Intervention de Simon Sutour

Réunion du 7 décembre 2011 à 14h30
Débat préalable au conseil européen du 9 décembre 2011

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le prochain Conseil européen est présenté comme une échéance décisive. Face au démon de l’endettement, nous aurions enfin trouvé le bon exorcisme : rien moins qu’une nouvelle révision des traités.

Ces annonces deviennent presque une habitude. Le 21 juillet dernier, le nouveau plan d’aide à la Grèce devait ramener le calme sur les marchés. Mais, le 26 octobre, il a fallu lancer un nouveau plan d’aide, prévoyant une participation accrue du secteur privé.

Depuis lors, nous avons appris que le Fonds européen de stabilité financière, le FESF, supposé être le fer de lance de l’action européenne, ne parvenait pas à jouer le rôle qu’on lui avait confié. Aujourd’hui, il est question d’accélérer la mise en place de l’instrument qui doit lui succéder : le mécanisme européen de stabilité. On s’y perd un peu !

Le grand enjeu de la réunion du 9 décembre, nous dit-on, c’est l’inscription dans les traités d’un mécanisme de surveillance budgétaire. Or nous disposons déjà du pacte de stabilité et de croissance ; nous avons depuis un an le semestre européen de coordination des politiques budgétaires ; depuis le mois d’octobre dernier, nous disposons du « paquet gouvernance » – aussi appelé le six pack –, dont la préparation a nécessité dix-huit mois de négociations entre le Parlement européen et le Conseil européen. Il faut croire que tous ces dispositifs n’étaient pas suffisants, puisqu’il s’agit désormais d’inscrire la surveillance budgétaire dans le marbre des traités.

Mais, dans le nouveau traité, qu’y aura-t-il de plus ?

En cas de déficit excessif, des sanctions automatiques seront prononcées. Au moment de la négociation du « paquet gouvernance », la France y était opposée ; depuis avant-hier, elle y est favorable…

Le Conseil se prononcera à la majorité qualifiée inversée : les propositions de la Commission européenne seront adoptées, sauf s’il se trouve une majorité qualifiée pour s’y opposer. À cette mesure aussi, monsieur le ministre, la France était hostile il y a un mois ; désormais, elle y est favorable…

Quels changements se sont-ils produits entre-temps ? Nous ne le savons pas.

J’ai le regret de le dire : on a l’impression de beaucoup de tâtonnements, d’improvisation, alors que nous aurions besoin d’une vision pour l’avenir de l’Europe !

On a aussi le sentiment d’un déphasage. Or il y a urgence. Tous les signes d’une récession sont là : la notation de la dette des États membres est menacée de dégradation et le taux de chômage moyen dans la zone euro dépasse 10 %. Et le remède qu’on nous propose est une nouvelle révision des traités !

Je rappelle que des années ont été nécessaires pour mener à bien la révision précédente. Certes, la révision envisagée concerne seulement quelques points. Mais ils sont majeurs, puisqu’ils touchent à la procédure budgétaire dans les pays européens. Pendant des mois, les négociations, puis le processus de ratification vont susciter des divisions entre les États membres et à l’intérieur de chacun d’eux. Est-ce bien de cela dont nous avons besoin actuellement ?

Nous le constatons tous, le problème de l’endettement public en Europe est devenu prioritaire. La situation des États-Unis n’est d’ailleurs pas meilleure que la nôtre, même si elle semble curieusement susciter moins d’alarme.

Devant un problème de cette ampleur, peut-on réellement penser qu’un nouveau gage donné aux marchés suffira à nous remettre dans le bon chemin ?

C’est la récession qui a porté les dettes publiques à leur niveau actuel. Ce qui pourra desserrer l’étau de la dette, c’est la croissance, seulement la croissance ! Et ce n’est pas un traité durcissant une fois de plus le pacte de stabilité et de croissance qui réglera le problème : sans croissance, l’endettement des pays européens n’est pas soutenable.

Nous n’avons donc aucune chance de régler la difficulté en restant dans la spirale de l’austérité. En Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, nous en voyons bien les effets : les restrictions budgétaires provoquent un recul de l’activité, après quoi il faut annoncer des mesures encore plus restrictives, et ainsi de suite.

En Grèce, le recul de l’activité atteint au moins 10 % depuis le début des restrictions budgétaires. Ce n’est pas en gravant une telle politique dans le marbre des traités que nous éviterons ou surmonterons la récession en Europe.

La commission des affaires européennes a récemment examiné la situation de l’Italie, sur le fondement du rapport de notre collègue Jean-François Humbert, ici présent et que je salue.

