Intervention de Jean Leonetti

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 janvier 2009 : 1ère réunion
Droits des malades et fin de vie — Audition de M. Jean Leonetti député

Jean Leonetti, député :

a regretté que les conditions d'adoption puis d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 aient été affectées par deux affaires médiatiques qui ont été à l'origine de la proposition de loi initiale, puis du rapport d'information qui lui a été demandé et dont il vient de présenter les conclusions. L'établissement de ce rapport a été précédé de nombreuses auditions qui ont développé en lui une culture du doute et mis fin aux quelques certitudes qu'il pouvait avoir en commençant l'évaluation. Il a estimé que ceux qui prétendent savoir, en matière de fin de vie, n'ont rien compris et qu'il faut adopter une démarche d'interrogation sur ce sujet difficile.

L'augmentation du nombre d'années de vie fait que l'on a désormais moins peur de mourir que de souffrir. La souffrance reste le grand scandale de la France et la crainte de mal mourir est la cause première des demandes de mort anticipée. L'agonie est considérée comme une souffrance inutile, pour soi et pour son entourage.

Deux valeurs sont à concilier. La première de ces valeurs est le respect dû à la vie humaine à laquelle rien ne peut, à son sens, être supérieur. Pour autant, le maintien artificiel d'une vie purement biologique pose le problème de l'acharnement thérapeutique.

La seconde valeur se rapporte à l'autonomie de la personne, qu'elle soit appréhendée dans une perspective kantienne et universaliste ou de manière à consacrer la liberté du choix individuel. Il est essentiel de se souvenir que la liberté implique de pouvoir changer d'avis. Or, l'évolution des demandes des malades au moment où ils se trouvent effectivement en fin de vie est très souvent constatée, comme l'ont notamment montré des études anglo-saxonnes analysant la différence entre les avis a priori et en situation. La Fontaine avait déjà souligné ce trait de la nature humaine dans sa fable « La mort et le bûcheron ». La question qui se pose ici est celle de la qualité de vie et de savoir à partir de quand la personne concernée considère qu'elle ne mérite plus d'être vécue.

La loi de 2005 a permis de condamner l'acharnement thérapeutique et d'interrompre un traitement dont le seul objectif est de maintenir en vie. Cette décision se prend de manière collégiale, entre l'équipe médicale, la famille du patient ou une personne de confiance si le malade n'est pas capable de s'exprimer. Les directives anticipées qu'il a pu laisser sont également prises en considération, cette pratique devenant plus fréquente puisqu'il est plus facile aujourd'hui de connaître le pronostic vital rattaché à une maladie. Le médecin doit en tenir compte mais n'a pas de mandat impératif.

La possibilité pour le malade conscient de refuser un traitement ne doit pas pour autant aboutir à un refus de soins : ce n'est pas parce que le traitement destiné à maintenir la vie s'arrête que l'accompagnement doit cesser. La notion du « double effet » des produits destinés à contrôler la douleur n'est pas, comme on l'a parfois dit, une forme d'hypocrisie mais une manière de régler d'abord la question de la souffrance. Il faut d'ailleurs noter que, souvent, mettre fin à la souffrance permet en réalité de prolonger la durée de vie.

La loi de 2005 est apparue à l'époque comme consensuelle, tant du côté du législateur que des médecins, même si certains l'ont considérée comme une étape et d'autres comme un aboutissement. Néanmoins, force est de constater que bon nombre de médecins ignorent encore le contenu de ce texte et estiment que leurs pratiques se situent en dehors du cadre légal alors même que la loi les a consacrées. Il s'est produit un véritable changement dans la culture médicale qui fait que l'on est passé d'une médecine de pouvoir à une médecine de dialogue. La loi de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé avait déjà amorcé cette évolution. Il reste difficile cependant de faire évoluer les moeurs et une peur excessive des poursuites judiciaires paralyse encore les médecins. Paradoxalement, les plus jeunes sont les plus inquiets car le système français de formation produit des techniciens supérieurs de très haut niveau mais qui n'ont jamais été confrontés aux problèmes liés à la fin de vie.

