a d'abord souhaité faire trois observations liminaires. Sa première observation concernait le contexte dans lequel s'était déroulé le contrôle de la Cour des comptes sur le service public de l'équarrissage (SPE), le premier depuis son instauration par la loi du 26 décembre 1996. Il a rappelé, à cet égard, que les informations techniques et financières disponibles sur le SPE étaient encore, en mars 2005, insuffisantes, irrégulières, peu fiables et au surplus, disparates quant à leur origine et hétérogènes quant à leur contenu, celles collectées auprès des services vétérinaires par le ministère de l'agriculture ne faisant pas exception. Il a précisé que les incertitudes résultant de cette imperfection des outils statistiques et d'analyse disponibles avaient d'ailleurs contribué à accroître les difficultés du pilotage de ce service public, y compris sur le plan de la prévision financière et fiscale. En outre, il a fait valoir que ce manque d'informations précises expliquait, lorsque le Parlement et le gouvernement avaient décidé, de façon concertée, de préparer une nouvelle réforme du SPE, sur le fondement de la loi du 23 février 2005, qu'il était apparu nécessaire de disposer, au préalable, de données fiables pour décrire une situation en réalité mal connue. Aussi bien, deux études avaient-elles été lancées par le gouvernement au printemps 2005 : une première enquête, placée sous la responsabilité du comité permanent des inspections du ministère de l'agriculture afin de dresser le bilan du SPE et de proposer les principes de sa révision ; une seconde enquête, réalisée par les inspections générales des finances et de l'agriculture, qui portait sur le financement, le coût et le contrôle du SPE pour l'année 2004. Il a expliqué que l'instruction de la Cour des comptes avait été conduite parallèlement à la réalisation de ces deux enquêtes et que la Cour des comptes avait pris connaissance de leurs résultats à la fin de l'été, alors qu'elle était engagée dans des contrôles sur pièces et sur place, auprès des services nationaux et locaux de l'Etat ainsi que des organismes chargés de la mise en oeuvre du service public. Enfin, il a précisé que la Cour des comptes avait pris acte des décisions de réforme adoptées par le gouvernement sur le fondement du décret du 28 septembre 2005 et du projet de loi de finances pour 2006.
Puis il a fait part de sa deuxième observation relative aux modifications, à la fois profondes et fréquentes, qui ont affecté le régime juridique de l'équarrissage depuis une trentaine d'années. Sans retracer l'historique complexe d'une législation qui remonte à 1942, il a indiqué que trois périodes pouvaient être définies. D'abord, il a cité la création, en 1975, par la loi d'un « service d'utilité publique », bâti sur un subtil équilibre entre, d'une part, le monopole du traitement des sous-produits animaux (destinés notamment à être transformés en farines dont l'utilisation se développait dans l'alimentation animale) consenti aux opérateurs privés dans un cadre géographique déterminé par arrêtés préfectoraux et, d'autre part, l'obligation qui leur était faite, en contrepartie de ce monopole, de collecter systématiquement et gratuitement les animaux morts, pour l'essentiel chez les éleveurs. Il a souligné que cet équilibre, assuré par la valorisation des produits d'origine animale obtenus à partir des cadavres collectés par les équarrisseurs, avait permis à l'outil de production d'évoluer fortement, en se concentrant et en se modernisant, conformément aux objectifs annoncés par le législateur à l'époque. Puis il a fait allusion à la crise de la vache folle en 1996, qui avait déjà suscité, dès 1990, de nombreuses mesures réglementaires d'organisation sanitaire pesant sur les marchés de l'équarrissage. Il a précisé que cette crise avait rompu cet équilibre en faisant perdre aux sous-produits animaux toute valeur marchande et en étendant le champ de la collecte obligatoire des sous-produits par les équarrisseurs aux matières à risques issues de l'activité des abattoirs, ateliers de découpe et boucheries. Il a indiqué, en outre, que le maintien de la gratuité, pour les éleveurs, du service public de collecte, de transport, de transformation et de destruction assuré par les entreprises d'équarrissage avait conduit à la prise en charge de son coût par l'Etat et à son financement par des ressources fiscales spécifiques. Enfin, il a souligné qu'en 2005, la régression de l'épizootie, les contestations professionnelles et communautaires du dispositif mis en place en 1996, avaient imposé une nouvelle réforme, intervenue par le biais du projet de loi de finances initiale pour 2006.
a ensuite fait part de sa troisième observation liminaire relative à l'économie générale du SPE telle qu'elle résulte de la réforme adoptée en loi de finances initiale pour 2006 et qui se traduit schématiquement par une réduction du périmètre du SPE, désormais cantonné à l'élimination des cadavres d'animaux trouvés morts en exploitation ; par l'exclusion des déchets d'abattoirs désormais tous traités dans un cadre contractuel de droit privé ; par une aide aux boucheries agréées pour la collecte des colonnes vertébrales prise en charge par le ministère chargé de l'artisanat.
