le critère prioritaire de sa diplomatie et qui est nécessaire à sa stabilité intérieure et à celle de la région.

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