a tout d'abord précisé que, outre la commission des finances, saisie au fond, deux autres commissions se sont saisies pour avis de ce texte. La commission des affaires sociales s'est, pour sa part, penchée sur neuf articles du projet de loi présentant un caractère sanitaire ou social car chacun sait que les jeux de hasard et d'argent sont porteurs de risques sanitaires et sociaux. Or, bien que les premiers diagnostics cliniques de « manies » ou « d'addictions » aient été portés dès la fin du XIXe siècle, on ignore encore le nombre de personnes touchées, en France, par le jeu dit « problématique », c'est-à-dire par le jeu excessif ou pathologique.
A la suite des deux rapports d'information sur les jeux d'argent en France, présentés par François Trucy au nom de la commission des finances du Sénat, qui dénonçaient notamment ce défaut de connaissances, une expertise collective à été commandée à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) par le Gouvernement. Elle a été rendue en juillet 2008 et constitue un outil précieux pour comprendre les enjeux sanitaires liés aux jeux de hasard et d'argent. Néanmoins, elle n'apporte aucune connaissance en matière épidémiologique. Une telle étude a bien été confiée à l'observatoire français des drogues et toxicomanies, mais elle n'aboutira qu'en 2011. Il n'est donc pas possible de savoir si le phénomène augmente ou s'il touche des catégories particulières de population, si ce n'est grâce à la pratique des associations ou aux comparaisons internationales. On peut ainsi estimer qu'1% de la population est concernée par le jeu pathologique, et 4 % à 5 % par le jeu excessif.
En conséquence, une attitude particulièrement prudente doit être adoptée, notamment sur l'idée que les jeux en ligne seraient un domaine « à part » et que les questions sanitaires et sociales qu'ils posent ne seraient pas les mêmes que pour les jeux légaux existants : cette idée est fausse, tant du point de vue social que du point de vue de la santé.
Pour ce qui concerne les enjeux sociaux, il faut souligner que les opérateurs historiques, Française des jeux et PMU, seront aussi opérateurs en ligne et en profiteront pour diversifier leur activité. Cette évolution va bouleverser le panorama du jeu, tel qu'il existe depuis 1933 et qui présente une répartition claire entre formes de jeu et distribution des revenus du jeu :
- les produits des jeux « publics » accessibles à tous, y compris à ceux disposant de revenus modestes, doivent financer des projets publics, ce qui justifie qu'ils soient organisés sous la forme d'un monopole d'Etat ;
- le jeu « privé », organisé dans des casinos dont l'implantation est autorisée au cas par cas et s'adressant à un segment de population a priori plus fortuné, peut, pour sa part, être une simple activité commerciale.
Que l'argent du plus grand nombre retourne au plus grand nombre par l'intermédiaire de l'Etat est un principe sain. Or, il sera mis à mal par l'ouverture du jeu sur internet. De plus, on ne peut plus parler de jeu dans un cercle privé ou limité, quand tout individu disposant d'un ordinateur peut participer : les jeux en ligne ont la particularité d'atteindre une grande part de la population, y compris les personnes disposant de faibles revenus. Par ailleurs, il est illusoire d'espérer interdire l'implantation des opérateurs privés, dont les sites sont d'ores et déjà accessibles à tous sur internet. On peut au mieux essayer de les réguler.
Du point de vue de la santé, l'influence du jeu en ligne sur l'approche actuelle du jeu se fera également sentir. L'exemple américain laisse entendre que le poids économique des jeux en ligne rattrapera très rapidement celui des jeux actuels. Cela signifie concrètement que c'est sur ce modèle qu'évolueront les autres. Or, les jeux en ligne sont, pour la grande majorité d'entre eux, des jeux d'émotion, dont l'attraction repose sur les sensations fortes qu'ils procurent, si possible dans l'immédiateté sur le modèle des machines à sous, par opposition aux jeux de rêve comme le Loto. Ce sont les jeux les plus addictifs. Ils sont donc particulièrement dangereux pour la santé mentale.
a ensuite indiqué que, face à ce danger, le projet de loi prévoit deux types de limites.
Les premières sont les interdictions classiques : interdiction pour les mineurs, même émancipés, interdiction du jeu à crédit, interdiction des personnes signalées, sur le modèle des interdits de casinos, et possibilité de s'auto-interdire.
Le deuxième type de limite relève de ce qui est appelé le « jeu responsable ». Il s'agit d'obligations incombant aux opérateurs, élaborées sur la base des pratiques qui se sont développées de manière assez empirique ces dernières années. En 1996 a ainsi été mis en place le comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable (Cojer), mais dont les compétences se limitent à la seule Française des jeux. A la même époque, le PMU s'est lui aussi engagé dans une politique de prévention du jeu dit problématique. Cependant, à côté d'un engagement réel des opérateurs publics pour limiter les effets néfastes des produits qu'ils diffusent, il existe aussi des pratiques plus contestables et non évaluées : elles risquent de servir d'alibi plus que de véritable outil de prévention.
Le projet de loi oblige chaque opérateur à ouvrir un compte individuel pour chaque client et à y faire apparaître en continu les gains et pertes réels, c'est-à-dire cumulés. A partir de ces comptes, des dispositifs de détection du jeu pathologique seront mis en place, des messages d'alerte seront diffusés et les internautes seront informés des possibilités d'accès à des services de conseil et d'orientation téléphoniques. Cependant, tant que ces dispositifs ne sont pas réellement évalués, la prudence doit rester de mise.
Le texte adopté par la commission des finances apporte, dans le champ de la santé, des précisions bienvenues. Tout d'abord, le projet de loi crée une instance, le comité consultatif des jeux, dont les compétences s'étendent à l'ensemble des jeux, en ligne ou non, et le Cojer lui est intégré. Cela signifie que les problématiques sociales et sanitaires seront prises en compte dans le contrôle des jeux, avec une vision d'ensemble. Le contrôle des dispositifs de prévention mis en place par les opérateurs sera confié à ce comité. Par ailleurs, plusieurs précisions ont été apportées au dispositif voté par l'Assemblée nationale en matière de protection des personnes fragiles.
a cependant estimé qu'il est nécessaire d'aller plus loin, notamment pour clarifier les dispositions proposées et augmenter le nombre de freins institutionnels à la pulsion de jouer. Ces freins s'avèrent particulièrement efficaces : on constate, en effet, que depuis l'entrée en vigueur de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics, la nécessité pour les joueurs de sortir de la salle de jeu des casinos pour fumer a fait baisser le chiffre d'affaires de ces établissements de près de 30 %. Rompre, ne serait-ce qu'un moment, l'emprise du jeu suffit souvent à permettre le retour de la réflexion et à retrouver un comportement plus sensé.
Les mesures qu'il proposera peuvent paraître lourdes à mettre en place mais elles sont proportionnées au bouleversement du monde du jeu que la France va connaître avec la mise en oeuvre du projet de loi. Les jeux de hasard et d'argent ne sont pas des loisirs comme les autres. Ils ne doivent donc pas être traités comme tels.