Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 avril 2011 : 1ère réunion
Mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Notre commission s'est attachée, dès la loi de finances rectificative pour 2010, à procéder à un suivi régulier des investissements financés par l'emprunt national. Nous avons ainsi examiné l'ensemble des projets de conventions signées entre l'Etat et les opérateurs gestionnaires, et nous auditionnons régulièrement René Ricol, commissaire général à l'investissement, la dernière audition ayant eu lieu le 29 mars dernier.

Depuis la fin du mois de mars, notre commission a été destinataire de trois lettres du commissaire général à l'investissement, que le Président Arthuis a transmises à l'ensemble des commissaires. Ces courriers portent sur :

- la modification de la répartition initiale des crédits en faveur des instituts hospitalo-universitaires (IHU) ;

- le redéploiement des crédits en faveur des prêts dits « verts » ;

- un projet d'avenant à la convention conclue entre l'Etat et l'office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA).

Nous pourrions adresser au Premier ministre nos observations sur ces trois courriers, comme nous avons eu l'habitude de le faire pour les projets de convention.

En ce qui concerne le redéploiement des crédits en faveur des IHU et des prêts dits « verts », je souhaite indiquer à titre liminaire que, par l'envoi de ces deux lettres, le Commissariat général à l'investissement a non seulement respecté la lettre de la loi de finances rectificative, mais aussi son esprit.

Sur le fond, ces deux mesures paraissent globalement justifiées. René Ricol, auditionné devant notre commission le 29 mars dernier, a d'ailleurs eu l'occasion de les présenter et de les justifier.

S'agissant des IHU, l'emprunt national devrait en définitive financer six instituts et quelques chaires de recherche, soit un champ d'intervention plus large que celui envisagé par la loi de finances qui ne prévoyait le financement que de cinq IHU.

Trois observations peuvent être formulées :

- première observation : le montant de l'enveloppe resterait inchangé, soit 850 millions d'euros dont 680 millions non consomptibles ;

- deuxième observation : il conviendra de s'assurer que les nouvelles opérations financées ne conduisent pas à un « saupoudrage » de crédits. René Ricol nous a quelque peu rassurés sur ce point ;

- troisième observation qui porte sur les procédures de sélection des projets : celles-ci ont fait l'objet d'assez fortes polémiques, en ce qui concerne d'ailleurs davantage des laboratoires d'excellence que les IHU. En tant que parlementaires, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les projets retenus ; cela ne relève pas de notre compétence. Néanmoins, nous devons rappeler, comme nous l'avons fait depuis le départ, notre attachement à des processus de sélection les plus transparents et les plus objectifs possibles.

En ce qui concerne les prêts « verts », une partie des crédits de cette action, portant sur le cautionnement bancaire (70 millions d'euros sur 125 millions), serait redéployée afin de soutenir l'action relative au renforcement des fonds propres des petites et moyennes entreprises (PME). Cet ajustement serait justifié, d'un coté, par le niveau moins élevé que prévu du cofinancement des prêts « verts » par les entreprises et, de l'autre, par le succès des contrats de développements participatifs. Nous pouvons émettre un avis favorable à cette mesure qui tend à favoriser les fonds propres des PME, enjeu économique important, souligné là aussi plusieurs fois par la commission. Je rappelle que ces deux types de prêts sont gérés par OSEO.

Nous avons également été destinataire, pour information, d'un projet d'avenant à la convention relative à l'opérateur ONERA, portant sur le programme de l'Airbus A350. Il s'agit d'un exemple-type, peut-être « poussé à l'extrême », de ce que nous pouvions craindre lors du vote du collectif budgétaire, à savoir la porosité entre les dépenses relevant du budget général et celles relevant des investissements d'avenir.

Sans remettre en cause le bien-fondé du programme A350, nous pouvons regretter les schémas de financement assez complexes que cette opération entraîne.

Le soutien au programme A350 constitue, en effet, une opération de débudgétisation clairement mise en évidence par notre commission. Dès l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2010, nous nous étions interrogés sur la manière dont s'articuleraient, d'une part, les crédits destinés à la recherche aéronautique dans le cadre des investissements d'avenir, par le biais de l'opérateur ONERA et, d'autre part, les avances remboursables du secteur aéronautique qui figuraient déjà dans le programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES), et dont bénéficiait notamment le programme A350.

Cette interrogation a été levée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011 : les rapporteurs spéciaux de la MIRES, nos collègues Philippe Adnot et Philippe Dominati, ont constaté la disparition des crédits destinés au programme A350, celui-ci étant désormais financé au travers des investissements d'avenir. Les rapporteurs spéciaux relevaient ainsi une « opération de débudgétisation pure et simple ».

Le programme A 350 a effectivement été sélectionné dans le cadre de l'emprunt national selon la procédure prévue par la convention Etat/ONERA. Compte tenu des critères de sélection et du nombre restreint de projets, il était assez probable que ce programme soit retenu. Il bénéficiera ainsi de 450 millions d'euros sous forme d'avances remboursables, soit environ 45 % du montant des avances remboursables prévues au titre de l'action « Recherche dans le domaine de l'aéronautique ».

La convention initiale Etat/ONERA prévoyait, une fois les projets sélectionnés et les conventions signées avec les bénéficiaires finaux, que l'ONERA assure l'ensemble des tâches financières et comptables liées à l'exécution de ces conventions.

Le projet d'avenant propose qu'à titre exceptionnel, pour le programme A350, l'ensemble de ces tâches puisse être pris en charge par l'Etat. Selon le Commissariat général à l'investissement, il s'agit de « greffer » le processus de l'emprunt national au protocole d'accord préexistant, signé entre l'Etat et Airbus le 23 juin 2009.

Le projet d'avenant propose trois autres modifications de conséquence :

- les recettes résultant de la mise en oeuvre du projet A350 seront versées, au titre du retour sur investissement, directement à l'Etat, et non plus par l'intermédiaire de l'ONERA ;

- à titre dérogatoire, aucun contrat ne sera signé entre Airbus et l'ONERA ;

- en revanche, une nouvelle convention, spécifique au soutien au programme A350, sera conclue entre l'Etat et l'ONERA, afin de détailler les modalités de « (re)transfert » des fonds de l'ONERA vers l'Etat au titre de ce programme. Selon le commissariat général à l'investissement, les fonds seront basculés sur un fonds de concours de l'Etat qui les reversera ensuite à Airbus.

Si le financement du projet A350 n'est pas critiquable en soi, ce projet d'avenant dévoile un peu plus l'opération de débudgétisation que nous avions mise en évidence. Les conséquences sont doubles : d'une part, la mise en place d'un fond de concours complexifie le circuit de financement initial ; d'autre part, le contrôle du Parlement ne peut plus s'exercer selon les « canaux habituels ». Le canal « budgétaire » n'est pas approprié puisque ces crédits reviennent à l'Etat par l'intermédiaire d'un fonds de concours, qui constitue un complément aux dotations budgétaires dont le montant évaluatif est mentionné en loi de finances. Le canal mis en place par la gouvernance des investissements d'avenir est également de fait écarté par la procédure dérogatoire proposée par le projet d'avenant.

C'est pourquoi, il semble nécessaire que la nouvelle convention Etat/ONERA fasse l'objet, comme les autres conventions que nous avons examinées, d'une transmission préalable au Parlement. Cette convention devra repréciser à la fois les conditions de transfert des fonds de l'ONERA vers l'Etat et les conditions de suivi du programme. Cela pourrait faire l'objet d'une demande spécifique dans le cadre de la lettre que vous pourriez, monsieur le Président, adresser au Premier ministre.

Sans vouloir généraliser - l'emprunt national soutient des projets très intéressants -, cet exemple est assez symptomatique des limites du « mélange des genres » que constitue le financement par l'emprunt national de projets, certes nécessaires, mais qui auraient été financés, en tout état de cause, en dehors du programme des investissements d'avenir.

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