Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer un débat apaisé et riche.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je partage avec vous cette vision de l’Europe d’après : une Europe tournée vers la croissance, porteuse de grands projets, financièrement autonome. Nous n’y parviendrons pas par la création d’un impôt pesant sur les euro-citoyens. En revanche, la mise en place, par exemple, de la taxe sur les transactions financières, que le Président de la République appelle de ses vœux, ou encore de la taxe carbone, selon un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne, nous permettrait de défendre non seulement notre compétitivité et notre sécurité alimentaire, mais aussi le développement durable.
Vous avez également évoqué la Banque centrale européenne. Que dire de cette institution, si ce n’est qu’elle est indépendante ? Dans ces conditions, permettez-moi de vous faire remarquer que nous ne pouvons pas l’inciter à agir. Nous observons toutefois avec la plus grande attention ce qui vient de se produire. Nous pouvons, ensemble, constater, avec une certaine satisfaction, qu’elle a pris ces derniers jours ses responsabilités.
Monsieur le président de la commission de l’économie, vous avez consacré une grande partie de votre intervention au sommet de Durban.
Oui, nous sommes inquiets, d’autant que nous savons bien que l’Union européenne n’est responsable que, si je puis dire, de 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! La question qui se pose est à l’évidence de savoir si, en continuant à avoir des objectifs ambitieux en matière de développement durable, nous allons devoir renoncer à notre compétitivité, alors que l’ensemble des autres pays privilégient une vision à court terme, celle de la rentabilité.
Face aux États-Unis et au Canada, qui affichent des positions antagonistes aux nôtres, nous devons rassembler tous les États membres de l’Union européenne et entamer des négociations avec beaucoup de détermination.
En cas d’échec de la deuxième phase du protocole de Kyoto, ce qui serait très mal vécu par les pays émergents, le développement durable doit devenir un argument fort. À cet égard, je plaide pour que le mécanisme d’inclusion carbone soit une solution logique face à l’absence de réponse des pays qui portent la responsabilité de la dégradation de la situation.
Madame la rapporteure générale, vous avez considéré comme révélateurs certains termes employés par le Président de la République, mais j’ai constaté que toutes vos phrases se terminaient par un point d’interrogation. Pouvons-nous partager ensemble ces interrogations ? Oui ! Est-il vrai que nous ne savons pas aujourd'hui ce qui se passera dans un mois ? Oui !
À cet égard, permettez-moi de citer une phrase significative : « Les yeux du monde entier sont tournés vers l’Europe avec inquiétude. » Qui l’a prononcée ? Un gouvernant français à des fins électorales ? Une Chancelière allemande dans le but de faire plier la France ? Non, c’est le secrétaire américain au Trésor !
Dans ce monde dans lequel l’interdépendance est évidente, tout le monde a les yeux rivés sur la zone euro. Cela veut bien dire qu’il n’y a pas de dramatisation artificielle : la zone euro peut effectivement exploser, ruinant, de fait, le projet européen.
Monsieur Billout, vous avez exprimé une irritation que je partage à l’égard des agences de notation. Cette attitude m’avait d’ailleurs valu la critique d’être bien sévère à leur égard. Eh bien, je continue à l’être !
Les perspectives qui ont été données pour l’ensemble de la zone euro ont précédé les décisions qui ont été prises par le couple franco-allemand. Nous ne pouvons pas vivre sous la pression permanente de ces prophètes de malheur, comme disait La Fontaine, qui ont une capacité de nuisance et de prédiction auto-réalisatrice assez poussée.
Nous n’avons pas aujourd'hui suffisamment d’éléments pour apprécier l’objectivité et l’indépendance des agences de notation. Or il est clair que si un tel organisme avait été créé par l’Europe ou par la France, il serait exposé à certaines suspicions. Il est donc temps de clarifier la situation et de considérer les implications que peuvent avoir ces agences de notation dans le contexte évoqué, à juste titre, par M. de Montesquiou.
Cela étant, je ne crois pas que la règle d’or soit un carcan. Elle illustre parfaitement ce que disait Rousseau de la liberté : « L’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté. » Aussi, nous estimons que ni une agence de notation, ni un juge européen, ni une organisation qui n’aurait pas de racines démocratiques, ne peut juger les projets de budget votés par les parlements nationaux, c'est-à-dire par les représentants du peuple.
Reste qu’il est nécessaire d’avoir une règle admise par tous. D’ailleurs, j’ai noté le sens des responsabilités des intervenants : pas un seul n’a affirmé que toute discipline budgétaire devait être écartée. La règle d’or que nous appliquerions dans ce contexte serait un élément de liberté à l’égard des marchés, parce que la guerre existe. Il s’agit d’une guerre des démocraties, du peuple et de la politique contre la loi des marchés. Or si nous fixons des règles démocratiques, nous serons plus forts contre les marchés.
