Intervention de Bruno Tertrais

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2006 : 1ère réunion
Défense — Dissuasion nucléaire française - table ronde sur la dissuasion nucléaire

Bruno Tertrais :

a apporté les réponses complémentaires suivantes :

- Français et Américains ont en effet très souvent la même évaluation de la menace, même si les conclusions sont parfois différentes. On décèle cependant un certain « catastrophisme » américain, notamment par rapport à la perception du risque terroriste nucléaire, et également sur la « menace » que représente la Chine, en particulier par les conclusions que tire le Pentagone de la modernisation des capacités chinoises ;

- la modernisation des capacités nucléaires chinoises est en effet réelle, mais particulièrement lente. Le développement des armes nucléaires chinoises répond surtout à la volonté de la Chine de ne plus être, comme ce fut le cas dans le passé, dépourvue de capacité de réponse à un « chantage » nucléaire américain à propos de Taïwan ;

- il est possible de ralentir la démarche de l'Iran vers la détention de l'arme nucléaire. A la double condition que la communauté internationale soit en mesure de conjuguer des propositions attractives et des mesures de fermeté et que les responsables iraniens sachent évaluer de façon réaliste le rapport coût/avantage qu'entraînerait la poursuite, par l'Iran, de son ambition nucléaire militaire. Or cette démarche réaliste n'est pas acquise aujourd'hui ;

- les Etats-Unis n'ont réalisé aucune planification d'attaque nucléaire sur des sites sensibles en Iran. Par ailleurs, les installations iraniennes, identifiées par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, ne sont pas enterrées ou protégées à ce point qu'elles justifient le recours à l'arme nucléaire ;

- le terme d'armes « pénétrantes » est plus approprié que celui d'armes « miniaturisées », celles-là ne recouvrant pas celles-ci. Une arme « pénétrante » n'est pas, nécessairement, pour les Etats-Unis, une arme de faible puissance ;

- la véritable question sur les systèmes anti-missiles ne concerne pas tant leur degré d'efficacité que la perception qu'en ont les éventuels adversaires. Même imparfaite, une défense anti-missiles a l'avantage, malgré tout, d'avoir un impact sur le calcul stratégique de l'adversaire potentiel et, de ce fait, de revêtir aussi un caractère dissuasif ;

- la Russie envisage sans doute l'hypothèse, à terme, d'un conflit avec la Chine à 20-25 ans, au cas où l'effondrement démographique de la Sibérie, conjugué au « grignotage » économique de la Chine en Sibérie orientale, puisse provoquer des tensions ;

- la dissuasion n'a pas, en effet, de rôle direct, sur la question des ressources énergétiques ou de matières premières. Mais si un pays accaparait, par exemple, des gisements de ressources en s'appuyant sur sa puissance nucléaire, la détention d'une capacité nucléaire par d'autres pays détenteurs les mettrait en état de répondre à une telle menace ;

- le seul scénario « terroriste » pris en compte par la France est celui du terrorisme d'Etat et, à cet égard, ne diffère pas de l'analyse de toute autre menace, exercée par un Etat, seuls les moyens utilisés divergent, moyens militaires dans un cas, action terroriste de l'autre. Le chantage relève de la démarche politique, et l'agression de l'action militaire. La dissuasion nucléaire met la France en situation de neutraliser un chantage grave sur ses intérêts vitaux ;

- il existe, dans plusieurs pays en développement, une réelle réceptivité au discours iranien présentant l'enrichissement de l'uranium comme un symbole de souveraineté et de capacité à maîtriser des technologies jusqu'alors réservées à des pays riches. A cet égard, la communauté internationale n'est pas parvenue à corriger l'interprétation fallacieuse faite du traité de non-prolifération, selon laquelle celui-ci confèrerait un « droit à l'enrichissement » d'uranium.

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