Intervention de Jean-Paul Emorine

Commission des affaires économiques — Réunion du 11 avril 2006 : 1ère réunion

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président :

a tout d'abord présenté le compte rendu de la mission en Chine effectuée en septembre 2005 par une délégation de la commission des affaires économiques qu'il présidait.

Ayant rappelé qu'il avait, très vite après leur retour de Chine, exposé à la commission les principales observations des membres de la délégation, il a indiqué que le rapport analysait, dans une première partie, les caractéristiques du développement économique continu de la Chine constaté depuis la fin des années 1980.

Dans une deuxième partie, a-t-il ajouté, le rapport met en avant le paradoxe politique de la croissance chinoise, axée délibérément sur une économie de marché, alors même que le régime politique fondé sur un parti unique reste totalitaire, ce qui pose la question de son évolution.

Puis il a indiqué que le rapport étudiait les principaux facteurs de vulnérabilité de l'économie chinoise, pour présenter, en guise de conclusion, la relative faiblesse des relations commerciales de la France avec la Chine et faire quelques recommandations pour accompagner les investisseurs français prêts à se tourner vers le marché chinois.

Présentant les principales caractéristiques du réveil de l'économie chinoise, illustré par un taux annuel de croissance de 9,4 % en moyenne depuis 1978, et ce, en dépit de deux « accidents » de parcours -la crise financière asiatique en 1997-1998 et l'épidémie du syndrome respiratoire atypique sévère (SRAS) en 2003-, M. Jean-Paul Emorine, président, a souligné que le PIB chinois progressait encore de 9,9 % en 2005.

Il a indiqué que cette croissance avait été permise par la combinaison d'un taux d'épargne élevé, la réduction de la population employée dans l'agriculture, des réformes pragmatiques et des conditions économiques favorables et qu'elle résultait principalement de l'investissement et des exportations, les 2/3 de la croissance provenant de la formation de capital, à travers l'ajout de capacités de production et le ratio investissement/PIB s'élevant à 41,4 % en 2003. Il a ajouté que des phénomènes de surchauffe ayant été constatés en 2004 dans plusieurs secteurs comme l'énergie et les transports, mais aussi le textile et l'automobile, voire l'immobilier, le Gouvernement avait adopté des mesures de régulation strictes.

Une particularité de la croissance chinoise, a-t-il relevé, réside dans l'importance de l'investissement étranger dès le début de la période, les entreprises à capitaux étrangers réalisant actuellement près de 20 % de la production industrielle et 54 % du commerce extérieur et le flux annuel des investissements directs étrangers (IDE) s'élevant à 60,6 milliards de dollars.

Soulignant que la première vague d'IDE en Chine, avait été essentiellement motivée par les faibles coûts salariaux et concernait l'industrie manufacturière d'assemblage, M. Jean-Paul Emorine, président, a indiqué que les IDE portaient désormais sur les services, les entreprises multinationales cherchant à délocaliser les activités de service pour réduire les coûts liés à des traitements simples d'information, activités sur lesquelles la Chine était en concurrence avec des pays comme l'Inde ou les Philippines et sur des investissements de recherche et développement. Il a relevé que la répartition géographique des IDE restait très déséquilibrée, puisque les provinces côtières absorbaient 88 % du stock des IDE, près de 30 fois plus que dans l'Ouest de la Chine.

Evoquant les chiffres remarquables du commerce extérieur chinois en 2005, qui illustrent la vitalité de la croissance économique, ouverte sur l'extérieur, même si les échanges ont sensiblement ralenti, notamment s'agissant des importations chinoises, il a indiqué que l'excédent commercial de la Chine avait été multiplié par trois en 2005 pour s'établir à 102 milliards de dollars US, ce qui renforçait son rang de 3e puissance commerciale.

Il a jugé également intéressant de présenter les conséquences de la réestimation du PIB chinois effectuée en décembre dernier, sur la base du recensement économique national de 2004, et qui s'explique pour l'essentiel par l'intégration de la valeur ajoutée du secteur des services, plus particulièrement le transport et le stockage, les télécommunications, le commerce de gros et de détail, la restauration et l'immobilier, jusqu'à présent mal pris en compte par l'appareil statistique chinois.

Ainsi, avec un PIB estimé à 1973 milliards de dollars américains, a-t-il précisé, la Chine rejoint presque la France au 5e rang mondial, en réalisant 5 % du PIB de la planète. Il a fait valoir que ces nouveaux chiffres abaissaient de façon mécanique le taux d'investissement et le taux d'ouverture de l'économie chinoise, du fait de la meilleure prise en compte de services peu capitalistiques et non exportateurs, que la croissance économique apparaissait ainsi moins dépendante des marchés extérieurs et plus centrée sur la consommation intérieure, et que le secteur privé était renforcé en représentant désormais 63 % du PIB.

