Intervention de Philippe Dorge

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 31 mars 2010 : 1ère réunion
Table ronde réunissant les représentants de plusieurs entreprises privées

Philippe Dorge, directeur des relations sociales et du travail à la direction des ressources humaines du groupe PSA-Peugeot Citroën :

a indiqué que la direction générale du groupe a défini quatre objectifs prioritaires : l'efficacité opérationnelle, le « coup d'avance » dans les produits et les services, l'ambition mondiale et l'exigence d'un développement responsable. Ce dernier objectif est lui-même décliné en quatre thématiques, parmi lesquelles figure le bien-être au travail.

La problématique de la souffrance au travail a fait irruption dans le groupe à l'occasion d'une vague de suicides qui a touché l'unité de Mulhouse en 2007. Pour chacun des trois suicides constatés, les facteurs personnels ont bien sûr joué un rôle. Pour autant, PSA a voulu savoir quelle avait été l'incidence des facteurs collectifs dans la survenance de ces drames et comprendre la corrélation entre conditions de travail et suicide. Sur ce point, il importe de distinguer le stress professionnel et le suicide sur le lieu de travail, qui sont deux phénomènes distincts.

Cette série de suicides a permis de sortir du déni qui entourait la question du mal-être du travail et de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention des risques psychosociaux. Le groupe a d'abord adopté des mesures d'urgence, telles la création d'une cellule de veille et d'un numéro vert. Il a ensuite demandé au cabinet Stimulus de réaliser un audit sur les conditions de travail, dans les sites de Mulhouse, Sochaux et Vélizy afin de dresser un état des lieux de la souffrance au travail dans ces unités. A cette occasion, les salariés ont pu répondre, sur la base du volontariat, à un questionnaire qui les interrogeait notamment sur le niveau de stress ressenti et sur les facteurs professionnels pouvant l'expliquer. Puis les partenaires sociaux ont demandé la généralisation de cette expérience à l'ensemble des sites du groupe. En septembre 2009, un accord a été signé entre la direction et cinq organisations syndicales sur l'évaluation et la prévention des risques psychosociaux. Celui-ci retient l'idée que les risques psychosociaux sont considérés comme des risques professionnels au même titre que les accidents du travail ou les maladies professionnelles.

L'évaluation des risques psychosociaux a requis l'élaboration d'une méthodologie commune à l'ensemble des entités du groupe, en concertation avec les partenaires sociaux et les médecins du travail. Le déploiement de cette démarche d'évaluation a notamment permis de réaliser des tableaux de bord faisant apparaître différentes données, comme le nombre mensuel de plaintes et de cas de harcèlement ou le nombre de questionnaires sur le stress au travail remplis par les salariés. En février dernier, si 74% des salariés de PSA estimaient ressentir seulement un peu de stress au travail, 10% déclaraient subir un stress très fort.

Deuxième étape après l'évaluation des risques psychosociaux : l'action de prévention. Celle-ci nécessite d'abord l'identification de facteurs collectifs contribuant à l'émergence de situations de stress au travail, puis la mise en oeuvre de plans d'action, impliquant l'équipe dirigeante. Un autre axe important dans la politique de prévention est le management du personnel. Sur ce sujet, le groupe PSA a élaboré une nouvelle stratégie, le « lean management », qui repose avant tout sur le facteur humain. Elle consiste à déterminer la place de chaque collaborateur dans l'entreprise ; celui-ci est lié par un contrat d'objectifs, déclinaison individuelle du contrat d'objectifs de la direction à laquelle il appartient. L'ambition du groupe est d'intégrer la prévention des risques psychosociaux dans le management des équipes et de faire en sorte qu'une bonne santé mentale au travail contribue à la conduite du changement.

Christian Leroy, directeur du développement humain de Flunch, a rappelé que la restauration est un secteur d'activité, où le facteur humain n'est généralement pas une préoccupation prioritaire. Les conditions de travail y sont souvent éprouvantes. Lors des négociations sur l'aménagement du temps de travail consécutives aux lois Aubry, la question du bien-être au travail n'a pas été évoquée, alors que l'occasion s'y prêtait. Au moment de la mise en place des trente-cinq heures, le groupe Flunch, qui se compose de 250 établissements employant 10 000 salariés, a investi dans un logiciel permettant d'informer à l'avance les salariés de leur planning de travail.

