Intervention de Serge Vinçon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2006 : 1ère réunion
Défense — Dissuasion nucléaire française - table ronde sur la dissuasion nucléaire

Photo de Serge VinçonSerge Vinçon, président :

a abordé la dernière partie du débat portant sur la dissuasion nucléaire française face aux évolutions de l'Europe de la défense et de l'OTAN. Il a souligné l'intérêt de se pencher sur la situation de l'autre puissance nucléaire européenne, le Royaume-Uni, au moment où un débat a été initié sur les perspectives de renouvellement des forces nucléaires britanniques. Il s'est demandé si l'OTAN conservait toujours une doctrine et une politique nucléaires et s'est interrogé sur la perception, par nos partenaires européens, de notre propre force de dissuasion dont le Président de la République a rappelé qu'elle constituait un élément incontournable de la sécurité du continent européen.

Après avoir indiqué qu'il s'exprimait uniquement au titre de son expérience passée sur les questions stratégiques et que son point de vue ne reflétait pas nécessairement celui du gouvernement britannique, Sir Michael Quinlan a tout d'abord effectué une rapide présentation des capacités nucléaires du Royaume-Uni. Celles-ci reposent sur une seule composante constituée de quatre SNLE pouvant emporter 16 missiles balistiques Trident II D5. Chacun de ces missiles est techniquement capable d'emporter jusqu'à 12 têtes nucléaires, mais le Royaume-Uni a déclaré qu'il ne possédait pas plus de 200 têtes nucléaires et que chaque SNLE n'en emporterait pas plus de 48. Le Trident est un missile polyvalent et extrêmement précis offrant une option sous-stratégique, ce qui signifie, même si ce n'est pas officiellement déclaré, que certains missiles emporteraient une seule tête nucléaire et que cette dernière pourrait n'avoir qu'une puissance explosive réduite. Le Royaume-Uni dispose d'un SNLE en permanence à la mer, même s'il n'a pas un degré de préparation équivalent à celui de la guerre froide.

Le Royaume-Uni conçoit et produit lui-même ses SNLE et les têtes nucléaires, bien que pour ces dernières, un dialogue étroit soit établi avec les laboratoires américains. Les missiles balistiques sont achetés auprès des Etats-Unis où s'effectue également leur maintien en condition. La dissuasion nucléaire représente entre 4 et 5 % des dépenses de défense britanniques qui, pour leur part, sont à peu près du même ordre que celles de la France. Les autorités britanniques exercent un contrôle opérationnel plein et entier sur leurs forces nucléaires : ni l'OTAN, auprès de laquelle ces forces sont formellement déclarées, ni les Etats-Unis ne peuvent s'opposer à ce que le Royaume-Uni les mette en oeuvre, si son Premier ministre le décide ainsi, pas plus qu'ils ne peuvent le contraindre à le faire s'il ne le souhaite pas.

Sir Michael Quinlan a considéré qu'en matière de doctrine, il y avait peu de différences essentielles entre les positions britanniques et françaises, même si au cours des dernières années, il a parfois pu apparaître souhaitable, sur le plan politique, de marquer plus les différences que les convergences. De même, les deux pays n'ont pas la même propension à s'exprimer publiquement sur ces questions. Ils considèrent toutefois l'un et l'autre les armes nucléaires comme un instrument de prévention, ce qui suppose qu'elles soient utilisables et crédibles, mais également que l'on se place, sur le plan moral, dans une hypothèse de recours ultime. Les deux pays rejettent toute utilisation de l'arme nucléaire comme arme du champ de bataille. Ils envisagent tous deux des options sous-stratégiques ou pré-stratégiques, ainsi que la possibilité de lancer un avertissement sans équivoque en cas de menace sur leurs intérêts vitaux. Ils refusent de s'engager sur un non-emploi en premier, mais ont accordé des garanties négatives de sécurité aux Etats non dotés d'armes nucléaires parties au TNP. Enfin, dans un monde incertain, la France et le Royaume-Uni considèrent que la dissuasion nucléaire n'est pas orientée vers un adversaire déterminé, mais qu'elle s'exerce vis-à-vis de tout pays potentiellement concerné, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression française, tous azimuts.

Sir Michael Quinlan a ensuite précisé que certains éléments des forces nucléaires britanniques, notamment les sous-marins et les têtes nucléaires, ne pourraient pas être maintenus en service au-delà de 2020-2025. Aussi le gouvernement a-t-il indiqué qu'il serait nécessaire de prendre d'ici 2010 certaines décisions, notamment pour le lancement des principales études de conception. A cet effet, il a lancé un débat public sans pour autant se prononcer lui-même ou fournir des éléments nouveaux quant aux options ouvertes ou aux aspects financiers.

Selon Sir Michael Quinlan, il est probable que l'on s'orientera vers un maintien d'une capacité nucléaire reposant sur des sous-marins et des missiles acquis auprès des Etats-Unis. Le débat portera plutôt sur le format des forces nucléaires, c'est-à-dire sur le nombre de sous-marins et de missiles.

Evoquant l'OTAN, Sir Michael Quinlan a estimé qu'en son sein, et par exemple au Groupe des plans nucléaires, les questions de dissuasion nucléaire donnent lieu à beaucoup moins de débats et d'activités que par le passé. Certes, des études continuent vraisemblablement à être menées, par exemple en relation avec les menaces terroristes, mais il est probable que l'OTAN ne voit pas la nécessité de modifier sa doctrine sur des concepts comme la réponse flexible, le dernier recours ou le refus de s'engager sur le non-emploi en premier. La plupart des pays membres de l'OTAN semblent désormais considérer la stratégie nucléaire de l'OTAN comme un sujet assez théorique et dépourvu d'intérêt immédiat.

En ce qui concerne l'Europe, Sir Michael Quinlan s'est déclaré convaincu que les capacités nucléaires de la France et du Royaume-Uni ne pouvaient pas s'inscrire dans un cadre collectif européen. L'Union européenne n'apparaît pas comme une entité en mesure de s'impliquer sur les décisions touchant à la dissuasion nucléaire. Il s'agit, pour certains pays européens, d'un sujet particulièrement sensible, et l'on voit mal l'intérêt de l'ajouter aux difficultés déjà considérables qui figurent à l'ordre du jour de l'Union européenne. Toutefois, sur le long terme, la pérennisation des capacités nucléaires françaises et britanniques sera certainement un élément à prendre en compte si émerge une volonté de faire de l'Europe un acteur majeur sur la scène internationale.

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