Intervention de Patrick Légeron

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 27 janvier 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Patrick Légeron psychiatre et directeur général du cabinet stimulus auteur du rapport sur la détermination la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail

Patrick Légeron, psychiatre et directeur général du cabinet Stimulus :

A titre introductif, M. Patrick Légeron a souhaité apporter des précisions sémantiques. Pour désigner le mal-être au travail, la langue française possède en effet plusieurs mots : la souffrance, le stress, les risques psychosociaux. Tous décrivent le même phénomène, mais diffèrent dans leur approche de celui-ci. Le terme « souffrance » est sans doute le moins pertinent car il renvoie à un vécu subjectif et n'est pas utilisé au niveau international. Le mot « stress » est, lui, plus intéressant puisqu'il s'agit d'un concept scientifique employé dans le champ de la recherche biologique et de la recherche en sciences sociales. La notion de « risques psychosociaux », proche de celle de risques professionnels, est bien connue des entreprises. Quant au « mal-être », il s'oppose par définition au « bien-être », qui est la définition de la santé au sens de l'organisation mondiale de la santé (OMS). La terminologie française revêt donc, dans ce domaine, une connotation particulièrement négative, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des autres pays. Au Québec par exemple, le vocable utilisé est beaucoup plus positif : on parle de « santé psychologique au travail » ou d'« entreprises en santé ». L'entreprise finlandaise Nokia a nommé un manager « bien-être ».

Il est nécessaire de dépasser l'opposition artificielle entre l'approche des risques psychosociaux mettant l'accent sur leurs aspects individuels et médicaux et l'approche collective, centrée sur les conditions sociales de travail où naissent ces risques. Cette dichotomie a longtemps prévalu en France et nui à la qualité du débat sur les risques psychosociaux. Parce qu'ils se développent à la frontière entre la sphère privée (psychisme individuel) et la sphère sociale (les collectifs d'individus au travail), ils doivent faire l'objet d'une approche à la fois individuelle et collective. C'est en adoptant une telle démarche que certains pays, confrontés à des problèmes analogues aux nôtres, ont construit un indicateur d'observation des risques psychosociaux. Certes, la France dispose de nombreuses études et enquêtes sur le sujet, mais celles-ci ne font l'objet d'aucune approche globale et cohérente. La création d'un indicateur national permettrait à la fois d'avoir une vision plus synthétique de ces risques et d'intégrer tous leurs aspects (organisation du travail, conditions de travail, aspects relationnels, équilibre entre vie privée et vie professionnelle...). Une commission de l'Insee travaille actuellement à la réalisation de cet outil, qui devrait être utile non seulement aux pouvoirs publics pour mettre en oeuvre une politique nationale de prise en charge du mal-être au travail, mais aussi aux entreprises pour élaborer leur propre politique interne de prévention des risques psychosociaux.

Sur la question des suicides au travail, la France se heurte à deux problèmes : le premier est l'absence de statistiques fiables, le second tient à la réticence à envisager ce phénomène sous l'angle sanitaire. Le suicide au travail est trop souvent abordé sous son aspect social, en mettant l'accent sur le rôle des partenaires sociaux. Or, la question des suicides au travail revêt aussi une dimension sanitaire évidente, ce qui suppose d'impliquer les professionnels médicaux dans la politique de prévention. Beaucoup de pays, notamment la Finlande et le Luxembourg, combinent ces deux approches. La France devrait, à son tour, emprunter cette voie.

Les entreprises ont un rôle central à jouer dans la prévention des risques psychosociaux. Chacune d'entre elles doit élaborer une stratégie en matière de santé psychologique au travail qui implique l'ensemble des acteurs (direction, représentants des salariés, organisations syndicales, services de santé au travail), l'objectif étant de parvenir à un consensus social le plus large possible. Cette stratégie, pour être véritablement efficace, doit être conçue par l'équipe décisionnaire de l'entreprise et non reléguée - comme trop souvent aujourd'hui - aux services en charge des ressources humaines. Elle doit non seulement s'inscrire dans une approche globale des risques psychosociaux, individuelle et collective, mais aussi hiérarchiser les différents stades de prévention, en distinguant préventions primaire, secondaire et tertiaire.

Enfin, M. Patrick Légeron a estimé que la formation des managers est à réformer car elle n'intègre pas suffisamment la dimension humaine de la gestion des entreprises. Il faut passer, pour employer une formule, d'une gestion des ressources humaines à une gestion humaine des ressources. Les salariés ne sont pas une ressource que l'on forme, mute, licencie au gré de la volonté de leurs dirigeants. Alors que le travail est censé construire l'individu, le protéger, l'intégrer dans un collectif, il est aujourd'hui de plus en plus synonyme de souffrance et d'individualisme. Ceci est le résultat de méthodes de management particulièrement éprouvantes pour les salariés et de conditions de travail dégradées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion