Les crédits du budget des anciens combattants, monsieur le ministre, se montent à 3, 484 milliards d'euros et représentent 8 % des crédits du ministère de la défense.
La Nation a une dette envers ses anciens combattants, qui sont plus de quatre millions. Le budget témoigne de ce droit inaliénable à la mémoire et à la réparation.
Toutefois, dans un contexte budgétaire difficile, on peut admettre que ce budget doive, lui aussi, contribuer à la réduction des déficits, d'autant qu'un budget n'est pas seulement affaire de chiffres, mais aussi de choix politique, et que sa diminution ne s'accompagne pas d'une baisse des moyens alloués individuellement aux anciens combattants.
À périmètre constant, le budget diminue, mais, comme le nombre d'ayants droit diminue malheureusement d'année en année, la dotation moyenne par pensionné augmente. Cette année, la progression est de 2, 25 % et, au total, depuis 2002, elle aura été de 10, 2 %.
Avant d'examiner le budget pour 2007, l'heure étant aussi au bilan, je voudrais, après Mme Rozier et M. Baudot, nos rapporteurs, saluer le travail que vous avez accompli durant cette législature, monsieur le ministre, en rappelant certaines des mesures, pas toujours très connues, que vous avez prises.
Je veux citer l'institution d'un bilan médical gratuit pour les anciens combattants d'AFN destiné au dépistage des psychotraumatismes de guerre ; l'augmentation des pensions des veuves de quinze points ; l'augmentation des crédits sociaux de l'ONAC ; la mise en oeuvre de l'égalité entre les hommes et les femmes dans le code des pensions militaires d'invalidité ; le fait, essentiel, d'avoir conforté des institutions, que ce soit l'ONAC ou l'Institution nationale des invalides, l'INI ; la simplification, après quinze ans d'attente, du mécanisme d'évolution des droits des anciens combattants, le fameux « rapport constant » ; l'attribution de la carte du combattant d'AFN à tous ceux qui ont combattu plus de quatre mois en Afrique du Nord avant le 2 juillet 1962, mesure que je considère d'ailleurs comme extrêmement généreuse ; l'institution d'une journée nationale pour les harkis le 25 septembre, d'une autre, le 8 juin, pour les morts pour la France en Indochine, ainsi qu'une journée de commémoration de l'appel du général de Gaulle.
Le budget pour 2007 lui-même met en oeuvre plusieurs mesures nouvelles particulièrement positives, que nous attendions depuis longtemps.
La première mesure phare du budget est l'augmentation de la retraite du combattant, prestation la plus emblématique du monde combattant, même si, à titre personnel, malgré son caractère réparatoire et universel, il m'arrive de penser qu'elle devrait être, par solidarité, réservée aux plus pauvres, la diminution du nombre des bénéficiaires permettant d'augmenter la pension de ceux qui en resteraient allocataires ou bénéficiaires.
Mais je sais bien, monsieur le ministre, que les temps d'une telle réflexion ne sont pas venus et que ma position à cet égard est sans doute extrêmement minoritaire.
Avec cette nouvelle hausse de deux points d'indice, qui vient s'ajouter à celle intervenue le 1er juillet 2006, la retraite annuelle du combattant est portée à 488 euros par an. Je note avec satisfaction que le relèvement prendra effet à compter du 1er janvier 2007. Certes, la promesse d'atteindre 48 points d'ici à la fin de la législature n'est pas tenue, et cet objectif ne doit pas être perdu de vue. Néanmoins, ces augmentations mettent heureusement fin à près de trente années de stagnation, l'indexation du point n'ayant pas bougé entre 1978 et 2006.
Je me réjouis aussi de voir que vous avez accepté de relever de 2, 5 points le plafond majorable de la rente mutualiste. Ainsi, en cinq ans, nous aurons augmenté de 10 points ce plafond : il est désormais de 125 points, relativement proche de l'objectif de 130 points.
Nous nous félicitons également de savoir que l'INI est sur la voie de la certification et de la signature prochaine d'un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'ONAC pour la période 2008-2012.
Je rappelle qu'en 2002 la pérennité de l'ONAC n'était pas assurée. Nous nous en étions tous inquiétés, et c'est le contrat actuellement en vigueur, que vous avez mis en place, monsieur le ministre, qui a heureusement permis une rénovation des méthodes de travail de l'Office et un ajustement des emplois à ses nouvelles missions.
Il convient aussi de féliciter l'ONAC, qui va prochainement fêter son quatre-vingt-dixième anniversaire, pour sa capacité d'adaptation et son action.
Enfin, l'alignement des pensions militaires d'invalidité des différentes armes sur celles de la marine et le meilleur remboursement de l'appareillage des personnes handicapées sont d'autres mesures positives de ce budget.
