Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de votre accueil. Je suis fort heureux de pouvoir présenter le budget de la justice devant la commission des lois du Sénat.
Ce budget est le dernier de la législature et doit nous permettre de faire le point sur tout ce qui s'est fait au cours de ce mandat. Il répond, autant qu'il est possible dans le contexte tendu de nos finances publiques, aux priorités de ce ministère. Avant d'aborder le contenu de ce budget, je voudrais m'arrêter un instant sur son architecture.
Vous aurez remarqué que la mission justice s'est enrichie d'un sixième programme, le programme n° 335 qui porte les crédits du Conseil supérieur de la magistrature et dont la responsabilité est confiée au Premier président de la Cour de Cassation. J'insiste sur ce point : il s'agissait d'une demande forte du CSM que d'avoir son autonomie financière.
Dès lors que le CSM le souhaitait, je n'avais aucune raison de le refuser ; le Gouvernement est favorable à un CSM indépendant. Bien entendu, cette indépendance financière entraînera pour le CSM une responsabilité financière : lorsque le budget sera épuisé, il sera épuisé !
La création de ce programme consacre ainsi l'autonomie budgétaire du CSM. Je me souviens que la commission des lois du Sénat, l'an dernier, avait plaidé en faveur de ce point. J'avais reçu une lettre de M. Hyest me demandant d'aller en ce sens. C'est donc fait !
J'en reviens maintenant au contenu du budget pour 2012 et voudrais distinguer trois lignes de force.
Tout d'abord, ce budget poursuit l'effort de rattrapage engagé depuis plusieurs années, qui s'est accéléré depuis 2007 : cet effort de rattrapage était nécessaire pour donner au ministère de la Justice et des Libertés les moyens de répondre aux attentes croissantes des Français en matière de justice.
Ainsi, en 2012, les crédits du ministère de la Justice augmenteront à nouveau de 4 %, alors que le budget de l'Etat dans son ensemble, hors charges de la dette et des pensions, sera gelé en valeur.
Les seuls crédits de fonctionnement et d'investissement -hors crédits de masse salariale- augmenteront de 5,6%. Au sein de cet ensemble, les crédits immobiliers augmenteront même de 20%, ce qui illustre bien l'effort engagé par le ministère pour construire et rénover établissements pénitentiaires et palais de justice.
En termes d'emplois, le ministère de la Justice sera, cette année encore, le seul à afficher des créations nettes, comme c'est le cas depuis 2007. Le budget triennal 2011-2013 prévoyait que le ministère serait autorisé à créer 200 emplois en 2012, contre 400 en 2011. Ce sont finalement 512 emplois qui seront créés en 2012. Pour bien mesurer l'effort que ces créations d'emplois représentent pour le budget de l'Etat, gardons à l'esprit que si la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux lui était appliquée, ce ministère devrait supprimer près de 1.000 emplois en 2012. A ces 512 créations d'emplois, il faut en outre ajouter 250 transferts d'emploi du ministère de l'Intérieur au titre de la reprise progressive des missions d'extractions judiciaires par l'administration pénitentiaire.
Sur l'ensemble de la législature, nous pouvons mesurer l'effort de rattrapage accompli. Depuis 2007, les crédits du ministère de la justice ont été accrus de près de 20%, passant de 6,25 milliards d'euros à 7,42 milliards d'euros, et de 15% pour les seuls services judiciaires.
En termes d'emplois, si l'on regarde ce qui s'est passé en exécution, en tenant compte de la résorption des emplois vacants, ce sont plus de 6.000 emplois qui auront été créés dont 1.400 environ pour les services judiciaires. Sur la même période, ce sont plus de 600 emplois d'éducateurs de la PJJ qui ont pu être créés, en remplacement d'emplois administratifs affectés aux fonctions « support », grâce aux réformes de structure qui ont été menées. Quant aux effectifs des services d'insertion et de probation, ils sont passés d'un peu moins de 3.000 en 2007 à près de 4.100 aujourd'hui, soit une augmentation de plus d'un tiers.
Ces chiffres parlent d'eux-mêmes : en cinq ans, l'espace d'une mandature, c'est bien un véritable plan de rattrapage qui aura été accompli !
Seconde ligne de force : ce budget 2012 donne pleinement au ministère de la Justice et des Libertés les moyens de mettre en oeuvre ou de déployer les nombreuses réformes que j'ai eu l'honneur de porter cette année au nom du Gouvernement, qu'il s'agisse de l'introduction des citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles et dans les juridictions d'application des peines, de la réforme de l'hospitalisation sans consentement, de la réforme de la justice des mineurs ou encore de la réforme de la garde à vue.
Il n'y a pas de nouvelle réforme sans nouveaux moyens pour faire face aux nouvelles charges. Ces nouveaux moyens, je les ai obtenus du Premier ministre, dans le contexte budgétaire que vous connaissez tous.
Au total, sur le budget 2012, ce sont 315 emplois qui sont créés au titre de ces nouvelles réformes : 140 au titre de la réforme de l'hospitalisation d'office, 115 au titre de la réforme des citoyens assesseurs, 60 au titre de la réforme de la justice des mineurs. Cet effort sera poursuivi en 2013.
En termes de crédits, la réforme des citoyens assesseurs et celle de la justice des mineurs s'accompagnent chacune d'une enveloppe de 30 millions d'euros de crédits d'investissement immobilier : ces crédits serviront respectivement à construire de nouvelles salles d'audience ou à agrandir celles qui existent et à transformer vingt foyers d'hébergement classiques en centres éducatifs fermés.
Quant à la réforme de la garde à vue et à celle de l'hospitalisation sans consentement, elles se traduisent par une augmentation de 90 millions d'euros des fonds consacrés à l'aide juridictionnelle, principalement grâce à la contribution pour l'aide juridique instituée par la loi de finances rectificative de juillet 2011 dont le produit attendu est de 85 millions d'euros.
J'aurai sans doute l'occasion de revenir tout à l'heure, lors de nos échanges, sur la mise en place de cette contribution pour l'aide juridique. Je me contenterai ici de souligner qu'elle ne traduit nullement un quelconque désengagement du budget de la justice du financement de l'aide juridictionnelle : pour preuve, les crédits qui y seront consacrés augmenteront de près de 8% en 2012, passant de 312 millions d'euros à 336 millions d'euros en 2013.
Mais, le coût de la réforme de la garde à vue -85 millions d'euros- ne pouvait raisonnablement pas être absorbé par le budget de l'aide juridictionnelle du ministère de la justice qui a déjà augmenté de plus de 50% depuis 2002. Il fallait trouver d'autres ressources.
Enfin, troisième orientation, ce budget 2012 met l'accent sur les moyens nécessaires à une exécution effective et rapide des peines prononcées par les juridictions, dont j'ai fait une de mes priorités dès mon arrivée à la Chancellerie.
Ce budget 2012 ouvre ainsi 1,8 milliard d'euros de crédits d'autorisations d'engagement pour les investissements prévus dans le cadre du nouveau programme immobilier que j'ai annoncé au printemps en matière pénitentiaire.
L'effort est également porté sur les aménagements de peines : les crédits relatifs au bracelet électronique sont accrus de 20% et passeront à 23,3 millions d'euros pour permettre à l'administration pénitentiaire d'atteindre l'objectif ambitieux de 12.000 bracelets pour 2012 : je rappelle que le nombre de bracelets électroniques n'était que d'environ 2.000 en 2007.
Enfin, pour renforcer la prise en charge des mineurs délinquants, 60 emplois d'éducateurs seront créés et 30 millions d'euros d'investissements engagés pour ouvrir vingt nouveaux centres éducatifs fermés.
En outre, j'ai obtenu du Premier ministre que sur les 140 emplois « support » que l'achèvement des réformes de structures engagées à la PJJ devrait permettre d'économiser en 2012, 50 soient redéployés pour créer des emplois d'éducateurs supplémentaires et contribuer ainsi à réduire les délais de prise en charge des mesures éducatives.
Mais il faudra incontestablement aller plus loin si l'on veut doter notre pays des moyens nécessaires à une exécution rapide et effective des peines prononcées et remédier de manière durable à la surpopulation carcérale.
C'est tout l'objet du projet de loi de programmation sur l'exécution des peines qui sera délibéré en conseil des ministres avant la fin du mois de novembre. Ce projet de loi de programmation vise à intensifier et à accélérer l'effort de rattrapage qui reste nécessaire pour nous doter d'un parc carcéral correspondant à nos besoins et offrant aux détenus de dignes conditions de détention.
L'objectif fixé par le Président de la République le 13 septembre dernier à Réau est de porter la capacité du parc carcéral à 80.000 places d'ici fin 2017 en privilégiant des structures adaptées aux courtes peines, qui représentent aujourd'hui plus de la moitié des peines qui ne peuvent être exécutées.
