Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Examen des principaux éléments de l'équilibre

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure générale :

C'est dans un contexte de crise de la zone euro, avec pour épicentre la Grèce, le Portugal et l'Irlande, que nous entamons l'examen du projet de loi de finances pour 2012. L'objectif pour l'Europe, est, dans l'immédiat, d'empêcher la contagion à l'Italie et à l'Espagne. La proposition française de transformer le Fonds européen de stabilité financière en une banque adossée à la BCE n'a, hélas !, pas prévalu lors du sommet de la semaine dernière, alors que cette solution aurait contribué à calmer beaucoup plus durablement les investisseurs. On sait que la capacité effective de prêt du FESF, doté de 440 milliards, n'est plus, compte tenu de ce qui a déjà été tiré, que de l'ordre de 250 milliards, alors qu'au moins 2000 milliards seraient nécessaires, ainsi que beaucoup en conviennent, pour contenir les risques. En lieu et place, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont accordés sur la notion d'un « effet de levier », subtile s'il en est puisqu'il s'agit en somme d'une façon de masquer le manque d'argent, notamment en faisant du Fonds un assureur. Quel paradoxe que de voir ainsi recycler, au profit du financement des Etats, ce système dit « monoline » de rehaussement de crédit, qui consiste à garantir des titres émis par des tiers afin de leur permettre d'emprunter à meilleur coût, sachant que c'est ce système même qui a contribué au déclenchement de la crise de 2008... Le rebond des marchés qui a suivi le sommet a été fugace, et l'on était déjà revenu en eaux basses dès avant l'annonce de M. Papandréou.

L'accord du 26 octobre prévoit aussi la création de véhicules ad hoc par lesquels s'achèteront les titres, sûrs et moins sûrs. Pour financer ces achats, des obligations adossées à des actifs, en partie risqués, devront être souscrites par exemple par le FMI, les fonds souverains, voire la Chine... Comme pour les subprimes, la question de l'évaluation des risques sera, on l'a bien compris, cruciale.

S'ajoutent à cela des mesures complémentaires. La conditionnalité, tout d'abord ; l'exception grecque, seul Etat dont le défaut est accepté - à quelle hauteur, cependant, on ne le sait plus trop aujourd'hui... La recapitalisation des banques, ensuite, avec ses contraintes corollaires en matière de versement de dividendes et de bonus - dans l'esprit de celles que nous avons introduites dans la loi de finances rectificative -, contraintes sur lesquelles le Président de la République a insisté dans son intervention, moyennant quoi le président de la Fédération française des banques a assuré que les établissements se montreraient raisonnables - nous verrons. L'engagement des Etats, également, de se doter de règles d'équilibre d'une portée normative forte, latitude leur étant toutefois laissée de leur conférer ou non valeur constitutionnelle ; celui de construire les budgets nationaux sur des hypothèses de croissance indépendantes - ce qui rejoint la position constante de notre commission. L'examen préalable des budgets des Etats en situation de déficit excessif. Une remarque complémentaire : la Cour constitutionnelle allemande vient d'être saisie par des députés du SPD contestant la solution consistant à prévoir que le suivi du fonctionnement du FESF serait assuré, non par l'ensemble du Bundestag, mais par une commission du budget resserrée. Connaissant la rigueur de la Cour de Karlsruhe, on peut imaginer qu'elle suive les requérants. Les décisions du Fonds continueront, par ailleurs, d'être prises à l'unanimité, ce qui n'est peut être pas la meilleure solution...

S'agissant de notre hypothèse de croissance pour 2012, dont le Président de la République vient enfin de reconnaître, la semaine dernière, qu'elle était, à 1,75 %, dépassée, quatre scenarios peuvent être imaginés, dont les deux premiers, respectivement à 1,7 % et 1,4 % de croissance en 2011, puis 1,4 % et 0,9 % en 2012, relativement neutres, pourraient aboutir au 1 % annoncé par le Président de la République, tandis que les deux autres, plus sombres, sont fondés sur des hypothèses de croissance de 1,4 % et 1,5 % respectivement, en 2011, puis une récession de 0,1 % dans le premier cas, ou une croissance zéro dans l'autre, et aboutissent à une hypothèse de croissance proche de zéro.

Autant de cas de figure qui ne portent pas à l'optimisme, en particulier quant au respect de la trajectoire 2012-2017 du solde public français, qui se donne pour objectif un déficit ramené, en 2013, à 3 % du PIB, avec un pallier à 4,5 % en 2012. En incluant les 6 à 8 milliards d'efforts supplémentaires annoncés pour tenir l'objectif 2012, les variantes que l'on peut introduire, en combinant les différentes hypothèses de croissance que j'ai tout à l'heure mentionnées, 1,5 % en 2011, 0 % ou 1 % en 2012 et 2 % ensuite - lesquelles déterminent une moindre élasticité des recettes - à une évolution des dépenses publiques de 1 % en volume à partir de 2012 au lieu des 0,6 % retenus par le Gouvernement, nous font toutes dévier de la trajectoire. C'est ainsi qu'une croissance de 1 % au lieu de 1,75 % en 2012 réduirait mécaniquement les recettes de 7,5 milliards mais aurait, si l'on tient compte en particulier de la moindre élasticité des recettes, un impact de 15 milliards. Et si l'on considère que le scénario 2011 lui-même est déjà trop optimiste, l'impact serait de 17,5 milliards. C'est dire combien l'effort à fournir pourrait être sous-estimé.