Nous le savons, les contraintes sont nombreuses et les marges étroites. Toutes les réformes, aussi importantes et justes soient-elles, ne peuvent se faire en une seule fois. Néanmoins, certaines revendications demeurent. Je citerai rapidement l'abaissement de soixante-quinze à soixante-dix ans de l'âge d'accès à la demi-part fiscale accordée aux anciens combattants ; l'octroi de la mention « mort pour la France » aux militaires morts en Afrique du Nord entre 1952 et 1962 ; l'indexation des pensions militaires d'invalidité sur un vrai coût de la vie, car il semble que l'indice INSEE retenu en application de la loi de finances pour 2005, celui des traitements bruts de la fonction publique, ne prenne pas bien en compte cet élément.
Quant à l'octroi du bénéfice de la campagne double aux agents publics ayant servi en Afrique du Nord, il reste pour moi un dossier sensible. Le Conseil d'État doit vous rendre un avis sur le rapport que vous aviez demandé à M. Christian Gal. Vous avez clairement indiqué votre intention d'en tenir informés les parlementaires et les associations ; nous aurons alors tous les éléments nécessaires à la prise d'une décision.
Cette décision mérite en effet réflexion : le sentiment des anciens combattants est loin d'être unanime à cet égard - l'intervention de M. Biwer en a témoigné - et il convient d'éviter toute mesure de nature à creuser l'écart entre les anciens combattants du secteur public et ceux du secteur privé.
Certaines revendications légitimes demeurent, sur lesquelles je souhaiterais plus particulièrement attirer votre attention.
Un dossier, notamment, me tient à coeur, monsieur le ministre, celui des veuves d'anciens combattants en situation de détresse matérielle, et tous ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont souligné qu'ils y attachaient également une grande importance.
Nous savons que plus de 15 % d'entre elles sont en dessous du seuil de pauvreté. L'an dernier, le Parlement avait souhaité la création d'une allocation différentielle de solidarité pour les conjoints survivants les plus démunis, puis opté, à votre demande, pour la création d'un groupe de travail chargé de faire des propositions
Vous avez annoncé devant l'Assemblée nationale que le Gouvernement suivrait les recommandations du groupe de travail, qui préconise de s'appuyer sur les crédits sociaux de l'ONAC pour mettre en place une allocation différentielle pour les veuves âgées de soixante à soixante-cinq ans dont les ressources sont inférieures au SMIC. Afin d'assurer le financement de cette mesure, un amendement majorant de 500 000 euros les crédits sociaux de l'ONAC a été adopté par les députés. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les conditions dans lesquelles vous allez, de la sorte, venir en aide aux veuves les plus démunies, nous assurer que les crédits disponibles seront suffisants, que cette allocation sera mise en oeuvre dès le 1er janvier 2007 et qu'elle permettra d'assurer une solution pérenne à l'ensemble des conjoints survivants en situation de détresse matérielle ?
Le sort fait à ces veuves est en effet indigne de notre République. On ne peut, de nouveau, reporter le règlement de cette question ; nous voulons qu'un effort significatif soit fait au cours de cette législature pour le traitement de ce dossier que la représentation nationale unanime considère comme prioritaire.
J'en viens au problème posé par le régime des pupilles de la nation.
Le décret du 13 juillet 2000 instituant une indemnisation pour les seuls orphelins dont les parents avaient été victimes de persécutions antisémites avait suscité un grand désarroi et un vif sentiment d'injustice chez les orphelins de parents décédés du fait de la politique de collaboration et d'extermination nazie.
Il fallait un décret concernant l'ensemble des orphelins ; le Président de la République s'y était engagé en 2002 et le décret pris en 2004 a permis de résoudre un grand nombre de cas en instituant une aide financière aux orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, cette mesure qui concernait au départ 8 000 personnes en concerne aujourd'hui 30 000. De grands progrès ont donc été réalisés. Néanmoins, les dispositifs d'indemnisation laissent subsister des situations inéquitables et créent un sentiment d'injustice entre certaines catégories de pupilles de la nation et d'orphelins de guerre. C'est pourquoi il me semble nécessaire, monsieur le ministre, d'apporter de nouvelles améliorations.
À la demande de notre collègue Mme Esther Sittler, sénateur du Bas-Rhin, je voudrais également attirer votre attention sur l'indemnisation des quelque 6 000 Alsaciens-Mosellans incorporés de force dans les RAD et les KHD.
Monsieur le ministre, vous expliquez le blocage du dossier par le refus de la fondation « Entente franco-allemande » de participer à l'indemnisation. Il est vrai que la fondation, dépositaire des sommes versées par l'Allemagne pour indemniser les ressortissants français susceptibles de se prévaloir d'un droit à réparation, et qui dispose donc des moyens nécessaires pour financer une part des indemnisations, semble refuser de faire ce geste en faveur des personnes incorporées de force dans des formations paramilitaires.
À titre personnel, monsieur le ministre, je partage votre point de vue ; l'État français n'étant pas l'auteur des dommages, il n'est pas moralement admissible que la France procède seule aux réparations en lieu et place de l'Allemagne.
