Intervention de Serge Larcher

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en ce 10 mars 2009, nous examinons dans un contexte très particulier le projet de loi d’orientation pour le développement économique de l’outre-mer.

Je souhaite tout d’abord faire plusieurs remarques sur les circonstances qui conduisent à l’examen de ce texte aujourd’hui par le Parlement.

Il a, en fait, été rédigé en grande partie il y a presque deux ans maintenant, soit avant la crise financière et économique mondiale que nous traversons.

Cette crise sévère a sans doute amplifié les tensions déjà existantes outre-mer et contribué ainsi à déclencher le conflit social sans précédent que nous connaissons.

Dès le début, le texte qui nous est soumis n’a recueilli l’assentiment ni des socioprofessionnels, ni des élus locaux, ni de la plupart des parlementaires de l’outre-mer, toutes tendances politiques confondues.

Ses principales mesures remettent, en effet, en cause la plupart des instruments de soutien à l’économie des départements d’outre-mer, qui, pour imparfaits qu’ils étaient, avaient tout de même le mérite de commencer à produire de premiers effets en termes de développement économique et de création d’emplois.

Nous examinons donc en urgence un texte remanié en catastrophe, mais qui, en réalité, ne répond toujours pas aux enjeux de développement ni de la Guadeloupe, ni de la Martinique, ni de la Guyane, ni de la Réunion, et surtout pas aux attentes de ceux qui sont encore dans la rue !

Que de malentendus, monsieur le secrétaire d'État ! Que de temps perdu ! Que de gâchis ! Un homme, Jacques Binot, a été assassiné, des magasins ont été saccagés !

Cette fois-ci, le pourrissement de la situation n’aura pas eu raison des revendications légitimes des Martiniquais et des Guadeloupéens.

Elles trouvent leur source dans les préoccupations concernant la cherté de la vie, qui porte en elle misère et drames pour les plus vulnérables. Mais, à l’occasion de ces manifestations, l’économie n’a pas été le seul sujet amené sur la place publique ; c’est tout le schéma socio-historique particulier à nos îles qui a été décortiqué et porté à la connaissance de tous.

Si la dégradation du pouvoir d’achat, plus prégnante encore en outre-mer qu’en métropole, a été un élément déclencheur pour pousser les gens dans la rue, il faut discerner la véritable nature de cette crise au plan local pour y répondre.

Il s’agit, bien sûr, d’une crise économique et sociale, mais plus largement, il s’agit véritablement d’une crise de société.

Ce que disent les dizaines de milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais qui occupent la rue semaine après semaine depuis plus d’un mois, ce n’est pas seulement que les prix sont scandaleux et les salaires insuffisants. Ce qu’ils disent, c’est que le régime de l’exclusif postcolonial doit cesser et faire place au véritable développement économique, en lien avec la réalité de l’environnement de ces territoires.

Ce qu’ils disent aussi, c’est que l’État ne peut pas être éternellement complice de la perpétuation d’un système illégal, fondé sur des ententes oligopolistiques, mais qu’il doit au contraire assumer son rôle de contrôle et de régulation.

Ce qu’ils disent encore, c’est qu’en tant que citoyens de la République ils ne réclament ni l’aumône ni l’assistanat, mais tout simplement les conditions réelles de l’égalité.

Ce qu’ils disent enfin, c’est qu’ils n’ont nul besoin d’interlocuteurs condescendants, drapés dans les habits trop usés de l’amour paternaliste, mais qu’ils attendent de partenaires véritablement intéressés à enfin comprendre et relever les défis considérables auxquels sont confrontés nos territoires.

Le Président de la République a semblé mesurer la gravité de cette crise en annonçant la tenue, très rapide, d’États généraux dans chacun des départements d’outre-mer - c’est une bonne initiative – et la possibilité de mesures d’urgence en attendant. Dès lors, pourquoi s’obstiner à examiner un texte qui n’est pas adapté ?

Il eût été préférable de tirer les enseignements de ces États généraux avant de légiférer, comme l’a souligné ce matin Marc Massion, corapporteur. C’est une question de méthode, à moins qu’on ne veuille une fois de plus se contenter d’effets d’annonce !

Venons-en, maintenant, au contenu de ce texte.

Celui-ci prévoit un développement économique endogène, mais c’était déjà le cas de la loi de 2003, avec un soutien à l’investissement, à l’emploi et à la production locale ! Programmée pour quinze ans, son interruption brutale a eu pour effet de briser la confiance des socioprofessionnels.

Avec le plafonnement, dans la loi de finances pour 2009, des défiscalisations mises en place afin de favoriser les investissements outre-mer, cette belle volonté avait déjà reçu un coup d’arrêt massif. Nous avions alors dénoncé, sans être entendus, comme d’habitude, les effets pervers qui risquaient d’en découler.

Ce même budget réduisait aussi de 150 millions d’euros les exonérations de charges sociales pour les entreprises. Là encore, nous dénoncions l’incongruité de la mesure, sans être entendus, comme d’habitude ! Or, lors de la réunion du 19 février dernier à l’Élysée, le Président de la République annonçait, magnanime, une enveloppe supplémentaire de… 150 millions d’euros pour financer des améliorations dans le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer.

Mais de quelles améliorations s’agit-il en réalité ? Dans quels secteurs cette enveloppe sera-t-elle redéployée ?

