Intervention de Claude Lise

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Claude LiseClaude Lise :

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Martinique et la Guadeloupe connaissent, depuis plusieurs semaines, un mouvement social d’une ampleur sans précédent au cours duquel nous avons malheureusement assisté, à différentes reprises, à de véritables scènes d’émeutes.

Les deux îles sont en proie, en fait, à une véritable révolte populaire.

Révolte contre un mal-développement chronique, commun d’ailleurs aux quatre départements d’outre-mer, et dont les symptômes sociaux sont devenus proprement insupportables : des taux de chômage, notamment des jeunes et des femmes, sans équivalents dans l’Union européenne, des pourcentages de RMIstes en moyenne cinq fois supérieurs à ceux de métropole et une proportion de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté deux fois plus importante ; en regard, un coût de la vie particulièrement élevé et une dégradation croissante du pouvoir d’achat !

Révolte contre les racines d’un mal-développement à rechercher dans un passé colonial qui continue de structurer les relations économiques entre la France et ses départements d’outre mer.

Révolte contre un type de société qui porte encore largement l’empreinte de ce passé et reste marqué par la persistance de beaucoup trop d’injustices, d’inégalités et de discriminations, affichées ou insidieuses.

Révolte contre le sort fait à toute une jeunesse qui sombre dans la désespérance.

L’opinion française a, bien sûr, découvert des réalités dont elle ignorait l’existence, mais il est tout de même étonnant qu’une telle surprise se soit manifestée au niveau de l’État et de la classe politique, devant l’ampleur et le caractère des événements, car cette situation était prévisible, et les cris d’alarme lancés par des élus de nos départements n’ont pas manqué.

En ce qui me concerne, je n’ai cessé, ici même, de faire état des risques résultant de l’aggravation constante de situations dont le caractère insupportable n’était pas suffisamment pris en compte.

C’est ainsi qu’en décembre dernier, lors de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », je tenais à souligner la multiplication de « signes inquiétants » et à alerter sur le fait qu’il existait « de sérieuses raisons d’inquiétude pour les mois à venir ».

Pour remonter plus loin dans le temps, en décembre 2000, évoquant les événements qui se déroulaient alors en Guyane, je disais déjà, à cette tribune, qu’il existait, dans nos départements d’outre-mer, « un terreau favorable à la survenue de tels événements, […] formé par l’intrication de trois facteurs fondamentaux : l’inadaptation des institutions, le mal-développement des territoires et le mal-être des hommes ». Et j’ajoutais : « La tentation a toujours été grande, ici, pour les responsables politiques de se voiler la face, de se satisfaire d’explications superficielles et faussement rassurantes. »

Nous touchons là à un problème fondamental : la véritable surdité constamment opposée aux élus d’outre-mer, en grande partie liée à une image singulièrement déformée de ces territoires et des peuples qu’ils représentent, une image passéiste, en décalage avec les discours convenus sur l’importance accordée à l’outre-mer et le rayonnement qu’il permet à la France d’exercer sur les trois océans.

En réalité, la pensée dominante présente toujours ces territoires comme de grands consommateurs de fonds publics que l’on ne parvient pas à sortir de ce que l’on appelle « l’assistanat » – sans toujours savoir de quoi l’on parle, d’ailleurs -, mais en occultant ce qu’ils apportent et ce qu’ils rapportent à la France et, plus encore, ce qu’ils pourraient apporter et rapporter si l’on s’attachait à promouvoir réellement leurs indiscutables atouts.

Sinon, comment expliquer, chaque fois qu’il est question d’un grand plan de développement pour l’outre-mer, la tendance souvent observée à limiter les moyens financiers, ou à les considérer comme exorbitants, au détriment des objectifs affichés ?

L’actuel projet de loi illustre malheureusement cette tendance. Dès sa conception, il y a plus d’un an et demi, c’est le point de vue du ministère des finances qui l’a emporté avec un objectif évident d’économies budgétaires. Cela explique d’ailleurs que l’on ait fait voter en décembre dernier, en dépit de l’opposition d’une majorité d’élus d’outre-mer, dans le cadre de la loi de finances, des dispositions relevant normalement de l’actuel projet de loi.

Il s’agit des dispositifs de défiscalisation et d’exonération de charges sociales patronales. Ceux-ci méritaient certainement d’être améliorés, avec deux objectifs : réduire les risques d’abus et d’effets pervers – oui ! – mais, surtout, accroître l’efficacité de ces instruments au service du développement et de l’emploi, ce qui devrait, notamment, amener à poser le problème – on ne le pose jamais – des contreparties à exiger pour les aides accordées.

Choisir de modifier ces dispositifs dans le cadre de l’examen d’une loi de finances ne pouvait, en fait, que tendre à privilégier la recherche d’économies budgétaires. L’adoption d’un système de dégressivité linéaire pour les exonérations de charges a ainsi permis 138 millions d’euros d’économies ; mais c’est au prix de conséquences négatives sur l’encadrement intermédiaire qu’il est, par ailleurs, indispensable de promouvoir. La suppression brutale de certains dispositifs de défiscalisation, quant à elle, fait peu de cas des conséquences prévisibles sur le secteur du bâtiment et des travaux publics et des besoins importants en matière de logement intermédiaire.

J’ai le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que vous auriez préféré vous inscrire dans une autre logique, surtout depuis que vous avez pu voir de plus près certains aspects de nos réalités ultramarines.

Mais c’est la première logique qui continue de s’imposer, contrairement d’ailleurs à ce que nous avait laissé entendre le Président de la République, lors de l’audience du 19 février. Elle sous-tend, en tout cas, les positions de la commission des finances, et je ne peux que déplorer les décisions que celle-ci a prises, notamment sur deux points.

Il s'agit, premièrement, du rejet des amendements tendant à atténuer les effets négatifs du système d’exonération de charges sociales patronales, pour les raisons que j’ai déjà données. À cet égard, je me félicite de l’existence d’un amendement du Gouvernement, qui, bien qu’insuffisant, va dans le bon sens. Il s'agit, deuxièmement, de l’inclusion du nouveau dispositif de défiscalisation du logement social dans le plafonnement des niches fiscales : elle rendra moins attractif un dispositif qui l’est déjà peu.

J’approuve, en revanche, la proposition tendant à permettre aux collectivités territoriales de donner un avis sur les propositions de défiscalisation préalablement à leur réalisation. Je veux tout de même rappeler que j’avais déposé un amendement en ce sens, en 2003, lequel avait reçu un avis défavorable de la commission des finances, au motif que « nous nous heurterions au secret fiscal dont relèvent les dossiers d’agrément ». Faut-il en déduire que certains amendements aujourd’hui rejetés deviendront des propositions de la commission dans quelques années ?

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