Intervention de Pascal Clément

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2007 : 1ère réunion
Justice — Recrutement formation et responsabilité des magistrats - procédure pénale - Audition de M. Pascal Clément garde des sceaux ministre de la justice

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

Après avoir rappelé que le drame d'Outreau avait suscité une réelle attente de l'opinion publique pour réformer le fonctionnement de la justice, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que l'adoption de solutions de nature à éviter un nouveau drame ne pouvait être reportée après les échéances électorales.

Prenant acte des critiques formulées à l'égard de la présente réforme, il a déclaré avoir la conviction qu'elle constituait une étape nécessaire pour permettre aux Français de retrouver leur confiance dans la justice.

Il a estimé que le projet de réforme de la procédure pénale apportait des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.

Il a indiqué que, pour mettre fin à la solitude du juge d'instruction, des pôles de l'instruction, compétents pour les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes donnant lieu à une co-saisine, seraient créés.

Il a précisé que ces pôles garantiraient l'effectivité des co-saisines et que ces dernières pourraient désormais être imposées par le président de la chambre de l'instruction, même sans l'accord du magistrat initialement saisi.

Il a estimé que la création des pôles permettrait de confier les affaires les plus complexes à des magistrats expérimentés et de faire travailler en binôme, à travers la co-saisine, les nouveaux juges d'instruction avec les plus anciens, et, plus généralement, de faire acquérir la culture du travail en équipe aux juges d'instruction.

Précisant que les pôles de l'instruction auraient en principe un ressort départemental, il a indiqué que, compte tenu de certaines particularités locales, des pôles pourraient toutefois s'étendre à plusieurs départements et que certains départements pourraient bénéficier de plusieurs pôles.

Il a insisté sur le fait que chaque tribunal de grande instance conserverait un juge d'instruction, chargé des affaires correctionnelles simples, et que les affaires resteraient jugées par la juridiction territorialement compétente.

Il a annoncé que les frais de déplacements supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l'instruction seraient pris en charge dans le cadre de la réforme.

a indiqué que, pour faciliter le fonctionnement des pôles, il avait décidé d'une part, d'accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales, expérimentée par une centaine de tribunaux de grande instance actuellement, afin de favoriser l'accès en temps réel aux dossiers, et d'autre part, d'étendre l'utilisation de la visioconférence pour limiter les déplacements.

Affirmant que les pôles constituaient la première étape vers la collégialité de l'instruction, il a estimé que la mise en oeuvre immédiate de cette dernière aurait été impossible car impliquant environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffes supplémentaires.

Il a rappelé que tout en inscrivant le principe de la collégialité de l'instruction dans la loi, l'Assemblée nationale avait pris en compte cette contrainte en fixant l'entrée en vigueur de la collégialité dans un délai de cinq ans.

Il a déclaré que le projet de loi renforçait le caractère exceptionnel de la détention provisoire en limitant l'utilisation du critère du trouble à l'ordre public en précisant que ce dernier ne pourrait plus être employé en matière correctionnelle que pour le placement initial en détention provisoire.

Il a indiqué que le texte prévoyait également l'assistance obligatoire du mis en examen par un avocat lors du débat sur la détention provisoire et permettait au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat en vue de favoriser le recours au contrôle judiciaire.

a souligné l'importance du renforcement du contrôle de la chambre de l'instruction sur le déroulement des informations par l'institution d'une audience garantissant l'examen public et contradictoire de tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu'une personne est détenue.

Rappelant que le projet initial du Gouvernement fixait à six mois le délai à l'issue duquel pouvait se tenir cette audience publique, il a relevé que l'Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, avait ramené ce délai à trois mois, considérant qu'il était nécessaire dans certains cas d'avoir plus rapidement un contrôle approfondi de la chambre de l'instruction.

Il a ajouté que ce contrôle des chambres de l'instruction sur les cabinets des juges d'instruction serait aussi conforté par la mise en place d'assesseurs permanents au sein de ces chambres à partir de septembre 2007, lorsque l'activité de ces dernières le justifierait.

Il a noté que la transparence de la justice serait améliorée avec la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l'enregistrement audiovisuel, en matière criminelle, des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction.

Il a expliqué que la publicité de ces audiences serait désormais le principe mais que certains gardes fous seraient posés pour préserver l'efficacité des investigations et la nécessaire sérénité des débats.

Déplorant le fait que l'enregistrement des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction soit souvent interprété, à tort, comme une mesure de défiance à l'égard des forces de police et des magistrats, il a affirmé qu'il permettait au contraire de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l'objet ces interrogatoires.

Il a indiqué que ces enregistrements pourraient être consultés en cas de contestation et qu'ils permettraient par conséquent de mieux sécuriser les procédures.

Notant que certains acteurs du monde judiciaire contestaient l'utilité de prévoir ces enregistrements devant le juge d'instruction, considérant que la présence de l'avocat et du greffier permettraient de s'en dispenser, il a reconnu la différence de nature entre l'interrogatoire en garde à vue et devant le juge d'instruction, mais a considéré qu'il n'était pas envisageable, dans une société de plus en plus transparente, de refuser les garanties pouvant être apportées par les nouvelles technologies.

Ajoutant que des déplacements en Angleterre et en Italie lui avaient permis de constater que l'utilisation de tels enregistrements y était aujourd'hui appréciée, il a précisé qu'il avait paru préférable au Gouvernement de limiter dans un premier temps leur usage aux affaires criminelles et aux personnes mises en examen.

Il a assuré que le rapport demandé par l'Assemblée nationale permettrait de faire un bilan d'application de ces dispositions après deux ans et d'envisager, le cas échéant, leur extension.

Rappelant que le caractère contradictoire de l'instruction avait fait défaut dans l'affaire Outreau, il a annoncé que la mise en examen pourrait dorénavant être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et que des confrontations individuelles pourraient être demandées.

Il a signalé que le caractère contradictoire des expertises serait également conforté par l'information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cette information nuit à l'efficacité des investigations, par la possibilité de désigner un coexpert au choix de ces parties, et par la suppression du filtre du président de la chambre de l'instruction en cas d'appel du refus d'une contre expertise.

Il a affirmé que le règlement des informations serait aussi plus contradictoire avec l'obligation pour le juge de statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties, et la possibilité pour ces dernières de répliquer à ces réquisitions ou observations, ajoutant que l'ordonnance de renvoi devrait préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

a insisté sur l'importance du renforcement, par le projet de loi, du caractère obligatoire de l'enregistrement des auditions des mineurs victimes et de l'assistance d'un avocat, le cas échéant commis d'office, pour ces derniers, lors de leurs auditions devant le juge d'instruction.

Estimant que la crédibilité de la justice passait aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter, autant que faire se peut, les informations judiciaires injustifiées, il a rappelé que, conformément aux conclusions du rapport Magendie, le projet de loi supprimait l'extension jurisprudentielle de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l'état », cette règle n'étant maintenue que pour l'action civile engagée en réparation du dommage causé par l'infraction.

Prenant l'exemple d'une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l'employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement aux prud'hommes, il a indiqué qu'une telle procédure n'aurait désormais plus l'effet recherché et que cette réforme devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile et, par conséquent, celui des informations.

Il a déclaré qu'en matière délictuelle, la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile serait subordonnée au refus de poursuites ou à l'inaction du parquet pendant trois mois.

Evaluant le coût de l'ensemble de la réforme à 30 millions d'euros pour le ministère de la justice, il a précisé qu'elle nécessiterait en particulier la création de 70 postes nouveaux de magistrats, pourvus par redéploiement, et de 102 emplois de fonctionnaires de greffe.

Indiquant que ce financement ne figurait pas dans le projet de loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépendait du périmètre définitif de la loi et de son calendrier de mise en oeuvre, il a assuré que le Gouvernement abonderait en tant que de besoin les crédits du ministère de la justice lorsque la loi serait promulguée.

Evoquant le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné, à titre liminaire, la nécessaire actualisation des dispositifs de formation et de discipline des magistrats.

Affirmant qu'un bon magistrat devait, avant de décider, douter, écouter et examiner tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en cause, il a estimé que le stage préalable obligatoire constituait le seul moyen de vérifier le respect de ces règles par un futur magistrat.

Précisant que désormais, pour toutes les voies d'accès à la magistrature, ce stage aurait un caractère probatoire obligatoire avant la nomination dans les premières fonctions, il a jugé cette généralisation d'autant plus justifiée que l'Assemblée nationale, par amendements, avait ouvert l'accès au corps judiciaire à des candidats bénéficiant déjà d'une expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Cette diversification du recrutement lui semblant insuffisante, il a plaidé pour un allongement de la durée du stage des auditeurs de justice au sein de cabinets d'avocats, actuellement de deux mois, afin de permettre un rapprochement entre les professions d'avocat et de magistrat.

Soucieux de préserver l'architecture de la formation à l'école nationale de la magistrature (ENM) et opposé à l'allongement éventuel de la durée de cette formation, il a exclu la possibilité de supprimer les stages actuels permettant aux auditeurs d'apprendre les techniques de rédaction, d'entretien ou de se familiariser avec les services de police ou l'administration pénitentiaire, invitant le Sénat à trouver un juste équilibre entre ces différents impératifs.

Partageant avec les députés le souci d'ouverture de la magistrature, le Gouvernement a accepté la mobilité obligatoire pour les magistrats introduite par l'Assemblée nationale, cette mobilité conditionnant l'accès aux fonctions les plus élevées de la magistrature (environ 10 % du corps judiciaire). Il a constaté que cette mesure s'inscrivait dans le cadre de la réflexion demandée au Premier Président de la Cour de Cassation, sur la formation spécifique des chefs de juridiction.

