a estimé, à titre liminaire, que les ruptures stratégiques étaient, par nature, difficilement prévisibles mais qu'il était raisonnable de prévoir que des ruptures se produiraient. Il a considéré que la dissuasion restait un point d'ancrage pour toute politique de défense souveraine.
Evoquant les menaces prévisibles à l'horizon de 20 ou 30 ans, il a considéré que l'on ne disposait pas d'assez d'assurance quant à l'évolution de la Russie pour ne pas considérer l'éventualité qu'elle puisse être un adversaire potentiel à cette échéance. Il a rappelé que, 15 ans après l'effondrement de la dictature nazie, l'Allemagne était en position de devenir un allié démocratique de la France, mais que, 15 ans après la chute du régime soviétique, on ne pouvait tenir, à l'endroit de la Russie, le même type de pari. La Russie est aujourd'hui une puissance amie, mais elle est aussi la puissance nucléaire qui se situe à proximité des frontières de l'Europe.
L'Europe pourrait également, dans certains scénarios, se trouver en opposition stratégique avec la Chine. Si l'on fait preuve d'imagination, il faut aussi prendre en compte un avenir plus ouvert et des menaces majeures différentes de celles de la guerre froide, et s'intéresser à des pays tels que l'Iran, mais aussi dans des scénarios extrêmes à des puissances aujourd'hui amies qui seraient sujettes à un nationalisme exacerbé, telles que l'Inde ou le Japon.
Pour ce qui concerne les menaces régionales, la prolifération nucléaire devrait rester limitée, sauf si l'on considère envisageable un effondrement du traité de non-prolifération (TNP). En revanche, la prolifération balistique progresse, non tant par le nombre des pays dotés de ce type d'armes, mais par l'allongement de la portée de leurs missiles.
La nature des menaces devrait être liée aux stratégies de contrôle de zones régionales, des ressources et des points de passage ainsi que de l'expansionnisme nationaliste, avec des hypothèses de chantage ou d'agression directe.
a considéré que la dissuasion française préservait la liberté d'action de notre pays, tant vis-à-vis d'un adversaire potentiel que d'un allié protecteur, en ce que la défense ultime de la France, en dernier ressort, ne dépend pas d'autrui. Vis-à-vis des puissances adverses, le scénario diffère de celui de la guerre froide, la dissuasion constituant désormais surtout une sorte de contre-dissuasion à l'égard d'Etats souhaitant nous interdire d'intervenir sous mandat ou en vertu d'un accord de défense.
Il a estimé que deux mauvais procès étaient faits à la doctrine nucléaire française, celui de sa fossilisation ou, à l'inverse, de son rapprochement vers une doctrine d'emploi.
a indiqué que les fondamentaux de la doctrine française n'avaient pas changé, mais que les conditions d'application avaient évolué.
Il a souligné qu'en matière de terrorisme, le recours à la dissuasion nucléaire était un scénario extrême qui ne méritait peut-être pas autant de commentaires que ceux suscités par le discours du président de la République, sans être hors de propos. Citant le cas de l'Iran, qui instrumentalise aujourd'hui certains groupes terroristes pour la défense de ses intérêts, il a considéré qu'être doté de l'arme nucléaire pourrait pousser cet Etat à prendre des risques encore plus importants. Le terrorisme d'Etat est donc une hypothèse extrême, mais qui n'est pas dénuée de fondement.
S'interrogeant sur la compatibilité du maintien de la dissuasion nucléaire avec les engagements de la France en matière de désarmement, M. Bruno Tertrais a estimé que la politique nucléaire française était compatible tant avec les engagements souscrits au titre de l'article 6 du TNP qu'avec les garanties négatives de sécurité accordées aux Etats non dotés d'armes nucléaires parties au TNP. Cet engagement à ne pas utiliser l'arme nucléaire contre des pays qui n'en sont pas dotés a en effet été accompagné de réserves.
s'est enfin inscrit en faux contre la thèse selon laquelle la prolifération est encouragée par les puissances nucléaires qui ne montreraient pas suffisamment l'exemple en démantelant leurs arsenaux. Il a rappelé que la période la plus faste, en matière de désarmement nucléaire, de 1987 à 1996, avait coïncidé avec la poursuite, voire l'accélération des programmes nucléaires nord-coréen, indien, irakien, israélien, libyen ou encore pakistanais.