Il est prévu d’augmenter le nombre des secteurs prioritaires dans le cadre des zones franches d’activités. Il s’agit, en fait, d’ajouter un secteur. Cette harmonisation n’est que la réponse aux revendications unanimement exprimées depuis longtemps.

Le régime applicable aux zones franches d’activités pose un certain nombre de questions. Par exemple, la durée d’exonération est au total de dix années, mais le taux ne s’applique que pendant les sept premières années, puis devient dégressif les trois années suivantes. Les mesures prévues dans la loi de 2003 devaient être d’une durée de quinze ans. Celles dont nous discutons actuellement s’achèveront, elles aussi, en 2017, à la différence près qu’elles sont moins favorables pour les professionnels. Le compte n’y est donc pas !

Est aussi programmé un aménagement de la dégressivité des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale, votée dans le cadre de la loi de finances de 2009, mesure à laquelle nous nous sommes opposés dans le principe, car ce système est défavorable à la hausse des salaires moyens et handicape particulièrement l’embauche des cadres intermédiaires.

En réalité, monsieur le secrétaire d’État, vous aménagez cette disposition, par voie d’amendement, et pour partie seulement, sans revenir sur la suppression de la dégressivité des charges patronales. L’exonération des charges était pourtant l’un des éléments majeurs des négociations sur les augmentations de salaires en Martinique ! L’enjeu était d’assurer une meilleure redistribution des revenus, et non un quelconque assistanat !

Il s’agissait également de permettre une relance des économies des outre-mers par la consommation. C’est exactement ce qu’a exprimé la rue : les salariés grévistes ont exigé du « yo », les profiteurs, un meilleur partage de la richesse.

Pour ce qui concerne les mesures pour le logement, vous aviez, semble-t-il, oublié, monsieur le secrétaire d’État, que la défiscalisation dans le secteur du bâtiment a fait ses preuves en matière d’aide à l’investissement. Vous réintroduisez donc partiellement, par voie d’amendement, une fois de plus, la défiscalisation sur le logement intermédiaire, initialement supprimée avec celle qui concernait le logement libre, pour la redéployer exclusivement sur le logement social.

Nous sommes sceptiques sur le bien-fondé d’une mesure qui n’est souhaitée ni par les élus locaux ni par les acteurs du logement social, car le dispositif de défiscalisation ne semble pas assez attractif financièrement pour fonctionner, d’où une crainte de baisse d’activité dans le secteur, particulièrement porteur, du bâtiment. Il ne sera pas suffisant pour répondre aux besoins locaux, d’autant que le nombre de logements construits est en baisse constante depuis trois ans.

Nous souhaitons donc que soit maintenue la défiscalisation au profit du secteur intermédiaire et du secteur libre.

Nous craignons également que, malgré vos dénégations, la ligne budgétaire unique, qui finance le logement social outre-mer et qui est déjà insuffisante, ne baisse encore.

Pour ce qui relève des aides fiscales à la réhabilitation des logements, il s’agit de rétablir, par voie d’amendement, une mesure existant dans le système actuel, que ce projet de loi a supprimée.

D’autres amendements du Gouvernement réintroduisent quelques mesures demandées. Mais que proposez-vous pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans, pour les bénéficiaires des minima sociaux ou encore pour les vieux travailleurs, ceux qui ont débuté sans connaître la sécurité sociale ? Ce sont les grands oubliés de votre politique de rattrapage des inégalités qui frappent les outre-mers.

Comment avez-vous pu laisser sur le bord de la route ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés ? Et comment pensez-vous redonner de l’espoir aux jeunes adultes en difficulté dans leur parcours d’insertion professionnelle ? Cette population est passée par pertes et profits dans vos mesures d’amélioration de la LODEOM, alors même que, chacun le sait, 50 % des chômeurs de nos régions sont des jeunes, et souvent qualifiés.

Pour toute réponse, l’article 27 de ce projet de loi supprime le dispositif de soutien aux jeunes diplômés, sans rien prévoir en remplacement ! Pourquoi ne pas étendre aux DOM le contrat d’autonomie mis en place en métropole en faveur des jeunes défavorisés des banlieues ?

Monsieur le secrétaire d’État, les événements que la Guadeloupe et la Martinique ont connus vous ont obligé à revenir, en apparence et en partie, sur vos positions. Présenté comme un outil de développement, ce texte manque cependant d’ambition et de souffle ; il est en réalité un texte de restrictions et d’économies budgétaires, et l’injection tardive de 150 millions d’euros ne changera pas son économie générale.

Il n’est pas certain que nous pourrons le réécrire par voie d’amendements pour prendre en considération non seulement les conséquences de la crise sociétale et économique en outre-mer, mais également les enjeux d’un véritable développement de nos territoires.

Pendant que nous sommes ici à débattre en urgence d’un texte inadapté, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la rue continue à gronder en Martinique ! Les écoles, les mairies, les entreprises de production, les commerces sont à l’arrêt depuis plus d’un mois ! Des États généraux sont prévus dans quelques semaines, mais peut-on les tenir sur un tas de cendres ? Quelle application pourrez-vous faire de cette loi une fois que les conclusions de ces États généraux seront venues en rappeler, une fois encore, les très grandes insuffisances ?

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, écoutez les parlementaires de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion ! Je vous le demande solennellement, écoutez bien les outre-mers, sauf à avoir fait un autre choix, dont les conséquences seraient dramatiques, mais que vous devriez alors assumer !

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