En outre, il a précisé que plusieurs mesures visant à remettre de l'ordre dans la gestion du SPE avaient été adoptées : le dispositif en vigueur pour la commande publique des prestations d'équarrissage, qui reposait jusqu'alors en principe sur des marchés publics départementaux de prestations a été modifié, avec le lancement d'un appel d'offres national le 29 novembre 2005 ; un nouvel équilibre financier a été recherché dans l'appel aux contributions respectives de l'Etat, des éleveurs et de la filière viande à travers la taxe d'abattage, enfin, la gestion du service public de l'équarrissage a été transférée à compter du 1er juillet 2006 à l'Office National Interprofessionnel de l'Elevage et de ses Productions (ONIEP).
Après ce propos introductif, M. Jacques Sallois a fait connaître les deux grandes séries de leçons tirées par la Cour des comptes de l'analyse du fonctionnement passé du SPE.
Il a d'abord constaté l'impossibilité de faire jouer les règles de la concurrence et de maîtriser les tarifs dans le cadre des monopoles locaux historiquement consentis aux équarrisseurs. Il a rappelé, en effet, que le secteur de l'équarrissage était dominé par deux opérateurs, qui détiennent une part importante du marché (de l'ordre de moitié pour le premier, du tiers pour le second), qui bénéficient en outre, en application de la loi de 1975, de monopoles locaux. De ce fait, il a indiqué que la passation des marchés publics prévus par la loi de 1996, adoptée après la crise de la vache folle et le bouleversement économique que cette crise avait entraîné pour le secteur de l'équarrissage, s'était avérée irréaliste face à une profession oligopolistique à laquelle l'Etat demandait de surcroît, par un durcissement de la législation sanitaire, un volume de prestations toujours plus important. Il a constaté que, devant cette impossibilité de mettre en oeuvre les dispositions de la loi de 1996, et devant la nécessité impérative d'assurer l'exécution du service public, les préfets avaient eu recours à des réquisitions irrégulières en raison de leur caractère systématique et permanent.
En outre, il a souligné que, bien que ne disposant pas d'informations économiques et financières fiables, l'Etat avait été contraint de consentir durablement aux équarrisseurs des tarifs très fortement rémunérateurs. Il a précisé que cette pratique était également contraire aux règles de la réquisition, car l'indemnité de réquisition ne doit pas permettre de dégager un bénéfice. Il a, en outre, fait savoir que lors des contrôles sur place, les interlocuteurs de la Cour avaient reconnu dégager des marges très confortables, qu'ils ne pouvaient parfois pas distribuer aux actionnaires en raison des contraintes associées à certaines structures juridiques, telles que les Sociétés d'Intérêt Collectif Agricole (SICA).