« Trop peu et trop tard ! », monsieur Plancade. Oui, les spéculateurs vont plus vite que les démocraties ! Discuter à Vingt-sept – j’en fais souvent la dure expérience – est plus long que de spéculer, pour une agence de notation, sur une valeur en bourse ou sur la situation d’un État.
Après avoir été les premiers pompiers à lutter contre l’incendie, après avoir créé des pare-feu utiles, comme le Fonds européen de stabilité financière, le début de la gouvernance économique européenne ou encore le plan de sauvetage de la Grèce, nous devons maintenant passer à l’étape suivante. Pour conserver la même image, je dirai qu’il nous faut protéger l’espace européen contre les incendiaires fous.
Monsieur Bizet, vous avez fait une analyse fine de la situation actuelle. Oui, nous devons nous inscrire dans la durée ! Non, la crise ne s’arrêtera pas après un sommet européen ! Il en faudra d’autres, tellement d’autres, avant que la gouvernance économique telle qu’elle a été décidée par la France et par l’Allemagne ne se mette en place. La réunion mensuelle qui a été prévue permettra aux États de réagir aux difficultés rencontrées.
Vous avez raison, la réponse doit être commune. Comment envisager de défendre des intérêts nationaux contre d’autres intérêts nationaux ? Comment envisager un protectionnisme national, qui conduirait évidemment à un repli identitaire ? Les nationalismes aboutissent à des reculs, voire à la guerre ! Or l’une des grandes conquêtes de l’Europe est d’avoir permis de faire la paix avec notre ennemi héréditaire d’il y a plus de soixante ans. De la paix, nous sommes passés à la confiance, puis à l’amitié, à partir de laquelle le « moteur franco-allemand » est effectivement devenu, vous l’avez dit, irremplaçable.
Vous avez parlé de convergences et procédé à des comparaisons. Comparer ne veut pas dire imiter. En matière de santé, on constate en effet à l’évidence que la situation est qualitativement équivalente et financièrement déséquilibrée de part et d’autre du Rhin.
Monsieur Delebarre a souligné, à juste titre, que la crise n’était pas finie. Selon lui, l’Europe ne se résume pas à une union monétaire ; il a raison, l’union monétaire est un moyen, non une fin.
Pour surmonter cette crise monétaire, nous devons justement être capables de voir plus loin, plus haut : l’Union européenne doit être considérée comme un projet de valeur, un projet de paix, de liberté, de prospérité et aussi de croissance. S’il ne peut pas y avoir de discipline sans solidarité, il ne peut y avoir d’autres objectifs que la croissance économique et l’emploi pour l’ensemble des peuples européens.
Vous avez eu raison de ne pas évoquer le rêve. Nous n’avons pas à réenchanter le rêve européen. Nous avons le devoir de créer l’espoir à force de décisions, de consolidations.
Enfin, je voudrais éliminer l’idée selon laquelle il y aurait toujours un vainqueur et un vaincu entre la France et l’Allemagne. Nous ne jouons pas un match de football ! Nous sommes non pas dans une compétition ridicule, mais dans une recherche obsédante et difficile de compromis.
Ainsi, l’idée française de gouvernement économique européen a été acceptée par les Allemands ; l’idée française de sauvetage de la Grèce était aussi, dans ce cas-là, une idée européenne. Le fait qu’un juge européen décide des budgets nationaux était une opposition française, mais elle a été acceptée par nos amis allemands. La règle d’or imposée à chacun, avec une modification des traités qui nous impose la liberté par la discipline budgétaire, c’est une idée allemande à laquelle la France souscrit.
Dans les moments de crise, on peut osciller entre le défaitisme, le risque, l’angoisse, l’inquiétude et l’espoir ; l’espoir que cette crise soit salutaire, qu’elle élimine définitivement, sur le plan tant européen qu’international, cette spéculation déraisonnable et fébrile qui déstabilise les banques, puis les États.
On peut penser que nous serons obligés d’en arriver à une intégration plus forte, non pas en renonçant à notre liberté ou à notre souveraineté, mais, au contraire, en regardant comment on peut, demain, faire en sorte que cette souveraineté partagée, cette cosouveraineté, devienne un élément positif pour l’ensemble des peuples.
J’entends des personnes souhaiter que l’on sorte de l’Europe ou de l’euro. C’est une absurdité ! Il est aussi fou d’envisager la démondialisation du monde que de penser que la France pourrait dresser des frontières l’excluant du monde.
Romain Gary disait : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres. » Aimer notre pays aujourd’hui, c’est vouloir construire une France forte au sein de l’Europe et grâce à une construction européenne.
Si cette crise doit nous faire passer d’un monde à l’autre, qu’elle nous fasse passer aussi d’une Europe à l’autre, d’une Europe faible, naïve, incomplète, à une Europe forte, intégrée et démocratique au service des peuples !