Intervention de Jean-Paul Bailly

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 21 décembre 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Paul Bailly candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de la poste

Jean-Paul Bailly, président de La Poste :

Vous connaissez bien La Poste et vous me connaissez aussi puisque je suis venu devant votre commission le 7 octobre 2009 à l'occasion de la loi postale, puis le 30 mars 2010 à l'occasion de mon renouvellement dans le cadre du changement de statut de La Poste, que je dirige depuis septembre 2002. Durant ces huit années, cette entreprise a beaucoup évolué ; elle s'est préparée aux enjeux de demain et elle a établi le socle qui lui permettra de réussir dans les années à venir.

Un mot sur l'environnement de La Poste : depuis une dizaine d'années, cette entreprise a anticipé des défis sans précédent, avec l'ouverture totale du marché postal au 1er janvier 2011. Dans dix jours, il n'y aura plus un euro de chiffre d'affaires de La Poste qui ne sera pas en concurrence. C'est déjà vrai depuis longtemps pour l'activité colis, c'est le cas pour les livrets A depuis 2009, et ça le sera dès le 1er janvier pour le courrier. La concurrence, cela veut dire que c'est le client qui choisit. Nous devons donc tout particulièrement travailler sur la qualité, la fiabilité, la rapidité et la réactivité des différents services que nous offrons, tout en contenant les prix. Les tarifs doivent donc être accessibles et les charges maîtrisées.

Souvent on s'interroge sur les changements que va apporter l'ouverture à la concurrence. Le 1er janvier, nous n'allons pas voir émerger subitement d'importants concurrents. En revanche, l'état d'esprit va changer et, comme dans d'autres pays, la concurrence va se développer sous forme de nombreuses petites entreprises qui vont s'installer dans des niches et offriront peut être des services plus innovants ou moins chers. Nous devons donc nous y préparer en travaillant sur la qualité et les tarifs.

La concurrence, c'est aussi l'ouverture au marché européen : des opportunités vont donc s'offrir dans d'autres pays.

Deuxième défi : la société numérique est une réalité, et je ne parle même pas de la concurrence d'Internet, car ce serait réducteur. Nous devons nous adapter à un monde nouveau, d'autant plus que la crise a accéléré cette mutation, les entreprises ayant cherché à réduire leurs coûts en accélérant les dématérialisations. Pour nous, c'est un défi, en raison surtout de la baisse des volumes de courrier. Ces derniers ont diminué légèrement jusqu'en 2007, puis de façon plus rapide ensuite : - 3 % en 2008, - 5,5 % en 2009 et - 3,5 à - 4 % en 2010. De 2008 à 2010, les volumes auront baissé de 12 %. Entre 2009 et 2015, nous attendons une diminution de l'ordre de 30 %, soit la moyenne des projections européennes.

La société numérique offre aussi toute une série d'opportunités, dont le développent de l'e-commerce et de l'activité colis. Nous devrons donc tenir compte de la diminution des volumes, mais aussi de la mutation des usages et des technologies. L'adaptation et l'innovation seront donc nécessaires.

En troisième lieu, La Poste doit intégrer les préoccupations environnementales de nos concitoyens, notamment en ce qui concerne le transport, l'immobilier et le papier. Nous devons aussi faire porter notre effort sur la qualité de vie, la santé au travail, l'égalité des chances, le respect, la considération et le dialogue.

Face à ces diverses évolutions, La Poste s'est préparée de longue date avec l'État et avec les élus nationaux et locaux, à travers plusieurs étapes qui ont permis de construire ce socle. D'abord, la mise en place d'une organisation efficace par métier, à la fois décentralisée et responsabilisée. Nous avons réglé la question du financement des retraites des fonctionnaires. Nous avons créé la Banque postale, élargi de la gamme de ses produits et amélioré son coefficient d'exploitation. Nous avons procédé à de très lourds investissements - plus de 3 milliards d'euros - dans le domaine du courrier : courant 2011, La Poste disposera de l'outil logistique le plus moderne dans ce domaine en Europe, ce qui est essentiel pour réduire les coûts, mais aussi pour assurer la qualité et l'innovation du service.

Nous avons délibérément choisi un mode de fonctionnement européen pour l'express et le colis. D'ailleurs, le colis est le secteur du marché qui se développe le plus et La Poste a désormais une position de leader en Europe, devant les Allemands.

Nous avons répondu au défi de la présence territoriale. Je ne reviens pas sur toutes les concertations qui ont eu lieu, ni sur les solutions auxquelles nous sommes parvenus grâce aux partenariats noués entre La Poste et les communes ou les commerçants. Les habitants et les maires sont satisfaits de ces évolutions. Pour mémoire, nous signerons début 2011 un contrat tripartite entre l'État, l'Association des maires de France (AMF) et La Poste.