S'agissant du second constat, M. Jacques Sallois a fait part d'une extrême difficulté pour l'Etat de maîtriser les problèmes de gestion de contrôle du service fait et de financement. Il a d'abord rappelé qu'en 2004, lors d'un contrôle du CNASEA dont les conclusions avaient été communiquées à la commission, la Cour des comptes avait souligné le caractère juridiquement fragile de la situation actuelle où la fonction d'ordonnateur de la dépense est dissociée entre les préfets, qui engagent et liquident la dépense publique, et le directeur général du CNASEA, qui en est l'ordonnateur. Il a confirmé cette analyse et souligné les difficultés de gestion du SPE que cette situation avait provoquées. En outre, il a indiqué que lors de son enquête, la Cour des comptes avait constaté que les prestations facturées au service public de l'équarrissage faisaient l'objet d'un contrôle fort inégal et essentiellement documentaire par les services déconcentrés de l'Etat, d'une part, de l'ordonnateur et du comptable du CNASEA, d'autre part, ce qui était à l'origine de tolérances excessives vis-à-vis des opérateurs. Il a estimé que la sincérité, la fiabilité, voire la régularité des déclarations pouvaient ainsi fréquemment être mises en cause : mort des animaux non avérée ; éligibilité non assurée au SPE en raison de la modicité des poids collectés ; pesées imprécises ; recours au SPE, gratuit, en lieu et place d'un service, obligatoire et payant, d'élimination des déchets de cliniques vétérinaires ; déplacements systématiques générateurs de facturations rentables. Il a estimé qu'une telle carence des administrations compétentes était difficilement compréhensible sur une aussi longue période. Enfin, il a souligné que les fréquentes modifications de la réglementation, en fonction de l'évolution des dispositions sanitaires, visant à pallier, dans l'urgence, les conséquences successives des crises dites « de la vache folle », sans que les conditions de leur mise en oeuvre administrative soient précisément définies, avaient lourdement affecté le bilan financier du SPE. A cet égard, il a rappelé que les dépenses publiques liées à la mise en oeuvre de la politique d'équarrissage avaient dépassé 2,1 milliards d'euros à la fin de 2005 et a estimé que les difficultés financières avaient été amplifiées par le refus de mettre à contribution des éleveurs en vertu du principe « pollueur-payeur » et par les conséquences des contentieux européens et professionnels suscités par l'assujettissement des grandes surfaces à la taxe sur les achats de viandes. Il a, en effet, indiqué que ce mode de financement, qui n'avait pas été notifié aux autorités européennes, avait été déclaré non conforme au droit communautaire, ce qui avait obligé l'Etat, après contentieux, de rembourser le produit de cette taxe sur les achats de viandes, perçu entre 1997 et 2000 et alors directement affecté au financement du SPE, soit un coût de 387 millions d'euros.
Au delà de ces leçons tirées pour le passé, M. Jacques Sallois a estimé que quatre grandes questions demeuraient pour l'avenir.
Il a d'abord cité le risque contentieux continuant d'affecter le bilan passé du SPE et a indiqué que le refus par l'Etat de rembourser les taxes perçues entre 2001 et 2003, qui étaient alors budgétisées afin de rompre le lien entre le produit de la taxe sur les achats de viande et les aides publiques à l'équarrissage, avait fait l'objet d'un contentieux devant les juridictions administratives. Il a précisé que les sommes en jeu étaient très importantes, puisque le produit de la taxe sur les achats de viande entre 2001 et 2003 était de près de 1,7 milliard d'euros (638 millions d'euros en 2001, 527 millions d'euros en 2002, 515 millions d'euros en 2003) et qu'au cours de la même période, 1,1 milliard d'euros avaient été consacrés au financement du SPE. Il a fait état d'un premier jugement du tribunal administratif de Marseille, en date du 22 novembre 2004, qui avait ordonné le remboursement des taxes perçues après 2001 et de la décision de la cour administrative d'appel de Marseille rendue le 15 décembre 2004 favorable à l'administration, en annulant la décision du tribunal administratif de Marseille. Il a cependant précisé que cette décision avait fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat dont les requérants s'étaient ensuite désistés. De ce fait, il a indiqué que la décision de la juridiction administrative marseillaise était définitive, mais que l'issue du débat était loin d'être assurée, puisque 9.500 contentieux restaient pendants.
Puis M. Jacques Sallois a estimé que les objectifs et les conditions du transfert de la gestion du SPE à l'Office National Interprofessionnel de l'Elevage et de ses Productions (ONIEP) méritaient d'être précisés. Il a indiqué que le transfert de la gestion du service public de l'équarrissage relatif aux animaux trouvés morts en exploitation à l'Office National Interprofessionnel de l'Elevage et de ses Productions mettrait un terme à la dissociation de la fonction d'ordonnateur entre les préfets et le directeur général du CNASEA, puisque le directeur général de l'ONIEP deviendra la personne responsable du marché public (PRM). Toutefois, il a indiqué que ce transfert n'était pas, par lui-même, de nature à résoudre l'ensemble des difficultés de gestion constatées par la Cour des comptes.
Il a estimé qu'il serait utile que l'ONIEP et ses administrations de tutelle précisent le dispositif mis en place au sein de cet office pour reprendre la gestion du SPE dans les prochains jours et les résultats qu'ils attendent de ce transfert.
