Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cette législature, force est de constater, tout d'abord, le bilan tout à fait positif de l'action du Gouvernement et de sa majorité en matière de transport.
Comme ce fut déjà le cas entre 1993 et 1997 avec la création de Réseau ferré de France, RFF, et avec la régionalisation des transports, cette politique a permis de nombreuses avancées parmi lesquelles je citerai la décentralisation de la majeure partie du réseau routier national, le décroisement des financements, le renouvellement du réseau ferroviaire, avec 1, 870 milliard d'euros. Même si certains considèrent que ces avancées sont insuffisantes, l'évolution est positive tant la situation était dégradée.
Il faut, bien sûr, ajouter à ce bilan la réforme du Syndicat des transports d'Île-de-France, attendue depuis des décennies, qui transfère aux élus franciliens l'autorité sur l'organisation des transports.
Il convient de prendre également en compte les résultats obtenus en matière de sécurité routière - plusieurs orateurs en ont d'ailleurs fait état -, succès que personne ne peut contester, épargnant des milliers de vies humaines, alors que la France détenait dans ce domaine l'un des plus sombres records d'Europe.
Le budget de la mission « Transports » pour 2007 s'inscrit parfaitement dans cet effort, car, comme vous l'avez indiqué à plusieurs reprises, la plus grande partie des crédits de votre ministère vise à renforcer la politique d'investissement en faveur des infrastructures.
L'exemple des crédits de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l'AFITF, est tout à fait significatif de cet effort. Sa dotation, qui était de 4 milliards d'euros en 2006, progresse de 15 % en 2007, permettant ainsi d'accélérer des chantiers de construction de grandes infrastructures de transport. Cela ne manquera pas de soutenir la croissance et l'emploi.
Et pourtant, que n'a-t-on entendu - et ce matin encore - lors de la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, privatisation qui constitue une part essentielle de la dotation de l'AFITF ?
Si ce budget est un bon budget, des problèmes demeurent néanmoins. Vous me permettrez d'évoquer plus particulièrement ceux de la région d'Île-de-France, qui connaît des difficultés de circulation et de transport sans précédent.
Cette région, l'une des plus importantes d'Europe, continue d'enregistrer une croissance économique et démographique qui, évidemment, entraîne une forte progression des déplacements. Il ne faut pas être ingénieur des Ponts et Chaussées pour constater que ces 35 millions de déplacements quotidiens se font dans des conditions épouvantables.
Les causes en sont bien connues. Bien sûr, on a trop longtemps urbanisé cette région sans réaliser les équipements de transports correspondant. Ainsi, alors que les déplacements de banlieue à banlieue représentent 70 % du total des déplacements, aucun transport en commun orbital ne relie les banlieues entre elles et, depuis vingt ans, on continue à faire des études, à s'opposer à des tracés, à chercher les financements pendant que les usagers supportent chaque jour des millions d'heures perdues dans les embouteillages.
Mais, d'autres causes sont bien identifiées. Les grands axes de contournement routiers ne sont pas achevés ; je pense, notamment, à l'autoroute A 86 et à la Francilienne. Le nombre de déviations d'agglomération est insuffisant. Dans mon département, le Val-de-Marne, la déviation de la RN 19 à Boissy- Saint-Léger, qui épargnerait des dizaines de morts et de blessés, inscrite au contrat de plan 2000-2006, ne sera sans doute pas terminée, au mieux, avant 2010.
La politique parisienne de bannissement de la voiture, qui amplifie le phénomène de saturation aux abords de la capitale, porte elle aussi sa part de responsabilité.
Depuis cinq ans, on n'a cessé de restreindre les voies de circulation dans Paris, reportant sur d'autres axes pollution et intensité du trafic. Les automobilistes, englués dans des bouchons, continuent de contempler des couloirs de bus quasiment vides, car on n'a pas accompagné ces restrictions d'une forte augmentation de la fréquence des services de la RATP.
La seule réponse de la Mairie de Paris semble être le tramway, qui engloutit des sommes colossales émanant de la région, une fois de plus au bénéfice de Paris, alors que l'urgence se situe bien au-delà du boulevard périphérique extérieur.
Si un Parisien est rarement à plus de trois cents mètres d'une station de métro, en banlieue, un habitant sur deux n'a accès à aucun réseau ferré.
À Paris, 30 % des stations de métro offrent une correspondance contre seulement 2 % en petite couronne.
Le réseau métropolitain est presque exclusivement orienté vers Paris : 20 % des Franciliens transitent par la capitale sans jamais s'y arrêter, ce qui entraîne surcharge des réseaux, perte de temps et manque de compétitivité par rapport à la voiture.
Comment s'étonner, dès lors, que l'utilisation de la voiture individuelle ait progressé de 60 % en trente ans, alors que tant de capitales européennes ont apporté des remèdes efficaces à ce problème ! Des millions d'heures sont perdues dans les embouteillages. Le moindre incident sur le périphérique et c'est la région tout entière qui se paralyse. Et je ne parle pas des jours de grèves !
Permettez-moi de citer un exemple emblématique. Sur le territoire de ma commune, le tronc commun des autoroutes A 4 et A 86, le plus important bouchon routier d'Europe - 260 000 véhicules par jour, dont 25 000 poids lourds, passent à cinquante mètres de la mairie - asphyxie le réseau local de nos communes et fait perdre un temps infini aux usagers comme aux professionnels.
Compte tenu de cette situation, on ne peut que s'inquiéter des projets d'urbanisation du futur SDRIF, qui ont été présentés récemment par le président du conseil régional. En effet, il est prévu la construction de 60 000 logements par an d'ici à 2030, soit l'équivalent d'une ville nouvelle. A l'est, plus de 13 000 hectares de terrains vierges sont appelés à être urbanisés et 14 000 hectares de quartiers existants doivent être densifiés. On « densifiera » aussi le nord de Paris, la Plaine Saint-Denis, Le Bourget, Aulnay et bien d'autres communes de Seine-Saint-Denis.
Ces projets sont certes bienvenus, car ils visent à enrayer la dramatique crise du logement en Île-de-France, mais s'ils se réalisent, à l'horizon de 2015 ou de 2020, il faudra absorber plus de 26 millions de déplacements supplémentaires quotidiens et une forte croissance des liaisons internes à la banlieue.
On aurait pu penser que des mesures d'amélioration du réseau routier accompagneraient ces projets. Pourtant, ce ne sera pas le cas, et nous en avons eu un signe tangible ces jours-ci, puisque le projet de budget de la région d'Île-de-France pour 2007 envisage de réduire de 41 % les crédits dévolus à l'amélioration du réseau routier, à la sécurité routière et à l'absorption des bouchons.
Les « ayatollahs verts » de la région d'Île-de-France ont ainsi fait le choix de l'« anti-automobile ». Mais il s'agit, en réalité, d'une politique profondément inégalitaire, qui pénalisera les cinq millions de Franciliens ne disposant pas de revenus suffisants pour habiter en centre-ville et qui seront encore contraints, demain, de se déplacer chaque jour en voiture, faute de transports en commun.
Quant aux annonces en fanfare d'un énième plan en faveur des transports en commun en banlieue, on ne peut que rester sceptique lorsque l'on observe le rythme des réalisations : voilà vingt-cinq ans que l'on attend deux stations de métro supplémentaires à partir de Créteil.
Et pourtant, mes chers collègues, faire des transports une véritable priorité budgétaire répond à une nécessité économique pour toute l'Île-de-France et, au-delà, pour l'ensemble du pays.
Il est, en effet, incontestable que les difficultés de transport nuisent au développement économique de la région, favorisent les délocalisations des entreprises et engendrent des difficultés sociales, avec les conséquences qui en découlent en termes d'emploi. Des études ont chiffré à 2 milliard d'euros le manque à gagner résultant des conséquences économiques de cette situation, sans compter l'impact environnemental sur la santé des populations.
Désengorger Paris, certes, mais à quel prix ? Les communes riveraines doivent subir quotidiennement le flot des embouteillages, sans être à aucun moment consultées sur les conséquences des décisions autoritaires prises par la capitale. Je citerai l'exemple typique de la suppression du souterrain de la porte de Charenton, qui va totalement bloquer l'accès de Paris en voiture dans le secteur est, afin de permettre le passage du tramway.
Tout cela démontre qu'il est urgent d'engager une vraie politique de développement des transports, en menant une véritable concertation avec toutes les communes concernées.
Quelles priorités doit-on retenir ?
En matière de réseaux routiers, il faut terminer ce qui a été commencé voilà dix, vingt, voire trente ans.
En grande couronne, le réseau routier a encore toute sa pertinence et ce serait nier la réalité des déplacements des Franciliens que de ne pas développer le réseau de transport routier dans des secteurs où se manifeste une véritable pénurie de transports en commun.
C'est bien en ce sens qu'ont été définies les principales orientations et infrastructures que l'État souhaitait voir inscrites au futur SDRIF, au titre du renforcement des transports : grand contournement périphérique reliant l'autoroute A 6 au nord de Roissy, en desservant Melun et Meaux ; bouclage indispensable de la Francilienne à l'ouest -2 000 salariés de l'usine Peugeot de Poissy sont chaque jour englués dans des embouteillages inextricables - ; prolongement des autoroutes A 12 et A 6 jusqu'au boulevard périphérique intérieur ; aménagement de la liaison entre l'autoroute A 14 et le boulevard périphérique ; aménagement de la RN 19 entre l'autoroute A 86 et la Francilienne ; enfin, réalisation d'une liaison digne de ce nom entre le centre de Paris et l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Quand on sait qu'il faut souvent moins de temps pour se rendre au coeur de Paris en venant de Rome, de Madrid, de Londres ou de Berlin que de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, l'un des plus grands aéroports d'Europe, on ne peut que s'inquiéter de l'avenir économique de notre capitale !
Dans le même temps, l'effort doit être maintenu sur l'environnement des infrastructures routières, notamment par l'installation de protections phoniques.
Les priorités, en matière de transports en commun, consistent aussi à dynamiser le réseau existant en améliorant leur fréquence et en modernisant le matériel roulant. Le choix des nouvelles rames des trains de banlieue, bien que tardif, va dans le bons sens.
Il faut également prolonger les lignes afin de desservir plus profondément la banlieue et investir dans de nouveaux moyens afin de créer, en proche couronne, un maillage pour les transports en commun d'une qualité proche de celui de Paris intra muros.
C'est en ce sens, et pour répondre à l'attente de centaines de milliers de Franciliens, que la RATP a présenté le projet de « métrosphérique », soutenu par de très nombreux élus locaux. Avec une prévision de un million de voyageurs chaque jour, il s'agit là d'un projet puissant et structurant, de nature à nous permettre de rattraper le retard des transports collectifs en proche couronne et à offrir une alternative attractive à la voiture, en particulier pour les liaisons entre banlieues.
Le coût de la réalisation de ce projet est, certes, évalué à 3, 6 milliards d'euros pour une ligne de quarante kilomètres, soit 91 millions d'euros par kilomètre - hors matériel. Cette somme peut impressionner, mais permettez-moi de rappeler que Météor a coûté 140 millions d'euros par kilomètre, et que chacun s'accorde à reconnaître aujourd'hui qu'il s'agit là d'un mode de transport performant.
Ce projet est donc ambitieux, mais il n'est pas irréaliste. Sa concrétisation suppose une volonté de parvenir à un rééquilibrage indispensable en matière de financement des transports entre Paris et la banlieue.
On constate aujourd'hui une concentration majeure de crédits sur les infrastructures parisiennes alors qu'il y aurait tout à gagner à consacrer une part importante des investissements sur les infrastructures en petite et grande couronnes.
Le financement de cette rocade pourrait être étalé sur plusieurs contrats de projets et des marges de manoeuvre financières sont envisageables.
Une comparaison avec des villes européennes met en évidence une situation de sous-investissement pour l'Île-de-France qui, sur une période récente, n'a consacré que 0, 46 % de son PIB aux transports collectifs alors que Madrid, Vienne ou Berlin y affectent 1%.
Avec un tel niveau d'investissement, nous mettrions seulement dix ans pour réaliser cette infrastructure au lieu des quinze ou vingt ans qui sont prévus !
Le rôle de la région, nouvelle autorité organisatrice des transports, est prépondérant. Malheureusement, au-delà des grandes déclarations d'intention, les fonds disponibles ne sont pas à la hauteur des enjeux. La région s'éparpille dans des dépenses inutiles alors même que l'augmentation des impôts qu'elle vient de décider devrait permettre aux Franciliens d'attendre une véritable amélioration de leurs conditions de transport.
Il convient donc, monsieur le ministre, que l'État prenne aussi toute sa part de responsabilité. La place très particulière de l'Île-de-France et le rôle de Paris sont autant d'arguments pour que la volonté et les crédits de l'État viennent appuyer les efforts indispensables de la région. C'est donc vers de nouveaux montages qu'il faut s'orienter.
D'abord, nous devons peut-être nous tourner vers l'Europe. Nous nous réjouissons de voir que des réalisations magnifiques comme le viaduc de Millau ont bénéficié du soutien des fonds européens. Des centaines de milliers d'Européens utilisent nos infrastructures routières franciliennes - je pense, notamment, à l'A86 et à la Francilienne. Dès lors, il ne serait pas anormal d'obtenir le concours des fonds européens pour hâter la réalisation de projets nouveaux tels que le grand contournement de l'Île-de-France.
Il faut faire appel, aussi, à de nouveaux partenariats, notamment entre le public et le privé. Ces partenariats public-privé, les PPP, qui ne sont pas la réponse à tous les projets, sont souvent malheureusement décriés en France pour des raisons purement idéologiques. Néanmoins ils sont pratiqués avec succès dans de nombreux pays du monde, car ils permettent un temps de réalisation beaucoup plus rapide.
Des exemples timides commencent à apparaître, comme l'aménagement dans mon département du tronc commun entre l'A4 et l'A86, et je m'en réjouis.
Compte tenu de la situation de nos finances publiques, ce sont là des solutions qu'il convient de développer.
Enfin, je ne suis pas loin de penser, comme Gérard Longuet, qu'une réflexion approfondie doit s'organiser autour des péages urbains de certaines infrastructures routières nouvelles en Île-de-France. L'exemple de l'A14 mérite d'être médité. C'est une réussite dans la mesure où les automobilistes ont le choix entre deux réseaux, celui de l'A13, qui est gratuit, et celui de l'A14, qui est payant et offre un niveau de fluidité bien différent.
Tels sont, monsieur le ministre, les défis que nous devons relever.
Je souhaite que l'État entende cet appel inquiet des Franciliens, et qu'il accompagne mieux encore qu'il ne le fait aujourd'hui les collectivités franciliennes dans leur réalisation d'infrastructures nouvelles, car celles-ci conditionnent, soyons-en sûrs, l'avenir et la qualité de vie dans la région d'Île-de-France.