Pour autant, mener de front, dans tous les pays de la zone euro, des politiques identiques de réduction du déficit, sans mesures de relance, ferait courir un risque aigu à la croissance. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait, en octobre 2011, que les politiques restrictives réduiront en France la croissance pour 2012 de 1 point d'effet direct et 0,7 point d'effet indirect, ramenant la croissance à 0,8 % au lieu de 2,4 %. Si on retient une hypothèse de multiplicateur budgétaire de 1,5 au niveau de l'ensemble de la zone euro - autrement dit, pour un euro de réduction du déficit, la réduction du PIB serait de 1,5 euro - des politiques restrictives conjointes pourraient rendre impossible une réduction rapide du déficit.

Quelle trajectoire, dans ce contexte, pour la prochaine législature ? L'objectif de ramener le déficit public à 3 points du PIB en 2013 est partagé, on le sait, par les deux principaux candidats à la présidence de la République. Si l'on traduit, afin de le rendre plus parlant, ce pourcentage en milliards d'euros, on constate qu'il faudrait, pour passer à l'équilibre en 2017, un effort de 100 milliards d'euros, soit 20 milliards chaque année. Si l'on part, par convention, de l'hypothèse d'une croissance à son potentiel de 2 % et d'une croissance en volume des dépenses, non pas de 0,6 % - bien improbable - mais de 1 % par an, la contribution des dépenses à la réduction du déficit serait alors d'un demi point de PIB par an, soit 50 milliards sur la période : la contribution des recettes devrait donc être de 50 milliards. Si de tels ajustements budgétaires étaient menés dans l'ensemble des pays de la zone, la croissance en serait considérablement affectée. On voit par là l'importance de la coordination des politiques économiques, sans laquelle le malade n'en viendrait qu'à mourir guéri...

Le plus gros de l'effort devra être réalisé entre 2012, année électorale, et 2013. Le cap est dangereux. La Commission européenne, dans ses prévisions quant au solde public des Etats, place la France en bien mauvaise position, juste après la Grèce, l'Irlande et l'Espagne. Notre trajectoire supposerait de réduire en une année le déficit de 1,5 points de PIB, effort dont on ne trouve pas de précédent depuis au moins 1960...

J'en viens aux grands équilibres du projet de loi de finances pour 2012, dont chacun aura compris qu'ils sont d'ores et déjà caducs. Le texte n'améliore que marginalement les recettes, de 500 millions, le projet de loi de finances rectificative de septembre et certaines dispositions antérieures ayant déjà prévu l'essentiel des mesures procurant du rendement en 2012.

En matière de dépenses, le poids de la dette est marquant. La norme de dépense, régie par le double cliquet de la stabilisation en valeur hors charge de la dette et des pensions et de la stabilisation en volume de l'ensemble, est respectée. On assiste même à une baisse en volume des dépenses normées. On sait que le Gouvernement a voulu, à l'Assemblée nationale, une réduction supplémentaire des dépenses de 1 milliard, tandis que les mesures complémentaires annoncées par le Président de la République seront votées d'ici la fin de l'année.

On observe, en revanche, un fort dynamisme de la charge de la dette et des pensions : 7,4 % et 5,17 %, respectivement, en valeur ; 5,7 % et 3,47 % en volume. Dans la logique actuelle, il faudra peut-être un jour réduire encore les dépenses pour contenir la progression de ces deux postes incompressibles, si l'on veut continuer à assurer le respect de la norme en volume.

Car la charge de la dette ne saurait faire l'objet d'économies. La France a une signature. Pour la conserver, elle doit l'honorer. C'est dire combien il est important d'enrayer l'augmentation du taux de l'endettement public. Plus la charge de la dette s'alourdit, plus se réduisent les marges de manoeuvre : on utilise le produit des impôts pour payer la dette plutôt que pour financer des dépenses actives. La dette est l'ennemi du pauvre.

En matière de dépenses de fonctionnement, le Gouvernement ne tient pas ses engagements. Il maîtrise mieux les interventions de guichet que celles discrétionnaires. Il prévoit de réduire son intervention dans le domaine de l'emploi : 130 millions en moins sur les contrats aidés. Compte tenu de l'augmentation du chômage, on peut douter que cet objectif soit tenu. Voilà qui donne la mesure de la fantaisie de ces prévisions et en dit long sur la sensibilité sociale de ce gouvernement...

Les dispositions relatives à la fonction publique traduisent le bilan de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : 9 % d'ETPT supprimés dans la fonction publique d'Etat depuis 2003. Mme Pécresse a couru les plateaux pour vanter une baisse de la masse salariale inédite depuis 1945. Mais quelle est la réalité ? Les économies résultent bien davantage du gel du point d'indice que du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants en retraite. Des 969 millions d'euros d'économies liées aux suppressions d'emplois, il convient de déduire 526 millions de mesures catégorielles en retour : le solde n'est donc que de 443 millions d'euros. La baisse de la masse salariale n'aurait, autrement dit, pas été possible sans gel du point d'indice, sachant qu'une réévaluation de 1 % représente 880 millions, soit un impact comparable à celui des suppressions d'emploi. Voilà qui relativise les effets de la RGPP, qui, avec sa règle du un sur deux, a entraîné, en revanche, une déstructuration sans précédent des services publics, pour des économies budgétaires, comme on le voit, limitées.

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