Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires économiques — Réunion du 7 mai 2008 : 1ère réunion
Union européenne — Politique agricole commune - Audition de M. Michel Barnier ministre de l'agriculture et de la pêche

Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche :

En préambule, M. Michel Barnier a fait le point sur le dossier de la fièvre catarrhale ovine (FCO), et plus particulièrement sur les délais exigés par les autorités italiennes, avec l'aval des institutions communautaires, en matière de traitement des broutards français en vue de leur commercialisation : un mois entre la première et la seconde vaccination et deux mois après cette dernière et l'exportation. 200.000 animaux sont actuellement stockés et engraissés en attendant de pouvoir être commercialisés. La France a réalisé, la première, un important effort de vaccination, en mettant à disposition 40 millions de doses de vaccin disponibles progressivement sur tout le territoire, au fur et à mesure de leur fabrication par les laboratoires, et il a été obtenu un raccourcissement du second délai de quatre semaines imposé par l'Italie qui doit permettre dans les tout prochains jours la reprise des exportations de broutards.

A moins de deux mois du début de la présidence française de l'Union européenne, il a rappelé le double enjeu de son action, à savoir la promotion d'une agriculture stratégique durable d'une part, et la mise en oeuvre de politiques publiques en faveur des agricultures dans le monde, d'autre part. Insistant sur la dimension européenne et internationale de la politique agricole dans la promotion de la sécurité alimentaire mondiale, que la France défend ardemment, bien au-delà de ses propres intérêts économiques, il a jugé que les émeutes de la faim actuelles ne pouvaient en aucun cas trouver une solution dans le démantèlement de ces politiques, parce que la cause en incombait au recul de l'investissement dans le secteur agricole, et non au seul dumping agricole pratiqué par les pays développés. Constatant l'échec des politiques agricoles des pays en voie de développement (PVD), tournées uniquement vers l'exportation de produits agricoles, en-dehors de toute considération des besoins alimentaires de leurs populations, il s'est félicité de ce que des institutions internationales telles que la Banque mondiale se mobilisent afin de garantir la sécurité alimentaire dans le monde par la mise en oeuvre de projets agricoles régionaux permettant une mutualisation de la gestion des risques et de la production. Il a illustré son propos en annonçant l'organisation d'une conférence à Bruxelles, le 3 juillet prochain, intitulée « Qui va nourrir le monde ? ».

Dans le cadre de la préparation de la présidence française de l'Union européenne, il a exposé sa double ambition de conclure le bilan de santé de la PAC, ainsi que d'ouvrir le débat avec les 26 autres Etats membres sur sa réforme, qui sera négociée en même temps que les perspectives financières 2013-2020.

S'agissant du bilan de santé de la PAC, il s'est déclaré raisonnablement optimiste après le Conseil des ministres du 17 mars dernier. Dans l'attente de la proposition de règlement de la commission, le 20 mai prochain, il a indiqué que ce bilan donnait lieu à un véritable débat politique. Evoquant la position initiale de la Commission qui, d'inspiration très libérale, recommande un abandon progressif des outils de régulation des productions et préconise la transformation de la PAC en une politique de développement rural par une augmentation de la modulation, il a tenu à rappeler l'accueil « courtois », mais sans concession, que la France avait réservé à ces orientations.

Se félicitant du travail exemplaire de la présidence slovène, qui a pris en compte les préoccupations des Etats membres lors du Conseil des ministres du 17 mars dernier, ainsi que des nombreux échanges avec la commissaire européenne à l'agriculture, Mme Mariann Fischer Boel, et ses homologues, il s'est déclaré satisfait d'avoir défendu avec succès et force une PAC plus prévoyante, plus équitable et plus durable. Il a précisé avoir pour objectif, dans le cadre de cette première étape, de consolider la dimension économique de la PAC et d'introduire le plus de souplesse possible à l'intérieur du premier pilier.

Il a ensuite présenté ses deux objectifs dans les négociations européennes, d'une part la rénovation des mécanismes de stabilisation des marchés dans l'intérêt des consommateurs et des agriculteurs et, d'autre part, un soutien aux productions plus en phase avec les réalités des marchés et les objectifs d'une agriculture durable et territorialisée.

Il a fait observer que la rénovation des mécanismes de stabilisation des marchés, point fort de la négociation, devait se traduire par la mise en place d'un dispositif de gestion des risques climatiques et sanitaires. Il s'est félicité du changement de position de la Commission quant au financement de ce dispositif. Alors que celle-ci ne l'avait envisagé initialement que dans le cadre du second pilier, elle prévoyait désormais d'en assurer le financement dans le premier pilier, conformément au souhait de la France.

Il a ajouté qu'un autre levier au service de cette stabilisation des marchés résidait dans une plus grande responsabilisation des filières et une sécurisation juridique de leurs moyens d'intervention. Le mémorandum demandé par le Président de la République tend notamment à l'organisation des interprofessions pour une meilleure mutualisation des moyens et services et a été bien accueilli par une dizaine d'Etats membres lors de sa présentation au Conseil, même si la Commission a émis quelques réticences au regard du droit de la concurrence.

Annonçant avoir obtenu le maintien des mécanismes de gestion des marchés, comme les mesures d'intervention, il a affirmé demeurer très vigilant sur les projets de règlements, dont celui sur les céréales. S'agissant des quotas laitiers, il a fait valoir qu'il n'y avait aujourd'hui aucune minorité de blocage pour s'opposer à leur suppression à partir de 2014/2015 sous réserve, cependant, de deux conditions qu'il a estimées non négociables : la contractualisation de la production et un soutien à la production laitière en montagne.

Satisfait des ouvertures proposées par le texte du Conseil sur l'objectif de stabilisation des marchés, dont il a souligné que la négociation ne faisait que commencer, il a abordé le second objectif de son ministère, à savoir le meilleur équilibre du soutien entre les productions et les objectifs d'une agriculture durable et territorialisée. Il a soutenu l'ouverture du champ de l'article 69, devenu dans les projets de règlements l'article 58. Il s'agit de réorienter les aides à l'intérieur du premier pilier pour un meilleur soutien à certaines filières telles que le secteur ovin, celui du lait en montagne, l'agriculture biologique, les fruits et légumes, les protéagineux et plus généralement l'ensemble des productions animales à l'herbe.

Une telle redistribution est très ambitieuse, la Commission européenne n'ayant envisagé l'utilisation de l'article 69 que pour soutenir la production de lait en montagne après la suppression des quotas laitiers en 2015. Il convient d'obtenir une plus grande souplesse sur le taux de prélèvement dans le cadre de cet article, limité aujourd'hui à 10%, sur ses modalités et sur son utilisation.

Rappelant les enjeux de l'évolution de la PAC à l'horizon 2012 et la nécessaire adaptation de la position française, il a affirmé la nécessité d'une réduction des écarts entre les niveaux de soutien, les références historiques françaises ne pouvant, à cet égard, être maintenues, et émis des réserves quant à la régionalisation des aides, constatant qu'une prime unique à l'hectare n'était pas la voie nécessairement la plus adaptée pour garantir la légitimité et la pérennité de la PAC de l'après 2013. Il s'est déclaré, au contraire, favorable à une diversification de ses outils pour faire face aux risques, à un meilleur équilibre dans la répartition des aides et au maintien d'outils d'orientation des productions.

Puis il a exprimé ses réserves sur la proposition de la Commission d'une modulation des aides de 2 % par an à partir de 2010 pour renforcer le second pilier, pour des raisons notamment budgétaires. La PAC doit conserver des objectifs ambitieux et promouvoir une agriculture vertueuse sur le plan environnemental, ce qui autorise une réorientation des aides du premier pilier vers des systèmes de production durables. Observant qu'un grand nombre de partenaires européens, dont notamment les nouveaux Etats membres et l'Allemagne, partageaient ses réticences face au renforcement du second pilier, il est toutefois convenu que la Commission ne semblait pas, à ce jour, sensible à ses arguments sur ce point.

En conclusion sur le bilan des négociations sur la PAC, il a évoqué les contraintes imposées par le calendrier communautaire, notamment en raison des élections européennes et du renouvellement de la Commission à venir. Il convient de rester vigilant et actif dans la perspective d'obtenir simultanément, pour la mi-novembre, un accord politique au Conseil des ministres de l'agriculture et un avis favorable du Parlement européen sur ce compromis dans le cadre nouveau de la co-décision, début 2009.

A propos de l'ouverture du débat sur la PAC de l'après 2013, il a jugé que la présidence française devait être utilisée afin d'anticiper et d'éviter que le « temps budgétaire » ne conditionne et ne contraigne le « temps politique ». Il a jugé crucial, au regard de ces enjeux, d'ouvrir le débat avant les discussions budgétaires, qui débuteront dès 2010. Il a insisté sur la position française consistant à promouvoir l'agriculture comme un actif stratégique ambitieux pour l'Europe. La PAC, qui s'inscrit dans un monde sans cesse en mouvement, doit être élaborée avec la Commission, le Parlement européen et toutes les forces vives, dont les agriculteurs, pour une meilleure une politique alimentaire, agricole et territoriale.

Défendant son ambition de placer l'agriculture au coeur des enjeux majeurs de la planète, il a annoncé que le renforcement des contrôles sanitaires aux frontières européennes constituait aujourd'hui une priorité, ajoutant à cet égard que l'alimentation des Européens et leur cadre de vie ne devaient pas être abandonnés à la spéculation financière et au moins-disant sanitaire ou environnemental.

De tels objectifs seront débattus à Annecy les 21, 22 et 23 septembre prochains lors du conseil informel, en vue de dégager un consensus parmi les 27 participants. Il faut éviter toute interférence avec l'exercice sur le bilan de santé, l'objectif de la France étant l'adoption d'un texte sur les principes et l'avenir de la PAC lors du Conseil des ministres de l'agriculture de décembre, juste après l'accord prévu sur ce bilan de santé.

Après avoir fait observer que cette politique agricole ne pouvait exister sans une préférence européenne renforcée, il a déclaré, s'agissant des négociations menées dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce (OMC), que la France s'opposait à la conclusion d'un accord à tout prix. Rappelant l'ensemble des efforts de l'Union européenne sur le soutien à l'exportation et l'accès au marché, et jugeant qu'aucune avancée n'avait été enregistrée sur les autres volets de la négociation, il a réfuté également l'idée qu'un accord à l'OMC constituerait la solution aux actuelles émeutes de la faim. Un grand nombre d'études montrent que les pays les plus pauvres, notamment d'Afrique sub-saharienne, seraient particulièrement désavantagés par un tel accord global.

Pour résoudre la crise alimentaire, il ne s'agit pas seulement de produire dans les zones rentables ou développer les échanges, mais de produire davantage et de façon efficiente dans toutes les régions du monde. L'augmentation de la production agricole sur l'ensemble de la planète, et particulièrement en Afrique, constitue la clé de la sécurité alimentaire, comme en témoignent également les préconisations de la Banque mondiale dans son dernier rapport sur l'agriculture.

Concluant sur la place de l'agriculture dans l'Union européenne, qu'il a présentée comme étant tout à la fois une puissance politique, un marché régulé et une communauté solidaire avec des politiques intégrées, il s'est déclaré convaincu de la nécessité de défendre la politique agricole comme outil stratégique de développement national et international.

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