Lorsque l’on considère la situation budgétaire de ce pays, on a le sentiment qu’elle n’est pas si mauvaise. Abstraction faite de la charge de la dette, le budget est en équilibre ; il devrait même, l’année prochaine, être en excédent.

Pourquoi donc les marchés imposent-ils à l’Italie des taux d’intérêt aussi élevés, supérieurs à 7 % ? Parce que l’économie italienne, en stagnation depuis plusieurs années, n’a aucune perspective de croissance. Or, sans croissance, comment éponger une dette qui représente 120 % du PIB ?

C’est pourquoi le nouveau gouvernement de Mario Monti a eu la sagesse d’accompagner son plan de rigueur de 20 milliards d’euros d’un plan destiné à relancer la croissance, qui représente 10 milliards d’euros. C’est d’une telle politique dont nous avons besoin pour l’Europe. Si une gestion rigoureuse des finances publiques nationales est nécessaire – personne ne peut prétendre le contraire : nous ne pouvons y échapper –, il faut également, dans nos pays, savoir entreprendre des réformes qui lèvent les obstacles pesant sur la croissance.

Au même moment, il faut soutenir, à l’échelle de l’Union européenne, les grands projets structurants nécessaires dans les domaines des transports, de l’énergie et des communications.

Dans son projet de cadre financier pluriannuel, la Commission européenne a proposé d’affecter 50 milliards d’euros à de tels grands projets, avec la perspective d’un effet de levier important par l’association du secteur privé. C’est un exemple de ce qu’il faut faire. Les 80 milliards d’euros prévus pour la recherche et l’innovation en sont un autre exemple. Il en est de même des projets ITER et GMES, qui peuvent redonner un élan à la technologie européenne.

Inscrire dans le budget européen les moyens nécessaires aux politiques d’avenir aidera à recréer des anticipations de croissance en Europe. Nous n’avons pas d’autre moyen. Vouloir imposer au budget européen les mêmes restrictions qu’aux budgets nationaux, c’est se tromper de combat.

Mais une telle politique suppose que le budget européen soit, au moins à hauteur des sommes nécessaires au financement des dépenses d’avenir, alimenté par de véritables ressources propres, au lieu d’un prélèvement sur des budgets nationaux qui n’ont plus de marge. Notre collègue Pierre-Bernard Reymond l’a bien montré devant notre commission : tant que les relations entre les budgets nationaux et le budget européen seront un jeu à somme nulle, nous ne pourrons pas avancer. Le budget européen a besoin d’un financement qui lui soit propre !

Un autre moyen existe de dégager, à l’échelle européenne, des ressources pour financer les dépenses d’avenir : les fameux project bonds, obligations émises par la Banque européenne d’investissement pour aider au financement des dépenses d’infrastructures et à la réorientation de l’activité dans une perspective de développement durable. Il est impératif de développer le recours à ces obligations et, pour cela, d’augmenter la capacité de financement de la BEI.

De grands projets tournés vers l’avenir sont nécessaires pour redonner un sens à la construction européenne. Car les citoyens s’en éloigneront si elle finit, au contraire, par s’identifier à une interminable purge ! Ils s’en éloigneront également s’ils ont le sentiment qu’un déficit démocratique se réinstalle en Europe. Or le centre de décision est en train de se déplacer vers les sommets de la zone euro : c’est là, en réalité, que se prennent les décisions, sans que ni les parlements nationaux ni le Parlement européen ne soient associés.

Certes, des débats ont lieu à l’échelle nationale, comme celui de cet après-midi, et c’est une très bonne chose. Mais nous avons également besoin que les parlements nationaux puissent débattre ensemble, à l’échelle de la zone euro et en liaison avec le Parlement européen, pour faire entendre les préoccupations des citoyens.

Les sommets de la zone euro ont besoin d’une sorte de pendant parlementaire, sans lequel persistera un vide démocratique préjudiciable à la légitimité de la construction européenne. C’est une proposition que j’ai faite, en tant que président de la commission des affaires européennes, à M. le président du Sénat.

Nos concitoyens ont besoin de perspectives d’avenir pour continuer à consommer et à investir. Ils ont aussi besoin de justice dans les efforts qui leur sont demandés, alors que les politiques d’austérité touchent d’abord les plus modestes et creusent les inégalités. Ils ont enfin besoin de démocratie : la construction européenne ne doit pas être un moyen de les tenir à l’écart.

Je le répète avec force : la rigueur n’est pas une politique, mais seulement un moyen. Nous devons cesser de confondre le moyen et la fin. Nous devons redonner du sens à la construction européenne. Dans cette période de crise, nous en avons plus que jamais besoin !

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