Intervention de Bruno Racine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno Racine membre du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'otan

Bruno Racine :

Je vous remercie Monsieur le Président. Comme vous l'avez indiqué, le rapport du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN sera remis au Secrétaire général et présenté officiellement au Conseil de l'Atlantique Nord en début de semaine prochaine.

Je dirai en préalable un mot sur le processus suivi pour l'élaboration de ce document. La démarche est assez comparable à celle mise en oeuvre pour la rédaction du Livre blanc français en 2008 et reposait sur les consultations les plus larges possibles et un principe de transparence. Les 12 personnalités constituant le groupe d'experts ont été désignées par le Secrétaire général de l'OTAN, sur la base de propositions effectuées par les gouvernements. Les experts ne représentaient donc pas les Etats, même si certains gouvernements avaient souhaité proposer des diplomates, notamment d'anciens représentants permanents à l'OTAN. Outre Mme Albright elle-même, le groupe d'experts comprenait des responsables politiques comme M. Geoff Hoon, ancien secrétaire britannique à la défense ou le professeur Rotfeld, ancien ministre des affaires étrangères polonais.

Les travaux du groupe se sont appuyés sur quatre grands séminaires largement ouverts au monde universitaire et de la recherche qui ont successivement traité de l'évolution de l'environnement stratégique, des opérations, des partenariats de l'OTAN et des capacités.

Le groupe ne comprenait pas de responsable militaire, mais il a largement travaillé avec les principales autorités militaires de l'OTAN : le président du Comité militaire et les titulaires des deux grands commandements, SACEUR et SACT. Je voudrais souligner sur ce point le rôle important joué par le général Stéphane Abrial. Le groupe d'experts plaide pour le renforcement du commandement pour la transformation (ACT) en vue d'en faire, comme le souhaite le général Abrial, le véritable « think tank » de l'Alliance.

Le groupe d'experts dans son entier s'est déplacé à Moscou, pour marquer l'importance attachée à l'avenir de la relation OTAN-Russie. Des contacts ont été établis avec d'autres Etats non membres de l'Alliance lors du séminaire sur les partenariats. Des délégations du groupe ont procédé à des consultations politiques dans les différents Etats alliés.

J'en viens au contenu de notre travail proprement dit.

Le concept stratégique actuel date de 1999 et a été élaboré dans le contexte de la réunification de l'Europe. Le concept stratégique de 2010 intervient dans un contexte très différent et vise à définir le rôle de l'Alliance dans un monde globalisé.

Si le concept stratégique de 1999 est dépassé à certains égards, d'autres points demeurent d'actualité.

Tout d'abord, il est important de rappeler que l'Alliance atlantique constitue le seul lien contractuel entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Ce lien s'applique à la sécurité, qualifiée d'indivisible entre les alliés. L'OTAN est fondée sur des principes clairs. Elle réunit des Etats adhérant aux valeurs démocratiques qui sont en paix avec leurs voisins. L'OTAN est un forum au sein duquel les alliés échangent sur les questions intéressant leur sécurité. Enfin, l'OTAN dispose d'outils pour nouer des partenariats avec d'autres Etats ou organisations.

Un consensus s'est dégagé sans difficulté au sein du groupe d'experts pour considérer que dans un environnement instable et incertain, la permanence d'un lien contractuel entre l'Europe et l'Amérique du Nord constituait un facteur essentiel pour la stabilité internationale.

Ce rôle de l'Alliance a été réaffirmé en ayant présent à l'esprit le développement de menaces dites non-conventionnelles. A cet égard, les cyberattaques et leur pendant, la cyberdéfense, ont acquis un haut degré de priorité. C'est d'ailleurs une préoccupation majeure des responsables militaires dans nombre de pays alliés.