L'un des grands drames de nos sociétés contemporaines est l'excès d'individualisme et la perte de sens du collectif. Ces deux phénomènes affectent évidemment le monde de l'entreprise, où le mal-être ressenti par les salariés est une réalité préoccupante. Il est donc indispensable de reconstruire les collectifs de travail, ce que Flunch tente de faire depuis le début des années 2000.

S'agissant des acteurs de la prévention des risques professionnels, il faut rappeler que les établissements du groupe ne disposent pas de CHSCT. En revanche, il existe dans chacun d'entre eux un comité d'établissement. Les médecins du travail, dès lors qu'ils connaissent bien le groupe, sont de précieux conseillers avec lesquels la collaboration fonctionne bien. Néanmoins, il est regrettable que ceux-ci manquent souvent de temps pour remplir pleinement leur mission au sein de l'entreprise. Les inspecteurs du travail peuvent également s'avérer être de bon conseil dans la prévention des risques professionnels, mais leur formation mérite sans doute d'être améliorée. Enfin, le groupe est lié à la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) par un accord national, lui-même décliné en accords régionaux auxquels les Cram sont partie prenante.

Les obligations juridiques qui pèsent sur les entreprises en matière de santé et de sécurité au travail forment un arsenal suffisant, même si elles ne sont pas forcément bien appliquées. Le document unique « hygiène et sécurité », par exemple, est un bon outil, pour peu qu'il soit élaboré correctement par le comité d'établissement chaque mois.

Comme l'a demandé le ministère du travail, un accord sur le bien-être au travail a été conclu au sein du groupe Flunch. Celui-ci se compose de sept grandes actions :

- l'orientation, qui est une priorité pour le secteur de la restauration, où le turn-over est important. Deux types de mesures ont été prises : en amont, la signature d'un accord national avec Pôle emploi et d'accords régionaux avec ses antennes locales, ainsi que la conclusion d'un accord avec l'éducation nationale, décliné au niveau des rectorats ; en aval, la mise en place d'un entretien professionnel annuel avec chaque salarié ;

- la formation, la devise du groupe étant « tous formés, tous diplômés, tous formateurs ». Une formation à distance a été ouverte, débouchant sur des certificats de qualification professionnelle. Pour recréer du collectif, une démarche d'accompagnement des salariés a été lancée à tous les niveaux (tutorat, monitorat, référents de premier niveau) ;

- l'envie, l'objectif étant d'améliorer l'écoute des salariés. Tous les mois, chacun d'entre eux est incité à dire ce qui lui a fait plaisir ou pas dans son travail, à expliquer les tâches qu'il a réalisées ou pas, à identifier les obstacles qu'il a rencontrés pour parvenir à ses objectifs, à déterminer ses engagements pour les mois suivants ;

- le pilotage des métiers : aujourd'hui, trop de salariés reçoivent des ordres différents, voire contradictoires, de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Pour remédier à ce problème, chaque établissement du groupe a nommé, au sein de l'équipe dirigeante, une personne chargée du suivi du pilotage des ressources humaines ;

- l'évaluation des compétences, qui a lieu tous les ans, à l'occasion d'un entretien personnalisé, au cours duquel le salarié est appelé à prendre la parole en premier, et non pas après son supérieur hiérarchique, ce qui est plus responsabilisant ;

- la rémunération, qui contient une partie variable, fonction du degré de réalisation des tâches confiées à chaque salarié. A la suite de l'évaluation de ses performances, celui-ci reçoit une lettre de mission précisant les objectifs qu'il devra remplir, compte tenu de ceux que l'établissement s'est lui-même fixé ;

- la démocratie sociale, en ayant pour objectif de renforcer la représentativité des partenaires sociaux et de reconstruire les collectifs de travail. Il faut avoir conscience que, dans la restauration, le simple mot de « partenaires sociaux » est perçu négativement. Beaucoup de progrès restent donc à faire pour renforcer leur légitimité et leur place dans les entreprises du secteur.

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