C'est pour moi un honneur et un plaisir de participer à cette table ronde. Je tiens d'abord à signaler que mon point de vue sur le document cadre est nécessairement un peu « biaisé » car, dans l'exercice de mes anciennes fonctions de directeur général de l'AFD, j'ai participé, aux côtés d'autres acteurs de l'aide publique au développement, à son élaboration. Sous cette réserve, je formulerai pour commencer deux observations d'ordre général.
Tout d'abord, ce document est fondé sur l'idée que l'aide au développement ne s'inscrit plus désormais dans une démarche caritative, ou compassionnelle ; elle consiste en une véritable politique publique, que justifient les interdépendances mondiales apparues dans les dernières décennies. En effet, on a bien pris conscience, aujourd'hui, que l'échec économique des pays d'Afrique ou d'Asie comme leur réussite, d'ailleurs est susceptible d'engendrer des conséquences déstabilisantes pour les pays d'Europe. Des enjeux migratoires, économiques, environnementaux, voire de sécurité, pour l'Occident, résultent directement de la situation des autres régions du monde.
Ensuite, l'aide au développement n'apparaît plus comme une aide en faveur de pays pauvres indifférenciés : elle est désormais consacrée à des thèmes prioritaires, distincts selon les zones du globe et tenant compte des intérêts de la France dans chacune. Cette situation justifie les objectifs spécifiques retenus pour le document cadre.
Au stade où il se trouve de son processus de rédaction, ce document appelle de ma part quatre commentaires plus précis.
En premier lieu, il conviendrait d'étendre le champ des actions couvertes, car le projet de document se concentre sur une notion étroite de l'aide publique au développement (APD), en ne visant que des instruments de financement. Ainsi, les aspects culturels et de recherche sont ignorés, bien qu'ils représentent un aspect substantiel de l'APD entendue au sens large.
En deuxième lieu, la question de la « soutenabilité » budgétaire de l'aide publique au développement n'est pas abordée dans le projet de document. Elle est pourtant essentielle, tant il est certain que l'ambition relative aux moyens conditionnera celle des objectifs. En outre, les opérateurs de l'APD aspirent à une meilleure prévisibilité, au moins sur une période de trois ans, des moyens mis à leur disposition. Cet aspect doit donc être amélioré, en associant une prévision quantitative aux objectifs présentés, tout en conservant au document cadre la dimension opérationnelle nécessaire. Par ailleurs, l'élaboration de ce document doit être l'occasion de faire progresser la recherche en matière de financements innovants.
En troisième lieu, ce document devrait, je pense, prévoir une stratégie plus « offensive » à l'égard de l'APD assurée par le canal multilatéral et européen. Durant les dernières années, en effet, on a assisté à un recours important à l'aide multilatérale, au détriment de l'aide bilatérale, dont la part relative est devenue minoritaire en ce qui concerne les subventions. Cette intervention multilatérale de la France, indispensable, se trouve fortement contrainte par nos engagements internationaux, sauf pour notre pays à accepter de quitter le rang qui est le sien dans un certain nombre d'enceintes. Mais il est très difficile de peser sur la programmation des organisations internationales ; c'est d'ailleurs plus difficile encore au niveau européen qu'au niveau international à proprement parler. Il me paraît donc opportun de définir un objectif d'influence en la matière.
En dernier lieu, il me semble que l'élaboration d'un document cadre de coopération au développement devrait être l'occasion de réfléchir à deux enjeux connexes :
- d'une part, la communication de la France sur sa politique d'aide au développement, envers sa propre opinion publique. En effet, la société civile s'avère très favorable à cet effort de solidarité, comme en témoigne le soutien important qu'elle apporte aux organisations non gouvernementales. En revanche, elle se montre sceptique à l'égard de la mise en oeuvre de l'aide au développement par des moyens publics. Pour conserver à cette politique sa crédibilité, un travail d'explication est donc à fournir en direction du citoyen et du contribuable ;
- d'autre part, la valorisation de la recherche sur cette politique, car force est de constater que, malgré d'éminents spécialistes dont certains sont ici présents aujourd'hui, la production académique, sur le sujet, est relativement faible. Par nature, il s'agit d'un domaine où les financements ne sont pas aisés à trouver. Pourtant, cette recherche est nécessaire en vue de structurer une politique publique d'aide au développement qui puisse prétendre à une influence mondiale.