Je suis sensible au fait que le Gouvernement français, uniquement par mesure de solidarité envers nos compatriotes concernés, se soit engagé à prendre en charge 50 % de l'indemnisation pour contribuer à régler le problème. Mais je rejoins mes collègues d'Alsace et de Moselle pour regretter l'absence de toute perspective de nature à régler un contentieux vieux de soixante ans, qui concerne aujourd'hui des hommes et des femmes âgés en moyenne de plus de quatre-vingts ans.
Là aussi, il s'agit d'un devoir de mémoire. Sur un plan symbolique, il est nécessaire que cette question recueille une autre réponse que celle, réitérée depuis des années, consistant à faire valoir des raisons formelles pour expliquer l'absence d'indemnisation des survivants.
Il s'agit aussi d'un devoir de réconciliation et d'oubli que nous devons faciliter et que le temps écoulé depuis ces malheureux événements contribue à faire mieux admettre.
C'est pourquoi, nous attendons de vous, monsieur le ministre, que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour lever les obstacles juridiques et aboutir rapidement à une solution.
À ces réserves près, monsieur le ministre, votre bilan étant très largement positif pour le monde ancien combattant, votre budget étant pour nous un bon budget au regard des contraintes existantes, nous le voterons.
Mais un budget n'est pas qu'une affaire de chiffres, c'est aussi l'expression de choix politiques. C'est pourquoi je veux consacrer le reste de mon intervention à l'aspect politique de deux importantes questions qui relèvent de votre ministère : la décristallisation et la date devant être retenue pour commémorer les morts de la guerre d'Algérie.
Durant vingt ans, sénateurs et députés de la République française, appartenant à tous les groupes des deux assemblées, n'ont eu de cesse de demander à l'État de mettre en oeuvre le processus de décristallisation en faveur des anciens combattants d'outre-mer. Aux voix des parlementaires, se sont jointes celles des anciens combattants, dont beaucoup d'organisations ont défendu, dès le début, le principe d'égalité des droits. Nous savons que vous avez été à l'origine des premiers pas qui ont conduit à cette décristallisation.
Et voilà qu'un film, suivi d'une émotion bien compréhensible, rend possible ce qui ne l'était pas ! Pourtant, le Président de la République avait demandé que cette mesure soit mise en oeuvre dès le 14 juillet. Malgré tout, aux yeux du grand public, la décristallisation est le fait du film Indigènes. Si les intéressés le savent, le grand public, lui, dans son immense majorité, ignore qu'une première réponse avait été apportée afin de rétablir l'équité entre les combattants sur le principe de la parité du pouvoir d'achat.
C'est l'actuelle majorité qui aura mis fin à la cristallisation. Sur ce sujet, il y aura eu un consensus de l'ensemble de la représentation nationale et une réelle continuité de l'action gouvernementale.
Malheureusement, ce processus de décision, qui relève d'un système quasi monarchique, participe grandement au discrédit jeté sur les élus et à la dépréciation de l'image de notre Parlement auprès de nos concitoyens.
J'en viens à ma deuxième problématique, qui, bien que dépourvue d'incidence financière, revêt une grande importance symbolique pour l'ensemble du monde combattant et, malheureusement, le divise.
Lors de l'examen du budget des anciens combattants de 2002, j'avais consacré l'essentiel de mon intervention au problème posé par le choix d'une date pour commémorer nos morts d'Algérie et penser aux survivants, qui ont payé un lourd tribut à cette guerre, ainsi qu'à leurs familles. Ce choix, vous le savez, divise profondément le monde combattant.
En lisant le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, j'ai constaté avec tristesse que de nombreuses voix s'étaient élevées pour réclamer que le 19 mars, dite « date anniversaire du 19 mars 1962 », elle-même date juridique du cessez-le-feu en Algérie, soit retenu comme date commémorative. Certains de nos collègues, ici même, souhaitent qu'il en soit ainsi. Je ne partage pas ce point de vue et vous félicite, monsieur le ministre, de n'avoir pas cédé à ces demandes.
Nous ne pouvons ignorer la vérité historique et passer outre le respect dû aux harkis et supplétifs, exécutés par le FLN dans des conditions qui furent souvent atroces, ou oublier les 152 tués, 422 blessés et 162 disparus de l'armée française, eux aussi victimes de la poursuite des hostilités tout au long de l'année 1962, et postérieurement à l'armistice.
En cette matière, le Président de la République s'était engagé à trouver un consensus.
Je reconnais que vous avez essayé de résoudre cette querelle en érigeant en journée mémorielle la date du 5 décembre. Mais j'admets aussi, avec les détracteurs de cette date, qu'elle ne correspond pas, pour nous, anciens combattants, à une réalité historique précise.
La politique de la mémoire, c'est aussi et probablement avant tout le choix des dates de commémoration. Une journée commémorative doit servir la paix. Et si, au cours de cette discussion budgétaire, seules les voix des députés favorables à la reconnaissance officielle de la date du 19 mars se sont fait entendre à l'Assemblée nationale, la majorité des associations d'anciens combattants d'AFN restent opposées à ce choix. Je tiens à leur dire ici que, avec de nombreux parlementaires, je défendrai leur position chaque fois et partout où besoin sera.