Evoquant ensuite le paradoxe politique de la Chine fondé sur le parti unique, M. Jean-Paul Emorine, président, a fait tout d'abord le point sur l'organisation administrative de la République populaire de Chine, qui s'articule autour de deux axes : la relation Parti/Gouvernement et la relation Centre/Provinces.

L'évolution administrative de la Chine, a-t-il précisé, est caractérisée par un large mouvement de déconcentration depuis une quinzaine d'années, ayant largement favorisé son développement économique, mais qui apparaît aujourd'hui d'une excessive complexité, notamment sur le plan fiscal.

En effet, il a rappelé que l'autonomie des pouvoirs locaux avait été affirmée en 1977 dans le domaine fiscal, avec l'expérimentation, puis la généralisation d'un système de partage des ressources fiscales entre le Gouvernement central et les échelons locaux, mais que, confronté à un déclin de ses recettes et à l'augmentation de son déficit budgétaire, l'Etat avait imposé une réforme en 1994 redéfinissant ce partage entre l'échelon central et les pouvoirs locaux. Ainsi, a-t-il exposé, la TVA est attribuée pour 75 % au Gouvernement central et 25 % aux pouvoirs locaux, les droits de douane et l'impôt sur le bénéfice des entreprises publiques sont versés au Gouvernement central alors que les taxes qui restent au niveau local incluent l'impôt sur les bénéfices commerciaux, les taxes sur le revenu des entreprises publiques relevant des autorités locales et l'impôt sur le revenu.

Il a indiqué que cette réforme s'était traduite par le rééquilibrage de la part du Gouvernement central dans les finances publiques et un durcissement de la contrainte budgétaire pour les pouvoirs locaux, expliquant, en partie, le renforcement de leurs recettes extrabudgétaires et surtout des fonds extrabudgétaires échappant au partage fiscal et à une certaine forme de contrôle de la part du pouvoir central.

Il a ensuite rappelé que le Parti communiste chinois, fort de 60 millions d'adhérents, restait fondé sur le principe du centralisme démocratique et du Parti-Etat, du fait de l'étroite symbiose qu'il entretenait avec l'appareil étatique. A titre d'exemple, il a fait valoir que son secrétaire général était presque automatiquement le Chef de l'Etat et que le comité permanent de l'Assemblée populaire nationale, qui dispose, en réalité, de l'ensemble des pouvoirs de l'Assemblée, était nommé par le comité central du PC chinois. Il est alors manifeste, a-t-il ajouté, que l'impulsion politique reste donnée par le Comité permanent du Bureau Politique du Parti et que la corrélation est étroite entre de nombreux organismes gouvernementaux et des institutions ad hoc du Parti.

Après avoir rappelé qu'il avait incarné historiquement le principal levier de mobilisation du relèvement national et politique puis du développement économique, M. Jean-Paul Emorine, président, a considéré que le parti communiste chinois pourrait désormais représenter un frein pour les étapes ultérieures de ce développement, en raison des multiples accusations de corruption à l'encontre des fonctionnaires et des membres du Parti-Etat qui contribuaient à l'affaiblissement de sa légitimité.

Il a néanmoins souligné que le parti communiste chinois, de lui même, cherchait à résoudre cette crise interne en affirmant vouloir lutter contre la corruption et en donnant leur place, au sein du parti, aux intellectuels et surtout aux entrepreneurs, cherchant ainsi à mieux exprimer les aspirations des classes moyennes à la prospérité et à la modernité. En outre, il a fait valoir que le parti affichait une volonté de rééquilibrer le partage de la croissance économique envers les plus pauvres et les régions déshéritées, à travers un aménagement des réformes, plaidant en 2005 pour une « société harmonieuse » et en présentant en 2006, le 11e plan quinquennal pour 2006-2010 axé sur la lutte contre les inégalités et le développement des campagnes.

Néanmoins, il a reconnu que si une ébauche de démocratie interne semblait devoir s'instaurer à l'intérieur du parti, aucune perspective n'était ouverte s'agissant de l'exercice des libertés politiques en général.

Abordant les facteurs de vulnérabilité de la croissance chinoise regroupés dans le rapport sous six rubriques, M. Jean-Paul Emorine, président, a souhaité insister sur l'aggravation des différences de revenus, les menaces sur l'environnement et l'hypothèque démographique.

Il a tout d'abord indiqué que le revenu disponible par habitant n'avait pas augmenté de la même manière en ville et à la campagne et surtout que le fossé s'était aggravé, puisque entre 1998 et 2004, le revenu annuel moyen par habitant à la campagne n'avait augmenté que de 4,3 %, contre 8,6 % en ville. En 2004, a-t-il ajouté, le revenu net par foyer rural est estimé à 300 euros par an et concernerait 900 millions d'habitants alors que le revenu disponible des foyers urbains est évalué à 1.000 euros par an et que l'on estime que 3 % de la population chinoise dispose encore de moins de 61 euros par an pour survivre.