La troisième question abordée était relative à l'échec de la nouvelle procédure de passation des marchés publics d'équarrissage.
a précisé que la Cour des comptes avait souligné les incertitudes, voire l'impossibilité, de lancer un appel d'offres national à lots départementaux pour l'exécution du SPE. Il a indiqué que l'administration avait reconnu que la décision de recourir désormais, pour l'exécution du service, à des appels d'offres nationaux ne suffirait pas, par elle-même, à instaurer d'emblée un régime de concurrence dans une profession très concentrée, juxtaposant des monopoles territoriaux de fait suscités à l'origine par l'Etat lui-même. Il a indiqué que les premiers éléments dont disposait la Cour des comptes concernant cet appel d'offres confirmaient le bien-fondé de ces observations. Il a précisé, en effet, que le résultat de la passation du marché se traduisait par une forte hausse du coût du Service Public de l'Equarrissage et laissait apparaître des indices sérieux de concertation entre les opérateurs. Il a estimé souhaitable que les administrations concernées précisent les suites qu'elles ont réservées à l'engagement d'une procédure de marché négocié, leur incidence sur les modes de gestion du SPE en cours de réforme et les enseignements qu'elles tirent, pour le moyen terme, des difficultés rencontrées afin d'instaurer un degré minimum de concurrence sur les marchés concernés.
Enfin, M. Jacques Sallois a fait valoir que l'équilibre financier du SPE ne semblait pas encore garanti.
Il a rappelé que la dernière réforme du SPE avait pour principal objectif de profiter du retour à une situation sanitaire normale pour alléger la charge des finances publiques en réduisant le périmètre du SPE au traitement des cadavres d'animaux, à l'exclusion des autres déchets soumis à réglementation. Il a indiqué que, sur la base d'une estimation réalisée par les inspections générales des finances et de l'agriculture, la charge totale du SPE a été abaissée à 136 millions d'euros dans les prévisions de la loi de finances initiale pour 2006, étant entendu que le lancement d'un appel d'offres national le 29 novembre 2005 visait un abaissement des tarifs des équarrisseurs, qui n'a toutefois pas été obtenu. De ce fait, il a indiqué que le coût du SPE serait nettement plus élevé que prévu, de l'ordre de 152 millions d'euros.
Il a rappelé que, selon l'arbitrage rendu par le Premier ministre en juin 2005, le financement du SPE devait être assuré par une contribution des éleveurs de 8 millions d'euros, une dotation budgétaire de 44 millions d'euros, le solde, soit 84 millions d'euros, devant être financé par le produit de la taxe d'abattage.
Or, il a annoncé que la participation des seuls éleveurs de porcs et de volailles (4 millions d'euros) pourrait être inférieure de moitié aux prévisions, en dépit des engagements d'un ensemble d'organisations professionnelles. Par ailleurs, il a constaté que le produit net de la taxe d'abattage devrait s'élever à 77 millions d'euros, à taux inchangés. En conséquence, il a souligné qu'une contribution du budget de l'Etat à hauteur de 44 millions d'euros laisserait subsister une impasse à financer de 27 millions d'euros. Il a estimé, dès lors, que tout surcoût budgétaire viendrait alourdir le coût de la réforme pour l'Etat, à la charge duquel restait, outre une moins-value fiscale de 13 millions d'euros du fait de la récupération de la TVA par les bouchers (3 millions d'euros) et les abattoirs (10 millions d'euros), l'aide de 10 millions d'euros prévue en faveur des bouchers, soit 23 millions d'euros au total. Au surplus, il a indiqué que les modalités de la prise en charge budgétaire de l'aide de 10 millions d'euros accordée aux entreprises de boucherie agréées pour l'élimination des colonnes vertébrales par la direction des entreprises commerciales, artisanales, de service et des professions libérales (DECASPL) ne semblaient pas encore avoir été définitivement arrêtées. Enfin, il a constaté que les objectifs d'économies associés à la réforme du SPE ne seraient pas atteints, du moins à court terme. Il a estimé utile que l'administration précise le montant des charges non financées dans le cadre prévu par la loi de finances, les modalités envisagées pour leur couverture - soit par le budget de l'Etat soit par le relèvement des taux de la taxe d'abattage - ainsi que les solutions étudiées pour le retour à une situation normale de la commande publique.
En conclusion, il a souhaité attiré l'attention de la commission des finances sur la persistance, en dépit de certaines évolutions favorables du système français de l'équarrissage, de dysfonctionnements auxquels il est impossible de se résigner. A cet égard, il a estimé, d'une part, que le coût global du SPE à financer demeurait très élevé, alors que son équilibre pesait toujours fortement sur les finances publiques, d'autre part, que la réforme en cours n'avait toujours pas réussi à instaurer un mécanisme de régulation efficace des marchés et des prix face à un oligopole d'opérateurs.