Nous avons amélioré les délais d'attente dans les bureaux postaux et la qualité de l'accueil dans les 1 000 plus grands bureaux de poste. Avant la mi-2012, ce sera le cas pour les 2 000 plus grands bureaux. Les taux de satisfaction des clients et des postiers sont impressionnants.

Enfin, nous avons besoin de ressources nouvelles pour nos ambitions de demain, tout en évitant l'endettement. C'est la raison fondamentale du changement de statut et de l'augmentation de capital.

Toutes ces évolutions ont été mises en oeuvre en respectant notre modèle social. Aucun plan social, sous quelque que nom que ce soit, n'a été envisagé. En revanche, les départs ne sont que partiellement remplacés. Nous sommes très attentifs à la qualité contractuelle des emplois : le contrat à durée indéterminé (CDI) à plein temps est notre modèle, les contrats à durée déterminée (CDD) et les temps partiels imposés ont considérablement diminué. Les compétences ont été développées avec des promotions importantes, de l'ordre de 10 % des postiers chaque année. Nous avons prévu l'accompagnement du personnel lors des changements d'organisation et nous avons amélioré la qualité des lieux de travail, l'égalité des chances et le partage des fruits de la réussite avec la mise en place, depuis deux ans, d'un intéressement. Tout cela s'est fait tandis que nous améliorions les performances, qu'il s'agisse de la rapidité du courrier, des colis ou de l'attente divisée par deux dans les bureaux de poste. Même pendant la crise, les résultats d'exploitation se sont améliorés. Notre capacité d'autofinancement et les programmes d'investissement sont restés compris entre 1 et 1,2 milliard d'euros.

Durant toute cette période, nous avons donc construit un groupe multi-métiers robuste. Aujourd'hui, sa force repose sur ses trois métiers (courrier, colis-express, banque), même si le courrier traverse une phase plus difficile que les deux autres.

Tout ce travail constitue un socle solide sur lequel des ambitions peuvent se développer, d'où le plan stratégique pour 2015. Il fallait une vision, celle d'un groupe européen leader dans les services de proximité fondés sur les savoir-faire postaux et qui font de la qualité de la relation de service et de la confiance des valeurs clés. Tous ces mots sont importants : un groupe, cela veut dire que l'un des enjeux essentiels demeure l'unité. Européen, c'est parce que le champ naturel de La Poste est l'Europe. Quand on dit « service de proximité », c'est que l'on se veut un groupe de services, contrairement à d'autres entreprises qui ont fait des choix différents, comme les Allemands qui ont décidé de devenir un groupe de logistique. Les savoir-faire postaux, cela signifie que nous n'allons pas faire des choses radicalement différentes de ce que nous faisions jusqu'à présent, avec les valeurs fondamentales que sont la qualité de la relation de service et la confiance.

Nous voulons aussi que ce service public soit moderne, c'est-à-dire qu'il soit en phase avec son temps et qu'il réponde aux attentes de nos concitoyens. Or, ces derniers attendent de la qualité et une relation de service qui garantisse accueil, prise en charge, rapidité, sécurité et fiabilité. Ils veulent avoir vraiment le choix et leur intérêt passe en premier. Ils attendent enfin des services accessibles, tant sur le plan géographique que tarifaire, et des amplitudes horaires d'ouverture satisfaisantes.

Nous avons défini cinq priorités et deux fils rouges.

Tout d'abord, nous voulons assurer la parfaite exécution des quatre missions de service public, que sont le service universel du courrier, la présence territoriale, l'accessibilité bancaire et la distribution de la presse. Ces quatre missions, qui sont la raison d'être et la fierté des postiers, sont parfaitement définies dans un cahier des charges, qu'il s'agisse de la loi ou des différents contrats que nous avons signés : contrat de service public, contrat de présence territoriale et contrat presse-État-Poste. S'agissant de la présence territoriale, nous avons progressé dans les financements. Le contrat sur la présence territoriale, qui sera signé en début d'année prochaine, prévoit une amélioration du financement et un élargissement de sa zone d'action : jusqu'à présent limité aux zones rurales et de montagne, il va être élargi aux zones urbaines sensibles (ZUS) et aux départements d'outre-mer (DOM). En outre, seront confirmés le nombre de points de présence postale par département et le fait que l'accord des maires est indispensable pour créer un point partenarial. L'évolution des horaires ne pourra avoir lieu qu'après un diagnostic partagé. Enfin, le rôle des commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT) sera élargi puisqu'elles disposeront de plus d'argent, pour non seulement moderniser les points de présence postale, mais aussi pour améliorer l'accessibilité, installer des distributeurs de billets ou former les remplaçants. Ces commissions vont donc devenir de véritables lieux de concertation et de décision.

Deuxième priorité : la performance économique. Nous sommes dans un monde en concurrence et l'efficacité est la clé de l'avenir. De nombreux efforts seront encore nécessaires, comme ce fut déjà le cas au cours des années passées. Notre ambition est de respecter les quatre missions de service public tout en préservant le modèle social que j'ai évoqué.