Un deuxième sujet sur lequel le groupe d'experts s'est accordé touche à la vocation de l'Alliance. Alors que les crises sont de plus en plus interconnectées, l'OTAN doit-elle devenir le « gendarme du monde » ? Le groupe a adopté sur ce point une position raisonnable et a clairement écarté l'idée d'une « OTAN globale ». Nous avons considéré que l'OTAN devait certes être un acteur majeur dans un monde global, mais qu'elle devait s'appuyer sur des partenariats. Pour le groupe d'experts, le caractère euro-atlantique de l'Alliance ne doit pas être remis en cause et son élargissement ne peut être poursuivi que dans la limite de ce critère géographique. Nous avons identifié deux partenariats spécifiques. Les Nations unies, tout d'abord, car elles sont à la fois une source de légitimité pour les actions de l'OTAN et un partenaire naturel dans les zones d'opérations. L'Union européenne ensuite, avec laquelle le partenariat présente, aux yeux du groupe qui est unanime sur ce point, un caractère unique, pour autant cependant que l'effort de défense des pays européens permette de donner un contenu concret à cette relation.

Un troisième point de consensus est apparu au sein du groupe d'experts sur la nécessité d'adapter et de réformer l'OTAN sur le plan militaire et politique.

L'OTAN est confrontée à une crise financière sans précédent. Le groupe d'experts a apporté son soutien à une réforme administrative et budgétaire ambitieuse passant par la redéfinition de la gouvernance financière de l'organisation, la diminution de la structure civile, la révision du nombre de comités et d'agences, la réduction des coûts de fonctionnement et l'allègement de la structure militaire.

Le groupe d'experts s'est également accordé sur un point essentiel : le rôle de l'article 5 du traité de Washington.

Les nouveaux Etats membres étaient particulièrement sensibilisés à cette question et souhaitaient des réassurances. Au vu de la crise géorgienne et de l'expérience de l'Estonie, qui avait été victime en 2007 d'attaques informatiques massives, la question était posée d'une nouvelle rédaction de l'article 5 qui évoque une attaque armée, ou à tout le moins d'une nouvelle interprétation de la notion d'attaque armée.

Notre conclusion est que l'on ne peut définir a priori si une attaque non conventionnelle relève ou non de l'article 5. Cela dépend notamment de l'objectif poursuivi et de l'ampleur de l'attaque. Cela ne peut pas être déterminé a priori. En revanche, un travail de réflexion et de clarification est nécessaire sur ce type de scénario afin d'être en mesure, le moment venu, de définir ce que pourrait être une réponse appropriée de l'OTAN.

Cela renforce d'autant plus la nécessité de bien exploiter les possibilités offertes par l'article 4 du traité qui prévoit des consultations entre les parties chaque fois que l'une d'entre elles considère que sa sécurité est menacée.

En résumé, toute menace sur la sécurité d'un Etat membre relève du mécanisme de consultation de l'article 4 et selon sa nature et ses caractéristiques, elle peut justifier la mise en oeuvre de l'article 5.

S'agissant du champ géographique d'intervention de l'OTAN, il est clair que la sécurité des Etats alliés peut être affectée par des menaces très éloignées. Nous le voyons avec les opérations d'Afghanistan, puisqu'il s'agit d'éviter que ne se recrée un sanctuaire pour des organisations terroristes menaçant directement notre sécurité.

Nous avons cependant considéré que l'OTAN ne pouvait intervenir que sur la base de certains critères. Comme la France l'a fait dans son Livre blanc, nous avons identifié les principes auxquels l'OTAN devrait se référer pour décider le lancement d'une opération hors de ses frontières. La conformité de l'intervention au droit international est l'un de ces principes, mais nous avons également proposé une liste détaillée de ces critères.

L'une des leçons de l'opération d'Afghanistan est qu'une approche exclusivement militaire n'est pas de nature à apporter une solution durable aux crises. Il est nécessaire de combiner les approches militaires et civiles.

Dans cette optique, certains allaient jusqu'à préconiser que l'OTAN se dote d'importantes capacités civiles propres, voire qu'elle crée en son sein une véritable agence civile. Comme vous le savez, la France n'y était pas favorable.

Le groupe d'experts a considéré qu'il fallait renforcer l'aptitude de l'OTAN à coopérer avec d'autres institutions ou organisations capables d'assumer le volet civil de la gestion d'une crise. L'OTAN doit disposer de compétences minimales pour évaluer les besoins en matière d'action civile dès le stade de la planification et assurer la coordination avec les organisations qui la prendront en charge. Elle doit renforcer sa capacité à intégrer la dimension « politico-économique » de la gestion des crises, mais en termes de développement de capacités propres en matière civile, nous avons retenu une approche minimale.

