Intervention de Francis Delon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 janvier 2009 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 — Audition de M. Francis delOn secrétaire général de la défense nationale

Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale :

a tout d'abord rappelé, dans ses grandes lignes, l'analyse du contexte stratégique effectuée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a inspiré la préparation du projet de loi de programmation militaire.

Il a évoqué les différents types de crises ou de conflits pouvant affecter la sécurité de la France et il a plus particulièrement mentionné trois menaces qui se sont accrues ces dernières années et placent notre pays et l'Europe dans une situation de plus grande vulnérabilité directe.

Le terrorisme mondial d'inspiration islamiste est la première d'entre elles et constitue une menace durable pour notre territoire ou pour nos ressortissants et nos intérêts à l'étranger. Des tendances particulièrement inquiétantes apparaissent dans le recrutement et la formation des terroristes : un profil de plus en plus anodin les rendant difficilement détectables, une facilité de déplacement accrue grâce à la banalisation des transports internationaux et une grande diversification de leurs modes d'action testés dans les zones de combat et souvent diffusés via l'internet.

La prolifération nucléaire, radiologique, biologique et chimique constitue également une menace majeure qui, conjuguée à la prolifération balistique, constitue dès aujourd'hui un enjeu primordial pour la sécurité internationale.

Enfin, le Livre blanc a mis en exergue l'importance d'une menace nouvelle, la cyber menace, dont le rapport de M. Roger Romani publié en juillet a détaillé les implications.

La mondialisation des risques et menaces a pour effet d'estomper la distinction entre la sécurité extérieure et intérieure, une continuité se créant entre les situations de crise ou de conflit, même dans les points les plus éloignés de la planète, et le risque qui pourrait en résulter pour nos intérêts.

Le Livre blanc a identifié quatre zones critiques pour la sécurité de la France : le continent européen, l'Afrique sub-saharienne, l'Asie et un arc de crise s'étendant de l'Atlantique à l'ouest de l'Afrique jusqu'à l'Océan indien. Le risque, nouveau, d'une connexion des conflits se dessine ainsi, entre le Proche et le Moyen-Orient et la région du Pakistan et de l'Afghanistan.

Innovation majeure, le Livre blanc prend en compte de façon globale nos intérêts de sécurité, sans les limiter aux questions militaires, et il définit une stratégie de sécurité nationale répondant à l'ensemble des risques et des menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation. Il souligne également l'ambition européenne et internationale de la France pour laquelle l'Union européenne doit devenir un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale, en complémentarité avec l'OTAN dont la rénovation est nécessaire.

Cette stratégie de sécurité nationale repose sur un équilibre nouveau entre cinq grandes fonctions stratégiques : la connaissance et l'anticipation, érigées en priorité, qui constituent notre première ligne de défense et doivent garantir notre autonomie de décision ; nos capacités de prévention des conflits, grâce notamment à nos moyens pré-positionnés ; la protection de la population et du territoire français, qui implique de pouvoir protéger la nation face à des crises de grande ampleur tout en augmentant sa capacité de résilience ; la dissuasion nucléaire, qui demeure un fondement essentiel de la stratégie nationale et constitue la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance de la France ; enfin, la capacité d'intervention, avec l'objectif de pouvoir projeter jusqu'à 7 000 à 8 000 km une force terrestre pouvant comporter 30 000 hommes déployables en six mois pour une durée d'un an, force à laquelle s'ajoutent 70 avions de combat, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.

Le projet de loi de programmation militaire traduit des choix capacitaires et budgétaires cohérents avec les orientations du Livre blanc.

De la priorité accordée à la nouvelle fonction « connaissance et anticipation » résulte un effort dans le domaine du renseignement. Les effectifs des services de renseignement seront ainsi renforcés de près de 700 personnes durant la période de la LPM. En matière d'observation spatiale, les satellites optiques du système Pléiades à partir de 2010 et le programme européen MUSIS permettront de compléter ou de renouveler les capacités actuelles.

S'agissant de la protection, une capacité de détection et d'alerte avancée sera progressivement développée pour faire face aux menaces balistiques potentielles ; deux microsatellites préparatoires Spirale seront lancés cette année et le développement d'un satellite de détection opérationnel débutera en 2011 pour une mise en service en 2019 conformément à l'objectif du Livre blanc.

Face à la menace informatique, la protection des réseaux sera coordonnée par une nouvelle agence de la sécurité des systèmes d'information placée sous la tutelle du futur secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Dans le domaine NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), la modernisation des unités NRBC des armées sera achevée en 2010. La coordination civilo-militaire sera renforcée avec la création d'un comité stratégique interministériel de défense NRBC qui s'est déjà réuni le 19 décembre dernier, et le renforcement de l'interopérabilité entre unités NRBC de protection civile et militaire.

En matière d'intervention, le transport stratégique et tactique ainsi que la protection des forces constituent des priorités.

a ensuite présenté les conséquences des orientations du Livre blanc sur l'organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité nationale.

Un conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le chef de l'État, se substituera au conseil de défense et au conseil de défense restreint, et, pour partie, au conseil de sécurité intérieure créé en 2002. Ses compétences porteront sur l'ensemble des questions de défense et de sécurité nationale. Il traitera de sujets tels que la programmation militaire, la politique de dissuasion, la programmation de sécurité intérieure, la sécurité économique et énergétique, la lutte contre le terrorisme ou encore la planification des réponses aux crises majeures.

Ce conseil pourra se réunir en formations spécialisées, comme le conseil national du renseignement, ou en formation restreinte, pour traiter par exemple des questions touchant à la conduite des opérations extérieures.

Le conseil national du renseignement, présidé par le Président de la République, se substitue à l'actuel comité interministériel du renseignement présidé par le Premier ministre, en ayant des fonctions plus larges que le comité. Il fixera les grandes orientations et répartira les objectifs assignés aux services de renseignement. Il réunira les membres du Conseil de défense et de sécurité nationale, ainsi que le coordonnateur national du renseignement nommé à la Présidence de la République, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le coordonnateur national du renseignement, point d'entrée des services de renseignement auprès du Président de la République, veillera à la planification des objectifs et des moyens du renseignement. Il préparera les décisions du conseil national du renseignement et en suivra l'exécution. Cette volonté de piloter et de coordonner les activités de renseignement au plus haut niveau de l'État illustre très concrètement l'importance accordée à la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation ».

Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, SGDSN, reprendra les attributions de l'actuel SGDN en les étendant aux champs élargis de la sécurité nationale, au sens défini par le Livre blanc. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale assurera ainsi le secrétariat de tous les conseils - conseils en formation plénière ou en formations spécialisées, et conseils restreints.

Ces différentes dispositions seront complétées par des textes réglementaires d'application. Elles s'accompagneront d'une refonte plus globale des dispositions du code de la défense (notamment issues de l'ordonnance de 1959 portant organisation générale de la défense) devenues obsolètes au regard des orientations du Livre Blanc.

a également détaillé les dispositions des articles 12 à 14 du projet de loi, qui concernent la protection du secret de la défense nationale et visent à remédier à une lacune et à un déséquilibre du dispositif légal actuel, dommageables pour les intérêts de l'Etat, en conciliant les deux intérêts publics que sont la mission du service public de la justice et la préservation du secret de la défense nationale.

En l'état des textes en vigueur, la consultation de documents, telle qu'elle peut être effectuée lors d'une perquisition, est susceptible de constituer une compromission sanctionnée par les dispositions relatives à la protection du secret de la défense nationale.

De façon très paradoxale, le dispositif législatif et réglementaire protège mieux, en cas de perquisition, les secrets professionnels privés, tels ceux des avocats, des avoués, des huissiers, des médecins et des journalistes, que les secrets de la défense nationale.

Le Conseil d'Etat a indiqué, dans un avis du 5 avril 2007, que ni les juges, ni les officiers de police judiciaire mandatés par les juges, n'ont qualité pour connaître des secrets de la défense nationale. Il a explicitement souligné la nécessité de légiférer pour instaurer des règles précises de nature à permettre l'intervention de l'autorité judiciaire dans des lieux où peuvent se trouver des informations classifiées.

Le dispositif proposé permet aux magistrats d'exercer pleinement leurs fonctions tout en leur évitant les risques de compromission grâce à l'intervention du président de la commission consultative du secret de la défense nationale, autorité administrative indépendante créée par la loi du 8 juillet 1998.

La première modification proposée par le projet de loi vise à organiser d'une manière plus protectrice du secret de la défense nationale les perquisitions dans les lieux qui abritent des documents classifiés. Les magistrats pourront continuer à effectuer des perquisitions dans de tels lieux, s'ils estiment que celles-ci sont nécessaires à l'enquête et à l'instruction, mais le projet prévoit la présence obligatoire du président de la commission consultative du secret de la défense nationale ou de l'un de ses représentants. Celui-ci pourra avoir accès aux documents classifiés sans risque de compromission et pourra donc, en fonction du motif des recherches indiqué par le juge, faire le tri des documents qui pourraient être utiles à ce dernier. Dans un deuxième temps, la procédure habituelle d'éventuelle déclassification des documents sera mise en oeuvre, après que la commission aura donné son avis.

La liste des lieux abritant des documents classifiés devra être établie par l'administration. Le juge y aura accès et pourra donc prendre les dispositions nécessaires lorsque ses investigations le conduisent dans de tels lieux.

La seconde modification majeure consiste à introduire la notion de lieux classifiés. Il s'agira des lieux dont le simple accès donne, immédiatement et nécessairement, connaissance d'un secret de la défense nationale. La liste de ces lieux sera très limitative et comportera des installations militaires ou de renseignement couvertes par le secret de la défense nationale, tels que certains centres de commandement ou centres opérationnels liés à la dissuasion nucléaire, ou bien des lieux qui sont liés au renseignement électromagnétique ou par imagerie. La liste de ces lieux sera fixée par le Premier ministre, après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale.

Si une perquisition dans de tels lieux s'avérait nécessaire, le projet de loi prévoit qu'il serait possible de procéder à leur déclassification temporaire pour permettre au magistrat d'y pénétrer. Cette déclassification s'effectuerait après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale.

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