Jugeant sensible l'adaptation du régime disciplinaire des magistrats, car liée à l'indépendance de l'autorité judiciaire, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que la réforme proposée s'inscrivait dans les limites posées par l'avis du Conseil d'Etat du 19 octobre dernier.

Il a précisé que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale prévoyait de sanctionner la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive :

- le critère de la violation intentionnelle signifie que le magistrat, consciemment, n'a pas respecté les règles de procédure ;

- la référence à la violation grave permet de tenir compte des conditions matérielles d'exercice des fonctions judiciaires, qui contraignent parfois à s'écarter délibérément de certaines règles procédurales ; le manque de greffiers au sein des juridictions peut par exemple contraindre un juge des enfants à statuer seul dans son cabinet en matière d'assistance éducative, et ainsi, à commettre une violation intentionnelle d'une garantie essentielle des droits des parties, sans que cette violation soit grave, une violation grave devant être interprétée comme faisant grief à une partie en la privant d'un moyen de défense ou nuisant à l'impartialité du juge ;

- la prise en considération des garanties essentielles des parties pour décider de sanctionner un magistrat permet d'éviter la paralysie de la justice, en autorisant par exemple l'engagement d'une action disciplinaire à l'encontre d'un magistrat ayant convoqué un avocat par une lettre simple plutôt que par une lettre recommandée ;

- l'exigence d'une violation intervenant dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive pour sanctionner le magistrat répond aux remarques du Conseil d'Etat pour lequel, d'une part, l'absence de cette mention introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire et, d'autre part, le conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne doit pouvoir statuer en matière disciplinaire qu'une fois la procédure judiciaire close.

Il a ajouté que la solution retenue permettrait d'éviter que la voie disciplinaire ne puisse être utilisée dans le cadre d'une instance en cours pour déstabiliser un magistrat et que la rédaction adoptée s'inscrivait dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Rappelant que l'Assemblée nationale avait souhaité, avec l'accord du Gouvernement, que le CSM soit chargé d'élaborer et de rendre public un recueil des obligations déontologiques des magistrats, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que cette innovation renforcerait l'effectivité de la responsabilité des magistrats.

Estimant que les événements récents avaient démontré l'inaptitude de certains magistrats à exercer l'ensemble des fonctions judiciaires, il a jugé opportun, lorsque l'encadrement d'un magistrat était nécessaire, de lui interdire, pour une durée déterminée, d'exercer des fonctions à juge unique.

Dénonçant l'impossibilité actuelle d'écarter immédiatement de l'exercice de toute fonction juridictionnelle un magistrat dont le comportement révèle des problèmes pathologiques, il a jugé utile de permettre au garde des sceaux, sur avis conforme du CSM, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, appelé à statuer dans un délai de six mois.

Il a rappelé la volonté des Français de voir développés les contrôles externes sur le fonctionnement de l'autorité judiciaire.

Constatant qu'il n'existait pas en l'état du droit, d'autorité extérieure à l'institution judiciaire habilitée à recueillir, examiner et donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats, il a jugé utile de confier cette tâche au Médiateur de la République, institution désormais connue et respectée par les Français.

Rappelant qu'en 2004, 23 % des 57.000 dossiers dont le Médiateur avait été saisi concernaient un dysfonctionnement de la justice, il a constaté l'écho important que recueillait chaque année dans l'opinion son rapport d'activité et la rigueur dont il faisait preuve à la fois dans le traitement des saisines et dans les conclusions qu'il en tire.

Le Médiateur de la République lui a semblé la seule autorité compétente pour recevoir les réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d'un magistrat. Celui-ci pourra transmettre au garde des sceaux une réclamation jugée sérieuse et si ce dernier décide de ne pas engager de poursuites disciplinaires, il devra en informer le Médiateur par une décision motivée.

Afin de donner un caractère public et officiel à une éventuelle saisine du garde des sceaux par le Médiateur, il a indiqué qu'à la suite des réponses de ce dernier, un rapport spécial établi par cette autorité serait publié au journal officiel.

Il a rappelé que conformément à la volonté des députés de renforcer l'information du Médiateur pour lui permettre d'identifier les réclamations « sérieuses », le Médiateur pourrait demander aux chefs de cour d'appel tous les éléments d'information utiles à ses investigations, ajoutant que la Chancellerie mettrait à sa disposition les moyens nécessaires pour faire face à ses nouvelles missions.

a conclu son propos en soulignant que les textes soumis à l'examen du Sénat constituaient un rééquilibrage majeur de la procédure pénale et un approfondissement de la responsabilité des magistrats, et qu'ils permettraient à l'institution judiciaire d'intervenir de façon plus transparente et mieux comprise des justiciables, dans un plus grand respect des droits des parties.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion