Intervention de Jacques Legendre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 décembre 2010 : 1ère réunion
Avenir des centres régionaux d'éducation populaire et de sport — Communication

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, président :

Une délégation de notre commission s'est rendue au Canada en avril dernier, avec ensuite un saut à Seattle. Nous y avons joué les prolongations, bien malgré nous, en raison de l'éruption du volcan islandais...

Pourquoi le Canada ? Parce que ce pays innovant et pragmatique est toujours susceptible d'être source d'inspiration pour notre pays. Nous avions un double objectif :

- explorer les initiatives canadiennes en matière de rattrapage scolaire, de lutte contre le décrochage et d'accès des minorités à l'éducation ;

- et analyser les facteurs de sa remarquable adaptation aux nouvelles technologies dans le secteur des industries culturelles, en particulier du jeu vidéo.

Dans ces deux domaines, nos entretiens et visites - à Montréal, Toronto et Vancouver - nous ont permis de porter un nouveau regard sur les problématiques concernées. Je crois exprimer nos impressions partagées, en disant que nous avons été impressionnés par les résultats avérés que permet la conjonction du volontarisme politique et du pragmatisme dont savent faire preuve nos amis canadiens.

Dans ce deuxième plus vaste pays du monde, plus de 80 % de la population habite dans des centres urbains. État fédéral, il confie la responsabilité de l'éducation et de son évaluation aux provinces.

En effet, au Canada, il n'y a ni ministère fédéral de l'éducation ni système national intégré d'éducation. Il peut en résulter des difficultés pour comparer les systèmes, compte tenu des différences en termes de niveau scolaire, de programmes, de rythmes ou de façon d'évaluer les résultats des élèves.

Néanmoins, il existe un organisme intergouvernemental, le Conseil des ministres de l'éducation, qui est notamment chargé de l'évaluation des élèves et, à ce titre, du suivi du PISA (Programme international de suivi des acquis).

Dans l'enquête PISA 2009, comme en 2003 et 2006, le Canada figure parmi les « premiers de la classe », après la Corée et la Finlande, et après les nouveaux participants que sont Shanghai, Hong-Kong et Singapour.

Il perd quelques places dans le classement. Mais cette évolution est due à la progression de pays asiatiques émergents plus qu'aux résultats du Canada, qui stagnent ou diminuent légèrement. Si l'on met de côté les pays asiatiques, il est deuxième, derrière la Finlande.

Ceci suscite néanmoins quelques discussions, liées notamment à la place accordée à l'éducation ou à la pédagogie, jugée trop laxiste par certains.

Bien que les résultats du Canada aux enquêtes PISA varient selon les provinces, plusieurs facteurs de réussite méritent d'être relevés.

Le caractère diversifié et largement accessible des systèmes d'éducation du Canada atteste de l'importance qui leur accordée.

Le Canada leur consacre d'importants moyens :

- en 2009, la dépense d'éducation représente 6,5 % du PIB au Canada, contre 6 % en France ;

- en 2005-2006, l'éducation représentait 11,8 % des dépenses publiques du Canada, 10,6 % pour la France, 9,7 % pour l'Allemagne, la moyenne de l'OCDE étant à 13,3 %, sachant que ces données comprennent tous les niveaux d'enseignement, y compris le supérieur.

Le financement public de l'éducation est assuré directement par le gouvernement provincial ou territorial ou, à divers degrés, par des transferts provinciaux conjugués à des taxes locales perçues par le gouvernement local ou par les conseils et commissions scolaires dotés de pouvoirs de taxation.

Outre l'autonomie au plan local, je citerai le choix d'identifier les catégories d'élèves les plus en difficulté et, par conséquent, de conduire des actions ciblées en leur faveur.

Le Canada est confronté à d'importants défis liés au multiculturalisme et multilinguisme ainsi qu'à l'éducation d'enfants issus de certaines catégories de population en particulière difficulté.

Or, contrairement à la France, qui a un tabou dans ce domaine, le Canada identifie l'origine des élèves concernés, avec notamment la catégorie des populations minoritaires (francophones ou autochtones selon les provinces), celle des enfants de migrants ou vivant dans des zones rurales. Les actions sont ensuite ciblées de façon adaptée à chaque province.

Le ciblage de ces populations permet donc une compréhension plus fine des résultats des évaluations du type PISA et des actions conduites.