Je vous donne donc rendez-vous dans quelques semaines pour l'examen de ce texte.
Ces moyens supplémentaires doivent être mis au service d'un effort de modernisation des méthodes et de l'organisation du ministère, pour atteindre une meilleure efficacité collective, avec la plus grande économie de moyens possible. C'est une ardente obligation, tant vis-à-vis du justiciable que du contribuable.
Moderniser, c'est d'abord simplifier les procédures, pour alléger la charge de travail des magistrats, greffiers et fonctionnaires. Tel est l'objectif poursuivi par le projet de loi dit de répartition des contentieux qui vise à donner une traduction concrète aux préconisations qu'avait formulées la commission présidée par le recteur Guinchard et qui sera définitivement adopté dans les prochaines semaines.
Les allégements procéduraux qu'il prévoit permettront de libérer des emplois de magistrats et surtout de greffiers et de fonctionnaires qui pourront être redéployés dans les juridictions, là où des besoins sont avérés.
Moderniser, c'est aussi clarifier les missions, pour que chacun puisse se recentrer sur son coeur de métier.
Je voudrais prendre rapidement quelques exemples.
Tout d'abord, recruter des greffiers, c'est permettre aux magistrats de se concentrer sur leurs missions juridictionnelles. A cet égard, le mouvement de rattrapage engagé l'an dernier sera poursuivi : en 2012, 395 emplois de greffiers -dont 25 greffiers en chef- seront créés, soit autant que l'an dernier. A ce rythme, en 2013, nous devrions atteindre la parité entre magistrats et greffiers.
Quant à l'administration pénitentiaire, elle s'est engagée depuis plusieurs années déjà dans un mouvement d'externalisation des fonctions « support » des établissements pénitentiaires -maintenance, alimentation, blanchisserie- pour se recentrer sur ses missions régaliennes de surveillance et d'accompagnement des détenus.
Mais cette clarification des missions vaut aussi vis-à-vis des autres ministères. Il s'agit surtout des transfèrements des personnes placées sous main de justice dont la responsabilité incombera désormais, selon un schéma progressif sur une base géographique, à l'administration pénitentiaire.
Sur le fond, cette réforme est sans aucun doute justifiée. Elle est d'ailleurs bien accueillie en interne car elle conforte l'administration pénitentiaire comme troisième force de sécurité du pays et offre des opportunités de diversification à ses agents.
Encore faut-il que les moyens transférés du ministère de l'Intérieur soient suffisants pour permettre à l'administration pénitentiaire d'assurer pleinement cette mission. L'arbitrage actuel qui porte sur 800 équivalents temps plein (ETP) ne me semble pas le garantir à l'échelle nationale. Je pense donc qu'il faudra y revenir tôt ou tard.
En attendant, j'ai donné instruction à l'administration pénitentiaire de faire tout son possible pour assumer les missions d'extractions judiciaires dans les deux et bientôt trois régions déjà passées sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire mais sans prélever d'agents de l'administration pénitentiaire dans les coursives ni dégarnir les établissements.
Moderniser, c'est aussi recourir aux nouvelles technologies quand elles représentent un levier de gain de temps, d'efficacité, de simplification de la vie des usagers. Je ne citerai que le développement de la visioconférence qui nous permettra d'assurer le contrôle des gardes à vue et de limiter le nombre des extractions judiciaires, le projet de la plateforme nationale d'interceptions judiciaires qui verra le jour en 2013 ou encore le développement de la dématérialisation et la numérisation des procédures. Pour développer ces projets, le ministère bénéficiera d'un budget informatique de 80 millions d'euros en 2012.
Moderniser, c'est enfin faire évoluer nos structures et nos modes de gestion, pour rationaliser les coûts, mutualiser les fonctions, professionnaliser les pratiques.
Parmi ces chantiers, je veux souligner celui de la carte judiciaire. Sa refonte a permis d'adapter la géographie des juridictions aux réalités démographiques et d'améliorer l'adéquation des effectifs de magistrats et de greffiers à l'activité des tribunaux. Je pourrais vous parler aussi de la réforme qui a été conduite depuis 2008 au sein de la PJJ.
Ces efforts de rationalisation des moyens méritent d'être poursuivis chaque fois que cela est possible, notamment en recherchant les mutualisations envisageables entre les directions du ministère, en respectant la spécificité de chacun.
