revenant sur la « nomenclature » des risques développés par le général Bentegeat, s'est demandé tout d'abord si la problématique de la gestion des matières premières pourrait constituer un risque de conflit. Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité de distinguer facilement le « chantage » de l'« agression » et à quel moment le chantage pourrait justifier de recourir à l'ultime réponse que constitue l'arme nucléaire.
Revenant sur le risque d'effondrement du traité de non-prolifération (TNP) évoqué par M. Bruno Tertrais, il s'est enquis des modalités d'intervention que pourrait alors utiliser la communauté internationale contre un pays comme l'Iran qui, une fois doté de l'arme nucléaire, aurait pour stratégie d'aider d'autres Etats à s'en doter.
En réponse, le général Henri Bentegeat a apporté les éléments suivants :
- les autres puissances nucléaires font effectivement la même analyse que la France sur les menaces que pourraient représenter certaines puissances régionales, même si les réponses et les stratégies pour y répondre peuvent être divergentes. A cet égard, de nombreux pays, et singulièrement ceux qui ne sont pas dotés de l'arme nucléaire, estiment qu'un système de défense anti-missile balistique est une meilleure parade que l'arme nucléaire elle-même.
Or, non seulement la technique anti-missile n'est pas encore au point, mais, en tout état de cause, même dans l'avenir, son efficacité contre des missiles de croisière ne serait jamais totale. Pour la France, la mise en place d'un système de défense anti-missiles pour assurer la défense du territoire serait extrêmement coûteuse et équivaudrait au coût de la dissuasion nucléaire elle-même. Au surplus, la mise en place d'un bouclier anti-missile américain au profit de pays européens priverait ces derniers de la souveraineté et de l'autonomie de décision qui constitue, pour la France, un principe essentiel. Enfin, l'interception d'un missile chimique ou biologique au-dessus du territoire européen ne serait pas sans risques de retombées sur les populations ;
- la Chine modernise effectivement ses armes nucléaires, mais, compte tenu de leur état d'obsolescence, cette démarche ne constitue pas véritablement une rupture des équilibres existants. L'élément préoccupant réside davantage dans le développement des défenses anti-missiles, notamment par les Etats-Unis, qui incite les responsables chinois à améliorer la performance de leurs missiles intercontinentaux ;
- une doctrine de dissuasion reposant sur la seule capacité d'anéantir la totalité du territoire d'une puissance régionale, en cas de menace ou d'attaque non nucléaire, n'était pas durablement crédible, notamment pour la France. Aussi bien tant le concept que les moyens de la dissuasion française ont-ils évolué afin de menacer, de façon crédible, tel ou tel agresseur de détruire ses centres de pouvoirs sans « vitrifier » l'ensemble du pays ;
- en effet, seules des armes nucléaires miniaturisées permettraient d'atteindre des objectifs très enterrés et très protégés. Cela étant, la majorité des « objectifs », aujourd'hui, dans un conflit, peut être détruite par des bombes conventionnelles de très forte puissance ;
- une « bombe sale » est composée d'un explosif qui disperse de la matière fissile radioactive ; ce type de bombe peut être réalisé sans trop de difficultés et certains groupes terroristes ont tenté de s'en doter ;
- on ne peut imaginer, en effet, un lien automatique entre, d'une part, un conflit sur des ressources énergétiques ou des matières premières et, d'autre part, le recours direct à l'arme nucléaire. En revanche, ces tensions peuvent amener un conflit classique qui, dans certaines régions sensibles, peut dégénérer. Cette escalade peut alors entraîner un chantage à l'agression balistique à l'encontre de pays comme la France.
A cet égard, la détention de l'arme nucléaire par la France lui permet d'effectuer un contre-chantage par la menace de détruire les centres de pouvoir de l'Etat potentiellement agresseur. C'est cette capacité à pouvoir exercer un « contre-chantage », sans pour autant recourir à l'arme nucléaire, qui reste une arme de non-emploi, que permet une dissuasion nucléaire crédible.