En outre, le taux de décrochage scolaire, qui reste préoccupant, étant plus marqué pour les élèves souffrant de problèmes de santé (courants dans le domaine de l'ouïe et de la vue) ou vivant dans un environnement social défavorisé, des partenariats sont créés avec d'autres ministères afin de conduire des actions pertinentes. Tel est par exemple le cas au Québec ou en Ontario, avec le ministère de la santé.

Les provinces que nous avons visitées (Québec, Ontario et Colombie britannique) ont su développer de très intéressantes initiatives.

Nous avons ainsi découvert le fonctionnement de la centaine d'« écoles modèles » lancées en Ontario, en 2005, pour des familles en grande difficulté. J'insiste d'ailleurs sur le fait que ce programme ne concerne pas que les jeunes, mais aussi leurs familles : ces écoles sont également un centre de ressources et de conseils éducatifs pour les parents.

Les écoles visitées mettent aussi l'accent sur la réussite individuelle et l'épanouissement des élèves.

Ainsi, à l'école « Jules Verne » de Vancouver, nous avons pu assister à une compétition d'art oratoire pour des élèves d'une douzaine d'années, montrant la priorité donnée à l'expression orale, à l'épanouissement de l'élève et à la confiance en soi.

Le programme en tronc commun peut paraître plus limité qu'en France. Parallèlement, les élèves peuvent plus facilement s'épanouir et se spécialiser dans des disciplines variées, y compris dans les domaines sportifs ou artistiques. S'agissant de certaines disciplines rares, les établissements peuvent choisir de proposer des formations en ligne via Internet.

Il faut relever aussi une assez forte motivation des communautés immigrées.

La Colombie britannique est assez emblématique à cet égard, le taux de réussite des élèves d'origine chinoise étant supérieur à ceux des autres communautés, y compris des anglo-saxons, ce qui s'explique sans doute par des facteurs culturels.

Enfin, la diversité linguistique et culturelle est reconnue comme une valeur majeure du pays.

Je dois quand même signaler une ombre à ce tableau :

- en effet, les résultats dans le domaine de la formation professionnelle sont, semble-t-il, beaucoup moins positifs ;

- par ailleurs, 42 % des adultes canadiens ont encore de faibles niveaux d'alphabétisation. Aussi priorité est-elle donnée à la formation continue, y compris via Internet, ainsi qu'à la valorisation des acquis.

S'agissant des nouvelles technologies dans le secteur des industries culturelles, second sujet d'intérêt, si le Canada a relativement tardé à se doter d'une véritable politique de développement de l'économie numérique, il s'est ensuite rattrapé avec une stratégie très volontariste.

Le secteur des technologies de l'information et des communications (TIC) représente 4,8 % du PIB (en 2008) et emploie 3,5 % de la population active. 38 % des investissements de R&D du secteur privé lui sont consacrés, ce qui est considérable.

Notre délégation a été impressionnée par la stratégie volontariste des provinces et villes dans lesquelles elle s'est rendue, pour faire des industries numériques culturelles un fer de lance de la croissance.

Ainsi, le Québec a encouragé la création de nombreux technopôles et de la grappe industrielle « Techno Montréal », ce qui a permis d'accélérer la valorisation de la province comme acteur incontournable de la filière des TIC au Canada.

Le gouvernement du Québec et la ville de Montréal ont aussi fortement favorisé l'implantation d'entreprises innovantes dans le secteur du jeu vidéo, secteur qui y occupe aujourd'hui près 12 500 salariés.

Ils ont intelligemment profité de la proximité culturelle avec la France pour déployer des efforts financiers significatifs en vue d'encourager les entreprises françaises de jeu vidéo à s'implanter sur leurs territoires, notamment Ubisoft. Sans oublier que le dynamisme du marché américain constitue également un facteur puissamment attractif.

L'Ontario, notamment avec Toronto et Waterloo, illustre également la forte politique volontariste en faveur de l'économie numérique. Celle-ci est caractérisée notamment par l'adoption, en 2008, d'un ambitieux programme d'innovation de 1,9 milliard d'euros sur 8 ans, couvrant la période 2008-2016.

Cette province accueille le troisième plus grand secteur ludique et créatif en Amérique du Nord, derrière la Californie et New York ! Ubisoft y est d'ailleurs aussi installée, de même que l'entreprise emblématique des TIC au Canada, Research in Motion (RIM), créateur du BlackBerry.

La Colombie britannique est, elle aussi, bien que dans une moindre mesure, un acteur croissant du secteur des jeux vidéo.

S'agissant des facteurs d'attractivité communs qui ont pu être identifiés, je vous rappelle que pour le président de Cap Digital, M. Henri Verdier, que nous avons auditionné le 24 mars dernier : « le succès ne repose pas sur une tradition ou une capacité particulière d'innovation, mais résulte plutôt d'une forme de dumping permettant d'attirer des entreprises et des chercheurs étrangers, notamment au Québec ».

Il est vrai que l'on pourrait parler de « dumping fiscal », compte tenu de la puissance des instruments d'incitation. Je citerai un crédit d'impôt R&D très attractif au niveau fédéral et provincial, un crédit d'impôt multimédia (qui comprend une prime supplémentaire en faveur de la francophonie au Québec) ou des prêts de sociétés publiques d'investissement accordant des avances sur le crédit d'impôt.

Les freins à la croissance du secteur ne tiennent donc pas à des problèmes de financement d'investissement mais à une main d'oeuvre insuffisante. On nous a fait part de l'existence d'une véritable « guerre pour les talents de haut niveau ».

C'est pourquoi, la création d'écosystèmes performants en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'industrie est considérée comme essentielle dans la réussite canadienne.

Parmi les autres facteurs d'attractivité, notamment au Québec, on nous a cité aussi le faible coût de la vie, et donc du coût de la main d'oeuvre, et la souplesse du marché du travail.

Le Canada a ainsi attiré 7 000 étrangers dans le secteur des jeux vidéo. Par comparaison, cette industrie représente 5 000 emplois en France et, en l'espace de 10 ans, le secteur a perdu la moitié de ses salariés, notamment du fait de leur expatriation vers le Canada.

Aujourd'hui, parallèlement, le secteur subit la concurrence intensive du continent asiatique, notamment de la Corée du Sud et de la Chine, qui attirent également de plus en plus de jeunes talents étrangers.

Or, notre pays peut se targuer de former des jeunes très compétents et créatifs, et il apparaît essentiel de conforter et développer des dispositifs incitatifs, nationaux et européens, leur permettant d'épanouir leurs talents également en France.

La France n'a sans doute pas suffisamment reconnu, ou en tout cas tardivement, toutes les potentialités de ce secteur qui agit sur un marché très porteur et s'avère créateur d'emplois très qualifiés.

Il ne faut cependant pas sous-estimer les efforts récents de notre pays en faveur de ce secteur :

- le crédit d'impôt recherche, très attractif, bénéficie aussi aux industries culturelles innovantes, de même que le renforcement de la coopération entre acteurs publics et privés de la recherche ;

- une « aide à la création de propriété intellectuelle » a été spécifiquement mise en place dans le cadre du fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) afin d'adapter les mécanismes de soutien public aux nouveaux modèles économiques et d'encourager les entreprises de création à développer leur patrimoine ;

- une personnalité sera prochainement chargée d'une mission sur le statut juridique du jeu vidéo.

Au-delà, la France pourrait sans doute davantage s'inspirer des politiques volontaristes conduites en faveur des industries culturelles numériques par les provinces canadiennes.

Je vous invite d'ailleurs à consulter notre rapport écrit sur la stratégie mise en oeuvre pour promouvoir la culture canadienne en ligne.

Ceci étant, leur avance n'est pas avérée dans tous les domaines. Ainsi, pour ce qui concerne la numérisation des livres, d'une part, et la lutte contre le piratage des oeuvres culturelles et le respect du droit d'auteur, d'autre part, la France est réellement pionnière.

Je forme d'ailleurs le voeu que le Canada s'occupe prioritairement de cette lutte contre le piratage et je propose de m'en entretenir à la fois au sein de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et avec l'ambassadeur du Canada en France. En effet, n'est-il pas paradoxal que les biens culturels canadiens soient protégés en France alors que la réciproque n'est pas vraie ?

En février 2011, le colloque organisé au Québec à l'occasion du cinquième anniversaire de l'adoption de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sera également l'occasion d'évoquer ce dossier.

En conclusion, mes chers collègues, je vous propose d'autoriser la publication du rapport d'information dont je viens de vous tracer les grandes lignes.

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