J'ai à ce titre relancé deux projets de mutualisation entre les directions, qui avaient été initiés par mes prédécesseurs mais qui n'ont pu aboutir. Il s'agit d'abord des plateformes interrégionales de services, qui mutualiseront notamment la fonction de soutien informatique, la fonction immobilière et la fonction comptable au service des directions régionales de l'administration pénitentiaire et de la PJJ.
S'agissant de la fonction comptable, j'ai toutefois veillé à tenir compte de la spécificité des services judiciaires : les centres de traitement comptable Chorus des services judiciaires seront rationalisés, tout en gardant leur autonomie.
Il s'agit ensuite du projet de site unique qui a vocation à regrouper sur un même site parisien les services centraux du secrétariat général et des trois directions de réseau du ministère -DSJ, DAP et DPJJ.
Vous le savez, fin 2010, le projet porté par mon prédécesseur a dû être abandonné à la suite des critiques émises par le conseil immobilier de l'Etat et des commissions des finances des deux assemblées.
J'ai relancé une consultation en accord avec le ministère du budget, avec un cahier des charges respectant la norme interministérielle de 400 euros par mètre carré. Plus de cinquante propositions ont été reçues à l'été 2011. Ces offres ont été examinées avec le concours d'un conseil spécialisé et quatre sites ont été retenus, avec lesquels les négociations ont débuté. Mon objectif est d'arrêter un choix avant la fin 2011. Je présenterai naturellement l'ensemble de ce dossier au Conseil immobilier de l'Etat et au Parlement.
Il nous faut enfin -et j'en terminerai par là- professionnaliser nos pratiques de gestion. Je citerai par exemple les pratiques de gestion en matière de frais de justice. L'an dernier, la dotation des frais de justice avait bénéficié d'une importante et nécessaire mise à niveau, passant de 393 millions d'euros à 460 millions d'euros. Cette année, l'enveloppe sera consolidée, avec un montant de 470 millions d'euros mais ce sont surtout des chantiers plus structurels que j'entends ouvrir en la matière, à la suite, en particulier, de la mission conjointe que l'inspection générale des services judiciaires et l'inspection générale des finances ont menée à ma demande.
Tout d'abord, la simplification du circuit de paiement me semble indispensable. Il faut alléger le travail considérable engendré dans les juridictions par la masse actuelle des mémoires de frais et raccourcir par là même les délais de paiement des prestataires et fournisseurs qui travaillent pour les juridictions.
Par ailleurs, nonobstant les facteurs qui poussent tendanciellement à la hausse les dépenses de frais de justice -augmentation du contentieux, multiplication des dispositions normatives impliquant des frais de justice, recours accru à la preuve scientifique, nouveaux droits ouverts aux victimes- tous les efforts doivent être entrepris pour mieux maîtriser l'évolution de cette dépense et réaliser des économies, dans le respect de la liberté de prescription des magistrats et surtout des OPJ, principaux prescripteurs des frais de justice.
Dès 2011, nous avons d'ailleurs obtenu des résultats encourageants en ce sens. La passation de marchés nationaux pour les analyses génétiques a ainsi permis de faire près de 2 millions d'euros d'économies. Il faut maintenant s'attaquer à la question de la tarification des frais de justice. Ainsi que le relève le rapport des inspections, il convient de diminuer certains tarifs, notamment les frais de réquisition des opérateurs téléphoniques, sachant que d'autres devront au contraire être revalorisés, en particulier les expertises psychiatriques.
Beaucoup reste à faire aussi pour appliquer aux frais de justice les méthodes destinées à professionnaliser l'achat public. Je pense à la définition de cahiers des charges par type de prestation, à des dispositifs d'information systématique des fournisseurs et des prescripteurs pour favoriser l'alignement sur les meilleures performances, à une veille centralisée sur les fournisseurs. Ce chantier est résolument engagé aujourd'hui.
Sur les pratiques d'achat en général, un plan ministériel est par ailleurs en cours de mise en oeuvre. Il aura permis 11 millions d'euros d'économies en 2011 et doit encore monter fortement en puissance. L'objectif est d'atteindre 100 millions d'euros d'économies en masse sur l'ensemble de la période 2010-2013. Ce sont autant de marges de manoeuvre qu'il sera possible de mobiliser, notamment pour les juridictions qui ont vu globalement leurs crédits de fonctionnement se stabiliser ces deux dernières années, hors crédits exceptionnels dédiés à la réforme de la carte judiciaire.
Voici, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Président, l'état dans lequel se présente le projet de budget que j'ai l'honneur de défendre devant vous.