Intervention de Pierre Lellouche

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 1er mars 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Lellouche secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur :

La mondialisation des relations commerciales, représente 14 000 milliards de dollars, 18 000 milliards en comptant les services. Avec 5 500 milliards de dollars, l'Europe tient le premier rang, suivie de l'Asie, avec 4 500 milliards. La Chine est la première puissance exportatrice mondiale, avec 1 500 milliards, suivie de l'Allemagne, avec 1 150 milliards. La Chine assure aujourd'hui 10 % du commerce mondial, contre moins de 1 % il y a trente ans. Jamais, en temps de paix, a-t-on connu pareil basculement de richesse sur un temps si court, alimenté, il est vrai, par la désindustrialisation des anciennes puissances.

Les exportations françaises représentent 392,5 milliards d'euros, soit environ 500 milliards de dollars. Certes, la France reste le cinquième exportateur mondial et le deuxième en Europe. Son déficit, de 51,4 milliards d'euros, correspond à peu près à sa facture énergétique mais hors énergie, le déficit structurel s'élève à 20 milliards. La progression des exportations françaises en 2010, de 13,5 %, coïncide avec la reprise du commerce mondial après la crise de 2009. Toutefois, l'écart de nos balances commerciales avec l'Allemagne est préoccupant : il frôle les 200 milliards, soit 10 % du PIB ! Nous sommes dans la même zone monétaire, dans la cabine de pilotage du train européen ; un tel différentiel ne peut qu'avoir des conséquences politiques à terme.

Au temps de la guerre froide, le statut d'une puissance se mesurait à l'importance de son arsenal militaire. Aujourd'hui, les parts de marché et les excédents commerciaux l'emportent sur tout autre critère. Si le nouveau traité de désarmement signé à Munich entre les États-Unis et la Russie n'a guère fait parler de lui, c'est que les rapports de force mondiaux se situent ailleurs : dans les excédents chinois et le déficit courant américain. L'indépendance nationale de la France et son rôle dans le monde - c'est un gaulliste qui vous le dit - se jouent sur sa capacité à présenter des comptes en équilibre, préserver son tissu industriel, défendre ses parts de marché et en conquérir de nouvelles dans les pays émergents.

La croissance allemande, de 3,6 %, est due pour 1,1 % à l'export, car l'Allemagne a su arrimer son outil industriel sur la croissance des pays émergents ; a contrario, sur une croissance française de 1,5 %, l'export ne représente que 0,2 %. La zone euro concentre 60 % de nos exportations, contre 40 % pour l'Allemagne. L'essentiel de nos exportations est le fait de grands groupes : nous avons 91 000 PME qui exportent ; l'Allemagne, près de 400 000 ! Et ce nombre - qui a baissé de 16 % ces dix dernières années - passe à 50 000 si l'on ne compte que les entreprises qui exportent régulièrement depuis plus de cinq ans. En outre, nos PME sont plus petites, autour de vingt salariés.

Sur le plan normatif, mon travail est de défendre les intérêts stratégiques de la France auprès du commissaire européen Karel De Gucht, qui est le véritable « trade negociator ». C'est l'Union européenne, souveraine en la matière, qui négocie les accords de libre-échange : cette année, avec l'Inde, Singapour, le Canada, et, difficilement, avec le Mercosur. Ministre des relations européennes, je me suis battu pour faire inscrire dans les textes européens la notion de « réciprocité ». Le Président de la République l'a enfin obtenu en septembre. Il ne s'agit pas là de protectionnisme, comme certains de nos partenaires l'estimaient naguère, mais d'appliquer partout les mêmes règles ! Tel grand pays asiatique construit des autoroutes en Pologne avec l'argent du contribuable européen, mais nous interdit l'accès à son marché, où il affiche la préférence nationale ! Idem en matière de protection intellectuelle : tel pays asiatique acquiert une technologie française, que l'on retrouve vendue par une société d'un nouvel État membre de l'Union - au profit du pays asiatique propriétaire de ladite société ! Cela fait désordre...

Les grands contrats régaliens en matière d'aéronautique, d'énergie ou d'infrastructures sont conclus par le Président de la République et le Premier Ministre. Je viens en relais. Le système fonctionne bien : une progression de 40 % en 2010, 20 milliards de dollars de ventes. Je viens de signer un contrat de 1,6 milliard avec Alstom, la Russie, qui reconditionne son industrie ferroviaire, et le Kazakhstan ; nous vendons des trains au Kazakhstan, demain à l'Azerbaïdjan. J'organise mes voyages en fonction du degré de maturité des contrats.

Dans un environnement hautement concurrentiel, le volet financier est déterminant. Le système d'accompagnement des grands contrats par le Trésor fonctionne, mais il faut maintenir la pression : nos concurrents, qui étaient hier nos clients, proposent des technologies comparables aux nôtres, et mettent le chèque sur la table ! Cette année se tiendra à Paris un séminaire du G20 sur le financement du commerce extérieur. Il nous faut développer de nouvelles modalités de financement pour rester compétitifs. Plus largement, il faut une filière industrielle cohérente, où l'on ne s'entredéchire pas. Trois sociétés françaises sont en compétition pour un contrat de TGV en Floride, dans trois consortiums différents !

Ma troisième priorité est de densifier notre tissu de PME. Avec une progression des exportations de 47 milliards d'euros entre 2009 et 2010, ce sont 120 000 emplois créés ou consolidés en 2011. L'emploi n'étant pas tiré par la consommation intérieure, il faut chercher la croissance ailleurs. L'export, c'est mettre en rapport une forte demande mondiale de produits français et une offre française adaptée.

Je me suis efforcé de mettre en ordre de marche le réseau de conseillers commerciaux des ambassades, la « ligne des avants ». Il faut en faire des démarcheurs, chargés de transmettre la demande du pays et d'accompagner nos entreprises sur place. Je demanderai notamment que l'on fixe des objectifs financiers, et que les évolutions de carrière des conseillers, voire une part variable de leur rémunération, soit fonction de leurs résultats.

Le réseau Ubifrance compte 700 collaborateurs à l'étranger, autant en France. Il est présent dans une quarantaine de pays - soixante à terme - et accompagne environ 20 000 PME à l'export. J'ai demandé que soient fixés des objectifs non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs, prenant en compte le chiffre d'affaire à l'exportation. Dans les pays où Ubifrance n'est pas présent, nous passons des accords avec les chambres de commerce et d'industrie françaises. Je vais demander au Président de la République que les délégations qui l'accompagnent à l'étranger soient composées pour moitié de patrons de PME, et qu'il se rende dans les chambres de commerce lors de ses voyages.

La « ligne arrière », ce sont les PME, qui souvent ne savent pas à qui s'adresser. État, régions, chambres de commerce et d'industrie, ambassades, multiplicité des dispositifs d'accompagnement : faute de pouvoir elles-mêmes démarcher, les PME renoncent à exporter, ou restent dépendantes d'un seul donneur d'ordre. Or, contrairement à leurs homologues allemands, nos grands groupes n'assurent pas le portage de leurs sous-traitants.

La loi donne aux régions un rôle d'impulsion économique. À elles de nous aider à identifier les PME que nous devons accompagner. Jusqu'ici, il n'y avait pas de cartographie de la France qui exporte ; seules les douanes possédaient l'information. À compter de juin, celle-ci sera mise en réseau, afin de faire connaître la demande et notre capacité à y répondre.

Je souhaite mettre en place un système de co-localisation des moyens mis à disposition des PME dans chaque région, sur le modèle du Nord-Pas de Calais, où un même lieu rassemble les services de l'État, de la région, des départements, des chambres consulaires, de la Coface, d'Ubifrance. Après les présidents de chambres consulaires, je vais réunir les présidents de région. Il faut mutualiser les moyens et éviter le saupoudrage.

La gastronomie française a beau avoir obtenu le label de l'Unesco, l'Allemagne fait mieux que nous en matière d'exportation agroalimentaire ! Nous avons donc mis en place une véritable stratégie commerciale, avec un slogan - en anglais, n'en déplaise à certains - pour donner envie de France, d'une France sympathique, qui ne se réduit pas à la gastronomie de luxe. Nous serons présents dans 170 salons internationaux, avec des sites, des films, des animations commerciales pour vendre nos produits. Il serait d'ailleurs souhaitable que nos chaînes de grande distribution à l'international mettent des produits français en rayon !

Après m'être occupé de géopolitique, me voici en première ligne d'une vraie guerre : la guerre économique. Le point commun entre les pays arabes qui se soulèvent, c'est la jeunesse de leur population : leur problème, c'est l'emploi ! Il faut être au rendez-vous de cette histoire-là. Nous avons aussi nos forces : l'agroalimentaire, l'aéronautique, le luxe, les grandes infrastructures. Aucune fatalité de l'histoire ne condamne la France à présenter un déficit commercial structurel, malgré la facture énergétique. Si nous parvenons à densifier notre réseau de PME exportatrices, nous pouvons réduire notre déficit de 20 milliards.

Ma circonscription d'élu parisien compte les Galeries Lafayette et le Printemps, dont la moitié des clients sont Chinois. Ils y achètent la maroquinerie de luxe, fabriquée en France. Les ventes de spiritueux s'envolent en Asie. Mais il y a trente ans, l'industrie du luxe n'existait pas ! Elle a été inventée par des chefs d'entreprise, des créateurs, qui se sont fédérés. Nous avons une place à défendre. L'État, les régions, les partenaires économiques sont capables de faire mieux.

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