Troisième axe : la qualité et la relation de service. Nos services doivent être simples, faciles et fiables, et développer le sens du client. Nous allons ainsi généraliser les engagements clients, tant au niveau national que local.

Quatrième priorité : l'innovation. Nous allons nous concentrer sur certains thèmes en nous appuyant sur nos points forts que sont la maîtrise des systèmes d'information et la confiance, tout en cherchant systématiquement à satisfaire le client. Nous allons accroître l'effort dans trois domaines. Pour le courrier tout d'abord, nous allons tirer le meilleur parti du papier et du numérique, avec des produits hybrides et le développement du coffre-fort électronique Digiposte. Dans le domaine du colis, nous avons très récemment innové avec So Colissimo, qui permet au destinataire final de choisir la manière dont il entend être livré.

Dernière priorité : le développement des services existants en Europe. Nous proposons aux entreprises un service global allant des données de départ jusqu'à l'archivage, en passant par la préparation des documents, leur édition, leur transmission, leur distribution, la gestion des retours et la numérisation.

Le développement passe aussi par des services nouveaux. Les facteurs seront ainsi non seulement des distributeurs de courrier, mais aussi des agents de proximité. Nous allons développer le marketing direct et améliorer le traitement des imprimés publicitaires en montant en gamme dans la gestion des données. Dans le domaine du colis, nous misons en Europe sur l'accroissement du business to consumer (B to C), qui facilite les relations entre une entreprise et ses consommateurs et qui, après le développement du business to business (B to B), le commerce interentreprises, est le segment qui augmente le plus. Dans le domaine de l'enseigne, nous voulons encore améliorer l'accueil, mais aussi réussir la mise en oeuvre de l'opérateur virtuel de téléphonie mobile. Dans la banque, nous voulons proposer tous les services nouveaux comme le crédit-consommation, l'assurance-dommage, la prévoyance-santé, le financement de l'économie locale ou le développement du multi-canal.

J'en viens à nos deux fils rouges : nous ne devons pas toucher à notre modèle social, car il est le socle de la confiance des postiers et un cadre sécurisant face aux changements inéluctables que nous devons mener pour adapter l'entreprise et opérer des mutations difficiles mais indispensables. Enfin, il est la condition de la performance : pour moi, l'économique et le social sont les deux faces d'une même médaille. Il n'y a pas de modèle social ambitieux sans une performance économique pour le financer. De même, il n'y a pas de réussite économique sans des postiers engagés et motivés.

Le deuxième fil rouge, c'est évidemment le développement durable, qui est le socle de la confiance de nos concitoyens. Vous connaissez les priorités : les transports, l'immobilier et le bon usage du papier.

Pour résumer, l'ambition 2015 prévoit la parfaite exécution des missions de service public pour répondre à l'attente des Français, ainsi qu'une amélioration progressive des résultats, de la rentabilité et de la capacité d'autofinancement, qui reste insuffisante pour faire face aux investissements nécessaires. Le plan que je viens de vous présenter nécessite en effet un investissement de l'ordre de 7,5 milliards d'euros. Les ressources de La Poste sont d'environ 5 milliards, ce qui lui permettra de réaliser la « modernisation courante » de l'entreprise. Il manque donc 2,5 milliards d'euros pour financer les investissements destinés à assurer le développement et l'innovation. Ou bien nous disposerons de ce montant grâce à l'augmentation de capital, et nous réaliserons ces investissements sans endettement supplémentaire, ou bien nous serons condamnés à ne pas atteindre nos objectifs. Les 2,7 milliards d'euros d'augmentation de capital auront ainsi pour objectif de financer, non pas le fonctionnement courant de La Poste, mais son développement et l'innovation. Cette augmentation de capital devrait être souscrite vers la fin du premier trimestre 2011 et elle se fera grâce à la CDC.

Il ne s'agit pas, avec l'arrivée de la Caisse, de l'entrée d'un simple partenaire financier, mais d'un partenaire stratégique de long terme. Nous avons déjà réfléchi ensemble afin d'approfondir nos partenariats et nos coopérations. Ainsi en est-il pour les services auprès des économies locales, pour le développement dans l'e-administration, sans compter les collaborations que nous avons déjà nouées dans l'immobilier ou le logement locatif.

En conclusion, je m'engage à poursuivre la nécessaire mutation de La Poste en m'appuyant sur les postiers et sur les équipes de management. Nous avons signé hier et avant-hier deux grands accords avec les partenaires sociaux, l'un sur les guichetiers et l'autre sur les salaires. Je suis convaincu que La Poste a un très bel avenir, si elle sait innover et se moderniser tout en restant fidèle à elle-même. C'est ce qu'attendent nos concitoyens et c'est l'histoire de ma vie, tant à La Poste qu'à la RATP, que d'avoir essayé de contribuer à la modernisation de ces entreprises publiques sans qu'elles perdent leur âme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion