Intervention de Anne Duthilleul

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 juin 2006 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — Usine de traitement du nickel en nouvelle-calédonie - Audition de Mme Anne duThilleul présidente de l'erap

Anne Duthilleul, présidente de l'ERAP :

a rappelé le contexte dans lequel la mission sur les projets de nickel lui avait été confiée en 2003, à savoir le lancement simultané en Nouvelle-Calédonie du projet d'extension de l'usine de Doniambo, propriété de la société française Eramet, du projet du Nord ou projet Koniambo, mené par l'association de la Société Minière du Sud Pacifique (SMSP) et son partenaire industriel canadien Falconbridge, et enfin le projet du Sud ou projet Goro, mené par l'industriel canadien Inco, dont les trois provinces de Nouvelle-Calédonie, regroupées dans la Société de Participation Minière du Sud Calédonien (SPMSC), étaient désormais actionnaires.

a rappelé que, suite aux accords de Matignon de 1988 et depuis la loi organique n° 99-209 du 21 mars 1999 organisant le transfert de certaines compétences à la Nouvelle-Calédonie, l'Etat ne disposait plus de compétences dans le domaine de l'exploitation du nickel, de la réglementation minière ou de l'environnement.

Cependant, elle a relevé que, du fait que des aides à l'investissement productif avaient été accordées ou proposées au titre de la loi de programme pour l'outre-mer n° 2003-660 du 23 juillet 2003, l'Etat restait intéressé dans la mise en place des grands projets miniers et métallurgiques en Nouvelle-Calédonie.

Dans ce contexte, elle a indiqué qu'une mission de coordination s'était avérée nécessaire, et ce pour trois séries de raisons :

- d'abord, les dépenses engagées par l'Etat, au titre de la défiscalisation, dont le montant était sans commune mesure avec le reste des projets outre-mer ;

- ensuite, la nécessité d'apporter une expertise technique et un suivi des aspects environnementaux, auxquels l'Etat était très attentif, en complément des interventions du Territoire et des Provinces ;

- enfin, le contexte politique, extrêmement sensible dans le cas de l'usine du Nord et qui, d'une certaine manière, en rendait l'échec impossible, depuis les Accords de Bercy et de Nouméa de 1998 qui engageaient le rééquilibrage économique du territoire en faveur de la Province Nord.

a évoqué l'historique du projet du Nord. Elle a rappelé que le gisement de Koniambo, apporté par la SMSP au projet, avait fait l'objet préalable d'un rachat en 1998 à la société Eramet dans le cadre des accords de Bercy, l'Etat compensant la perte subie par l'industriel français à hauteur de 150 millions d'euros (soit un milliard de francs à l'époque), ce gisement étant échangé contre celui de Poum, beaucoup plus petit. Elle a indiqué que Falconbridge avait alors signé un accord de partenariat, approuvé par l'Agence française de développement (AFD) au nom de l'Etat, garant des accords de Bercy, dès 1998 et engagé les études de faisabilité. A l'issue de celles-ci, le coût des investissements du projet Koniambo s'élevait, lors de la dernière estimation par Falconbridge en novembre 2005, à 2,2 milliards de dollars, soit un montant total à financer d'environ 2,7 milliards de dollars.

Elle a précisé que deux outils avaient été déterminés afin d'apporter le soutien de l'Etat à la Province Nord : la défiscalisation de certains investissements d'une part, la garantie de l'Etat sur une partie des emprunts d'autre part. A ce titre, elle a relevé que l'Etat avait proposé d'accorder une assiette totale de défiscalisation de 630 millions de dollars, couvrant une large part du montant des infrastructures considérées comme en partie réutilisables par la Province Nord en cas d'abandon du projet, cette défiscalisation devant être accordée au profit de la Province Nord, garante d'une partie des emprunts finançant les investissements défiscalisés, et représentant l'apport de la province au capital de la société d'exploitation.

Elle a ajouté que les propositions finales de montage financier avaient été formulées par l'Etat en octobre 2005 et assorties de conditions, notamment de calendrier et de respect de l'environnement. Cependant, elle a observé qu'après une période de réflexion, Falconbridge avait estimé que les conditions posées par l'Etat s'avéraient trop contraignantes pour permettre le financement « raisonnable » du projet. En conséquence, elle a précisé que Falconbridge avait fait savoir, fin novembre 2005, qu'il se faisait fort de fournir la totalité du financement nécessaire au développement du projet sans donner suite aux propositions d'aide de l'Etat, ce qui faisait qu'à ce stade, aucun dossier de demande de défiscalisation n'avait été déposé et qu'aucune nouvelle aide publique n'avait été engagée pour le projet du Nord.

a indiqué que le projet du Nord se poursuivait néanmoins normalement et qu'il en était au stade de l'ingénierie préliminaire et devrait passer à l'ingénierie de détail durant l'été 2006, ce qui constituerait une étape importante de décision en vue de la construction et du début des travaux sur le terrain. Elle a souligné que le financement était assuré entièrement par Falconbridge, dont les ressources étaient actuellement abondantes.

a précisé que les retombées économiques et sociales attendues du projet Koniambo pouvaient se résumer de la façon suivante selon les phases :

- durant la phase de construction : emploi de 2.200 personnes sur le site au pic de l'activité, soit une moyenne de 1.250 personnes par an pendant les 3 à 4 années de la construction, dont 250 Calédoniens ; la somme des impacts directs, indirects et induits s'élevant à environ 300 millions de dollars par an pour la Nouvelle-Calédonie ;

- durant la phase d'exploitation, les emplois directs concerneraient environ 1.000 personnes, dont 760 Calédoniens, la valeur des achats anticipés pouvant être effectués en Nouvelle-Calédonie atteignant une moyenne annuelle d'environ 70 millions de dollars pendant les 25 années de la première phase d'exploitation et la somme des impacts directs, indirects et induits anticipés pendant cette durée s'élèverait à près de 150 millions de dollars par an, impliquant près de 2.700 personnes sur le territoire.

a rappelé, s'agissant de l'application des accords de Bercy, qu'Eramet avait déposé en décembre 2005 un référé devant le tribunal de grande instance de Paris, référé qui avait été repoussé fin décembre 2005.

Elle a alors évoqué la question des OPAs. Elle a rappelé le lancement en octobre 2005 d'une OPA amicale d'Inco sur Falconbridge, dont le terme, désormais fixé au 30 juin 2006, n'était pas encore atteint, l'OPA de Teck Cominco sur Inco, qui « rejaillissait » sur Falconbridge dans la mesure où elle était conditionnée au retrait de l'offre d'Inco sur Falconbridge, et enfin une OPA de la société Xstrata sur Falconbridge. Elle a indiqué que, si ces opérations n'empêchaient pas les équipes de travailler, elles mobilisaient cependant l'attention des équipes dirigeantes et retardaient les appels éventuels au marché pour le financement définitif du projet, précisant que, dans l'immédiat, la bonne conjoncture du cours des matières premières permettait à Falconbridge de financer son développement sur ses ressources propres.

a alors évoqué le projet du Sud de la Nouvelle-Calédonie, notant que, paradoxalement, il s'agissait de celui qui suscitait actuellement des inquiétudes en raison des blocages et des manifestations dont il était la cible, alors que, il y a six mois, c'était celui du Nord qui nourrissait le plus les préoccupations en Nouvelle-Calédonie.

Elle a rappelé que le coût d'investissement total du projet Goro était actuellement estimé à environ de 2,15 milliards de dollars. Elle a précisé que la Société de Participation Minière du Sud Calédonien (SPMSC) regroupait les trois provinces, qui avaient repris la participation du BRGM fin 2004, et que cette participation remonterait à 10 % après le démarrage de l'usine en production commerciale, limitant ainsi le risque pour les partenaires locaux.

Elle a indiqué que, pour aider au redémarrage du projet en 2004, l'Etat avait confirmé l'enveloppe de défiscalisation déjà accordée sur le principe en 2001 pour un montant de 481 millions de dollars. La décision d'agrément ayant été signée le 30 décembre 2004, assortie du rappel d'une série d'engagements en matière environnementale que le groupe Inco devait impérativement respecter ainsi que d'un calendrier de suivi comportant un rapport semestriel à la direction générale des impôts. Elle a observé que l'avantage fiscal au bénéfice de l'industriel canadien représentait environ 140 millions de dollars, correspondant à un coût pour l'Etat de l'ordre de 170 millions de dollars. A cette aide directe s'ajoutait également le bénéfice de la défiscalisation accordée à la centrale électrique de Prony Energies, dont une tranche serait dédiée à la fourniture d'électricité à l'usine de Goro Nickel à un tarif négocié.

a jugé nécessaire de souligner quatre éléments particuliers liés au montage fiscal pour Goro :

- le taux de rétrocession, c'est-à-dire la fraction du gain fiscal qui revenait au projet, avait été fixé à un niveau supérieur aux 75 %, représentant le taux minimum légal, ce qui limitait de fait la rémunération des investisseurs à moins de 20 % au total sur 5 ans ;

- les obligations relatives aux normes environnementales devaient permettre de rassurer les populations locales et d'assurer un haut niveau de protection au site de Goro, auquel l'Etat souhaitait être très attentif ;

- l'attention particulière accordée au niveau d'exploitation de l'usine, afin que les installations industrielles soient exploitées à un taux d'utilisation élevé, à même de garantir un haut niveau d'emploi, ce qui était le but de la défiscalisation ;

- enfin, la défiscalisation de la centrale électrique avait été liée en partie à la décision de redémarrage du projet Goro et à la rétrocession d'une partie importante de l'avantage fiscal au travers d'un tarif d'électricité négocié avec Goro Nickel.

Elle a évoqué les effets pour la Nouvelle-Calédonie de ce projet, soulignant que l'activité devrait engendrer 2.500 emplois, dont 800 directs chez Goro-Nickel et que la société Inco estimait que sa production devrait susciter environ 113 millions d'euros de revenus annuels pour la Nouvelle-Calédonie, permettant à cette collectivité d'équilibrer sa balance commerciale par ses exportations et de faire progresser son produit intérieur brut entre 8 % et 10 %.

est alors revenue sur les difficultés actuelles du projet, rappelant que le site avait été l'objet de manifestations et de blocages épisodiques suscitant des inquiétudes. Elle a précisé que cette agitation était perceptible depuis le mois de novembre 2005 et s'inscrivait dans le contexte d'une instabilité liée au projet du Nord, à laquelle Inco ne pouvait échapper, ayant déjà lancé son OPA sur Falconbridge.

Elle a noté que les opposants avaient réitéré leur action les 1er et 2 avril 2006 à Goro Nickel en établissant un barrage sur la route menant au site, en commettant des dégradations sur plusieurs engins de chantiers et en endommageant des ouvrages et des tronçons de travaux en cours.

Face à cette situation, elle a noté que les services de l'Etat avaient mobilisé les forces de l'ordre pour rétablir l'ordre public et réuni une table ronde très large devant permettre l'instauration d'un dialogue afin d'obtenir un retour durable au calme. Toutefois, elle a relevé que les opposants au projet n'ayant pu être bien représentés lors de cette rencontre, les contacts se poursuivaient sur le plan politique.

Elle a remarqué que la sécurité sur le site était actuellement assurée par la présence sur place de deux escadrons de gendarmerie, hébergés sur le site du chantier de construction, leur présence ne pouvant toutefois être permanente et la pérennisation d'une situation de sécurité stable restant un souci majeur pour l'industriel.

a énuméré les trois principales revendications des opposants :

- l'environnement, un recours contre l'arrêté d'exploitation au titre des ICPE signé en octobre 2004 ayant été déposé, avec le soutien des ONG de défense de l'environnement ;

- la mise en place d'un Fonds Patrimoine à la disposition des « chefferies minières », ceci rejoignant sa proposition de redevance formulée en 2003 et soumise au gouvernement de Nouvelle-Calédonie, cette proposition ayant été soutenue par M. Henri Torre ;

- des buts plus politiques, voire « électoralistes » au sein des chefferies dont les chefs étaient en cours de renouvellement, cette situation laissant place à un certain flottement des autorités coutumières.

a précisé qu'une nouvelle table ronde se tiendrait le 14 juin, pour répondre à ces différents points, en présence des Présidents des trois provinces, qui soutenaient le projet de Goro Nickel.

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