Le groupe d'experts s'est également penché sur la prolifération des missiles balistiques et les vulnérabilités nouvelles des Etats alliés face à cette menace. Nous avons reconnu l'intérêt de développer au profit des alliés un système de protection contre les missiles balistiques. Il a été clairement souligné qu'une telle protection venait en complément de la dissuasion, mais ne pouvait s'y substituer.

Le groupe d'experts a estimé que quelles que soient les perspectives en matière de désarmement nucléaire, l'Alliance devait conserver une dissuasion nucléaire tant que les armes nucléaires subsistent comme facteur important des relations internationales.

S'agissant du débat sur le retrait des armes nucléaires non-stratégiques américaines de certains pays européens où elles sont stationnées, le groupe d'experts s'est prononcé contre tout retrait unilatéral. Une décision de retrait de ces armes ne pourrait résulter que d'une volonté globale de l'Alliance et elle devrait impliquer des discussions avec la Russie sur le sort de ses propres armes nucléaires tactiques, beaucoup plus nombreuses.

En ce qui concerne les relations entre l'OTAN et l'Union européenne, elles sont aujourd'hui entravées par la question politique de Chypre. Le groupe d'experts a cependant souligné de manière très appuyée le rôle de l'Union européenne comme partenaire stratégique global. Nous n'avons en aucun cas préconisé une spécialisation des tâches, le militaire pour l'OTAN et le civil pour l'Union européenne. Au contraire, le rapport saluera les efforts de l'Union européenne pour se doter des capacités militaires et des moyens de commandement lui permettant de prendre des responsabilités dans le domaine de la sécurité.

Il y a également eu consensus au sein du groupe pour insister sur la nécessité de rebâtir une relation constructive avec la Russie. Cela ne dépend pas que de nous, mais cela dépend aussi de nous. Nous avons dressé un constat assez sévère du fonctionnement du Conseil OTAN - Russie qui ne s'est pas révélé être un instrument efficace. Nous pensons qu'il faut proposer à la Russie de travailler en commun dans des domaines tels que la piraterie, le terrorisme ou la lutte contre le trafic de drogue, et qu'il faut utiliser le Conseil OTAN - Russie comme un véritable organe de décision pour ces domaines d'action conjointe.

L'élargissement demeure une pomme de discorde potentielle entre l'OTAN et la Russie. Sa sensibilité s'exerce moins sur l'adhésion éventuelle des Etats des Balkans occidentaux que sur les candidatures de l'Ukraine et de la Géorgie. Pour l'Ukraine, la question de l'adhésion paraît désormais virtuelle, compte tenu des orientations du nouveau Président de la République. S'agissant de la Géorgie, l'OTAN ne pourra que réaffirmer sa politique de la porte ouverte à tous les Etats démocratiques européens qui souhaitent la rejoindre et doivent pouvoir le décider en toute indépendance. Mais l'adhésion de nouveaux membres suppose qu'ils contribuent à renforcer la sécurité de l'Alliance et qu'ils n'importent pas en son sein des conflits avec des Etats voisins. Dès lors, la question de l'élargissement ne devrait pas être, dans les dix ans à venir, un obstacle à l'établissement d'une relation constructive avec la Russie.

Je reviens pour conclure sur la réforme de l'Alliance que j'ai déjà évoquée. Le groupe d'experts avait vocation à s'y intéresser mais compte tenu de l'urgence, le Secrétaire général a reçu mandat de formuler rapidement des propositions. Le futur concept stratégique devrait donc entériner les orientations en cours de définition plutôt que les précéder. Nous avons en tout état de cause plaidé pour une réforme ambitieuse aux plans administratif et militaire. Un rôle majeur est attendu d'ACT sur ce dernier point.

Le Secrétaire général de l'OTAN va désormais prendre connaissance du document et l'utilisera comme il le souhaite dans la préparation du projet qu'il soumettra aux Chefs d'Etat et de gouvernement. Peut-être certaines conclusions consensuelles au sein du groupe d'experts le seront-elles moins entre les Nations.

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