L'affaire Henri Pierra a semblé marquer les lacunes de la loi. A la suite d'une tentative de suicide, ce jeune homme, une fois réanimé, a été atteint d'un syndrome végétatif. Pour mettre fin au traitement qui le maintenait artificiellement en vie, sa famille a demandé l'application de la loi de 2005. Elle s'est heurtée à de multiples obstacles et a dû finalement assister à une agonie particulièrement violente qui a duré une semaine. Dans un cas comme celui-là, l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation aurait dû être accompagné par la pratique d'une sédation terminale car on connaît le niveau de souffrance qui en résulte pour le malade. Le corps médical a pour devoir de garantir à l'entourage que la fin de vie sera sereine et apaisée. Ce point est d'autant plus essentiel que l'on a tendance à sous-estimer la souffrance. Ainsi on a longtemps cru que le nouveau-né ne souffrait pas alors qu'il est aujourd'hui prouvé qu'une forme de souffrance existe.

En réponse au président Nicolas About qui évoquait le cas de la fin de vie des personnes dépendantes, M. Jean Leonetti est convenu que cette question concentre les ambiguïtés liées à la conciliation des valeurs de respect de la vie et d'autonomie des personnes. La vulnérabilité est un problème complexe et il convient de noter que c'est souvent de la famille que vient la demande de mettre fin au traitement.

Sur la question de la dépénalisation de l'euthanasie, M. Jean Leonetti a déclaré qu'il avait un temps envisagé la mise en place d'une exception d'euthanasie fondée sur la possibilité d'augmenter progressivement les doses de sédatif afin, non plus de supprimer la souffrance, mais de mettre fin à l'existence. L'avis du comité national consultatif d'éthique allait en ce sens en demandant que la justice prenne en compte les cas d'euthanasie pour les juger avec l'indulgence requise par les circonstances particulières. Il est d'ailleurs déjà possible de classer sans suite les homicides, ce qui pourrait être la voie choisie dans les cas d'euthanasie. A l'issue des auditions, lui est finalement apparu que l'exception d'euthanasie ne devrait pas prendre une forme législative mais s'inscrire dans l'évolution des moeurs. La Garde des sceaux a indiqué qu'elle enverrait à cette fin une lettre d'information aux Parquets. Il paraît impossible, en effet, d'organiser un comité spécifique qui déciderait a priori s'il est possible de donner la mort ou pas. D'une part, la composition du comité poserait d'importants problèmes de légitimité démocratique, d'autre part, le fait pour le comité de se prononcer, dans certains cas, contre la possibilité d'une euthanasie mènerait à une impasse.

La législation suisse est celle qui présente la plus grande proximité avec la législation française. Comme en France, le suicide ainsi que l'aide au suicide sont licites. Il n'existe d'ailleurs en France que deux exceptions pénalisées : l'incitation au suicide et la manipulation de personnes vulnérables par les mouvements sectaires. En Suisse, toute « démarche non égoïste d'assistance au suicide » est autorisée. Deux associations importantes, Exit et Dignitas, répondent aux demandes de suicide assisté selon des critères qui sont par nature contestables car ils peuvent entrer en conflit avec la volonté libre et autonome de la personne. Le suicide, qui était un droit-liberté, devient en Suisse un droit-créance et s'applique tant à la fin de vie qu'à une vie jugée insupportable. L'association Exit estime que 30 % des personnes qu'elle a assistées dans leur suicide étaient simplement lasses de vivre et ne souffraient d'aucune pathologie mortelle. Il faut aussi conserver à l'esprit qu'une tentative de suicide, même assistée, qui échoue entraîne une réanimation à l'hôpital. Or, on constate que les trois quarts des personnes réanimées ne récidivent pas.

Aux Pays-Bas et en Belgique, l'euthanasie est limitée aux cas de pathologies graves. La Belgique, cependant, a associé à ces pathologies les pathologies mentales, ce qui a fait augmenter le nombre de suicides assistés. Cette solution pose aussi un problème puisque peuvent aujourd'hui être accompagnées dans le suicide les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer dont le pronostic vital est faible à court terme. Or, il faut aussi pouvoir intégrer dans le raisonnement les progrès de la recherche médicale : dans le cas du Sida, l'espérance de vie était certes faible dans les premiers temps après la découverte de la maladie mais elle atteint aujourd'hui vingt à trente ans avec les traitements de trithérapie. On ne peut donc connaître exactement les perspectives liées à la durée de vie et à sa qualité une fois pour toutes quand une maladie est diagnostiquée. Certaines pathologies deviennent heureusement améliorables puis guérissables.

En conclusion, M. Jean Leonetti a indiqué partager l'avis de M. Robert Badinter sur le fait que l'exception de l'euthanasie existe en réalité déjà en droit français et qu'il appartient au magistrat de l'appliquer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion