Je souhaite d'abord remercier la commission des affaires étrangères et la commission des finances du Sénat pour leur invitation. Je me réjouis de cette heureuse initiative, qui en prolonge deux autres :
- d'une part, celle du comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 5 juin 2009 (CICID) qui, sous l'impulsion du comité d'aide au développement de l'OCDE, a décidé l'élaboration d'un document cadre pour la politique de coopération au développement ;
- d'autre part, celle du ministère chargé des affaires étrangères, qui dans cette perspective a organisé une importante consultation, à laquelle ont participé, notamment, les organisations non gouvernementales et les collectivités territoriales.
Le projet de document cadre, au stade où il se trouve, me paraît globalement très satisfaisant. Cependant, je suis réservé sur l'approche de l'aide publique au développement qui a été retenue en termes de risques : risque climatique, risque financier, risque alimentaire, trafics, terrorisme... C'est une justification de notre politique d'aide au développement, par des impératifs de sécurité, qui me semble très anxiogène ! Il serait préférable de faire passer à l'opinion publique, dont le soutien à cette politique est nécessaire, le message selon lequel, dans un monde devenu interdépendant, la France doit assumer sa part de responsabilité face à un risque de nature globale.
Au-delà de cette remarque d'ordre général, je formulerai plusieurs remarques ponctuelles :
- sur les objectifs du millénaire pour le développement, d'abord. Il est entendu qu'il reste beaucoup à faire pour que ces objectifs puissent être atteints. Toutefois, l'effort en la matière ne doit pas s'en tenir à une dimension caritative ou compassionnelle ; il est aussi nécessaire de l'inscrire dans la promotion des droits économiques et sociaux, en cherchant à pérenniser l'accès des populations aux services essentiels ;
- sur la préservation des biens publics mondiaux, ensuite. Dans la mesure où cet enjeu ne relève pas seulement de l'aide au développement, il conviendrait qu'un périmètre clair soit tracé, en ce qui concerne ces biens, dans le futur document cadre ;
- sur l'aide apportée aux pays fragiles. Coordination Sud est naturellement favorable à cette aide, mais nous souhaitons que soit évitée, en ce domaine, la confusion entre l'aide humanitaire, en principe limitée dans le temps, et la véritable aide au développement, qui a vocation à être durable ;
- sur la mise en oeuvre des priorités retenues. Le projet de document cadre met l'accent, de façon pertinente, sur la nécessaire appropriation des politiques publiques par la population des pays aidés. Cette approche par la gouvernance démocratique est préférable à celle qui a pu être menée, naguère, en termes de « bonne gouvernance ». Le souci marqué pour la recherche d'une cohérence entre l'APD française et les autres politiques de développement constitue également un progrès ;
- sur le financement, enfin. Chaque année, en décortiquant le projet de loi de finances initiale, Coordination Sud met au jour qu'environ 25 % des crédits officiellement inscrits en faveur de l'APD ne correspondent pas, en réalité, à de l'aide au développement. Ce sont les frais d'écolage d'étudiants étrangers, les transferts à Wallis-et-Futuna, des annulations de dette qui restent sans effet réel... Il est certain qu'il sera difficile d'atteindre l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'APD. Une partie de la solution serait peut-être de comptabiliser à la fois les flux publics et les flux privés, notamment les investissements des entreprises à l'étranger.
Par ailleurs, il est nécessaire de poursuivre la réflexion sur la mise en place de financements innovants, en vue d'assurer des ressources pérennes à l'aide publique au développement, ainsi que la Gouvernement s'y est engagé. Il est également indispensable d'améliorer la prévisibilité des ressources disponibles en la matière, comme M. Jean-Michel Severino l'a indiqué. J'ajoute qu'il faudrait en finir avec les effets d'annonce lesquels, la plupart du temps, se bornent à présenter de manière nouvelle des crédits déjà ouverts antérieurement.
Pour le reste, il est certain que la crédibilité du document cadre sera fonction des estimations financières qui pourront lui être associées.
En outre, je forme un rêve : plusieurs Etats européens ont mis en place un débat parlementaire régulier sur leur politique publique d'aide au développement, et ont recours à des lois de programmation en ce domaine. Pourquoi la France ne se doterait-elle pas d'un même dispositif ?