Il a fait remarquer que les disparités régionales entre les provinces côtières et les régions du Centre et de l'Ouest confirmaient ce diagnostic, et a évoqué, comme facteur d'explication, le cloisonnement administratif entre les provinces, notamment s'agissant des migrations intérieures, qui ont fait l'objet d'un contrôle strict, à travers le système du hukou, le livret d'enregistrement des résidences. Même assoupli, il a relevé que ce système induisait des discriminations fortes à l'encontre des migrants ne bénéficiant pas du statut de résident urbain.

Il a ajouté, en outre, que les régions rurales étaient plus touchées que les milieux urbains, par le désengagement de l'Etat dans la fourniture de soins médicaux, ce désengagement n'ayant pas été compensé par une augmentation des contributions des districts et des bourgs dans les régions pauvres.

Il a considéré que la Chine était également confrontée à une crise profonde de son système des retraites, résultant de la transition d'un régime de répartition au nouveau régime mis en place après 1997, et de l'extension très progressive de ce régime initialement réservé aux employés des secteurs étatiques urbains.

a ensuite souligné que la croissance économique de la Chine faisait peser des risques graves sur son environnement et ses ressources naturelles et il a évoqué un déficit en eau évalué à 30 milliards de m3 dans les zones rurales et 6 milliards de m3 dans les zones urbaines et le fait que 90 % des eaux urbaines sont polluées.

S'agissant de la pollution atmosphérique, il a rappelé que parmi les 20 villes les plus polluées du monde, 16 étaient chinoises, les principales sources de pollution étant l'activité industrielle, le chauffage urbain à partir du charbon et les transports. Après avoir indiqué que la Chine produisait 150 millions de tonnes d'ordures ménagères, dont seulement 54 % étaient traités, et ce, quasi exclusivement par enfouissement, il a relevé que la majorité de ces décharges avaient été construites dans l'urgence et ne faisaient l'objet d'aucun suivi, induisant, de ce fait, de sérieux problèmes de sécurité sanitaire et de pollution.

Il a estimé que le coût économique et social de cette pollution était réel et appelé à croître mécaniquement du fait de la poursuite de la croissance économique. Enfin, a-t-il ajouté, la Chine produit 15 % du total des gaz à effet de serre, se plaçant au second rang mondial mais elle a ratifié le Protocole de Kyoto en 2002, sans souscrire à des objectifs de réduction quantifiés du fait de son statut de pays en voie de développement.

Il a souligné que les instances gouvernementales étaient particulièrement sensibilisées à ces questions environnementales et qu'un cadre institutionnel et législatif avait été mis en place. Il a considéré que la mise en oeuvre de cette réglementation souffrait d'un manque de moyens financiers et se heurtait localement, à des objectifs de maintien d'activités économiques.

Il a également relevé que l'hypothèque démographique pouvait peser sur l'avenir de la croissance chinoise, en raison de l'effondrement du taux de fécondité et du vieillissement rapide de la population, indiquant, à titre d'exemple, qu'à partir de 2015 la croissance de la population des jeunes actifs serait égale à zéro et qu'en 2040, la Chine compterait entre 225 et 260 millions de personnes âgées de plus de 60 ans.

Cette double évolution, a-t-il fait valoir, aura des conséquences difficilement mesurables sur le développement économique, d'autant plus que celui-ci s'est appuyé sur une réserve de main d'oeuvre abondante et à bas coûts. En outre, il est certain que l'augmentation du ratio des personnes âgées aura des conséquences sur les dépenses publiques, tant en matière de dépenses de santé que de financement des retraites et l'importance des montants estimés -entre 60 et 80 % du PIB- pour le déficit implicite du système actuel des retraites constitue une lourde menace pour la cohésion sociale.

Pour conclure, M. Jean-Paul Emorine, président, a évoqué le niveau et la nature des relations commerciales entre la Chine et la France, rappelant que si la Chine n'avait pas besoin de la France pour se développer, la France ne pouvait ignorer le marché chinois. S'agissant de la présence française en Chine, il a jugé indispensable d'encourager les PME françaises à pénétrer sur ce marché complexe et multiple, en s'entourant de beaucoup de précautions. Il s'est inquiété, à ce sujet, de la « relative » frilosité de ses compatriotes concernant le rôle positif de l'économie de marché et des entreprises, à rebours des opinions couramment émises, notamment en Chine, en Inde et autres partenaires commerciaux de la France.

Un large débat s'est alors instauré.

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