Intervention de Denis Detcheverry

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Denis DetcheverryDenis Detcheverry :

La dénomination « loi pour le développement et la promotion de l’excellence outre-mer » traduisait en effet mieux ma vision et mon ambition personnelle pour l'outre-mer. J’en suis convaincu, l'outre-mer peut être une valeur ajoutée pour la France. Ainsi, comme certains de mes collègues l'ont déjà mentionné, c'est grâce à cet ensemble de territoires ultramarins aux quatre coins de la planète que la France est la deuxième superficie maritime du monde, avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.

La richesse de la biodiversité française doit beaucoup à l'outre-mer. On y trouve, par exemple, des richesses minières, tel du nickel en Nouvelle Calédonie, ou du pétrole à Saint-Pierre-et-Miquelon, cette collectivité ayant d’ailleurs, par le passé, fait vivre une partie de la métropole grâce aux stocks importants de morue que l’on y trouvait.

Par ailleurs, tous ces territoires sont des avant-postes de la France à travers le monde, avec ce que cela implique de diversité culturelle, dans le sens large du terme. Nous sommes au contact de populations aussi diverses que variées dont nous connaissons les pratiques et la mentalité. Nous sommes des représentants tant de la France dans ces régions que de ces régions en France.

Cette diversité est aussi synonyme de spécificités. Chaque département, collectivité ou territoire est unique : il convient d'apporter des réponses spécifiques à des besoins et à des problématiques spécifiques. C'est pourquoi l'on parle le plus souvent « des outre-mers ». Je peux le comprendre, mais je préfère pour ma part parler de l'outre-mer, d’un outre-mer.

Ensemble, nous représentons 2, 5 millions de Français à part entière et une partie non négligeable de la richesse française. Au-delà de nos différences, nous avons beaucoup de points communs et de choses à partager.

Nous devrions constituer un réel réseau outre-mer, semblable à celui que j'ai découvert lors de ma mission de coopération régionale avec les provinces atlantiques du Canada en 2007 : le RDEE, le Réseau de développement économique et d'employabilité du Canada. Il s'agit des communautés francophones et acadiennes, minoritaires mais présentes à travers cette immensité canadienne située, de par sa superficie, au deuxième rang mondial, derrière la Russie

Ce que j'ai découvert là-bas fut édifiant. En un peu plus de dix ans, ces minorités ont réussi à transformer leur image de « quêteux » – autrement dit la politique de la main tendue, ce dont on accuse l’outre-mer bien souvent – en un atout indéniable, devenant une force de proposition et un partenaire de développement économique privilégié du gouvernement canadien.

L'outre-mer peut et doit faire la même chose aujourd'hui. Je suis convaincu de notre potentiel individuel, mais ce dernier ne pourra être révélé que par un effort collectif, autrement dit par un effort communautaire. C'est précisément ce qu'ont fait les membres francophones et acadiens du RDEE : ils ont su animer et impliquer chaque communauté afin qu'elle détermine ses besoins et ses envies de développement économique. Cette approche s'appelle le développement économique communautaire, ou DEC.

Cela commence par l'établissement de profils socio-économiques pour chaque communauté, profils dans lesquels on retrouve diverses données statistiques pertinentes, d'ordre démographique, économique et social. À ces données quantitatives s'ajoutent des portraits des régions contenant des éléments qualitatifs touchant plusieurs thèmes d'intérêt, par exemple le recrutement de la main-d'œuvre, la formation, les services d'appui aux entreprises et les priorités régionales de développement économique. Ces profils ont pour objectif de permettre une meilleure compréhension des communautés. Ils servent ensuite à établir le diagnostic des communautés et à « prioriser » des stratégies et des actions en termes de développement.

Cette approche est pour moi la meilleure garantie de réussite à long terme dans le monde actuel. Autant les décideurs pouvaient autrefois imposer certaines décisions sans trop d'explications ni de justifications, autant cela devient quasi impossible dans le monde actuel, où nous sommes de plus en plus informés, formés et cultivés. Avec Internet, tout le monde peut avoir accès à l'information en temps réel. Nos concitoyens analysent et remettent en question, ils ont une opinion, un point de vue, et aimeraient être entendus, surtout quand ils sont les mieux placés pour connaître les réalités de terrain. Nous devons donc les consulter, établir avec eux des diagnostics, fixer des objectifs, rendre des comptes et valider au fur et à mesure de l'évolution des projets.

Cela est d'autant plus vrai en outre-mer du fait de la distance et des différences géographiques et culturelles. La crise récente dans les Antilles nous l'a rappelé à notre bon souvenir.

Le système actuel, en place, voire imposé, depuis soixante ans, ne fonctionne plus : il est inadapté aux réalités locales et perpétue des restes de colonialisme.

« Qu'est-ce que ce blanc d'un territoire blanc peut bien connaître du colonialisme ? », devez-vous vous dire ! §Beaucoup plus que vous ne le croyez ! En effet, même si la population de Saint-Pierre-et-Miquelon est majoritairement d'origine européenne, elle a longtemps souffert, elle aussi, de l'attitude colonialiste, et il y en a encore des restes aujourd'hui !

Ainsi, les décisions sont prises à Paris avec peu ou pas de consultation des représentants locaux. Nous avons encore eu cette impression en fin d'année avec la réforme de l'indemnité de retraite : elle nous a été imposée sans que nous soyons vraiment consultés, alors que nous étions nous-mêmes demandeurs d'une certaine évolution. En outre, sur place, parmi les métropolitains ouverts et curieux de la vie – cela existe !–, quelques personnes viennent s'enrichir au mépris de notre culture et de nos habitudes. Ils occupent souvent des postes importants et prennent des décisions dans leur intérêt ou à court terme, et ce au détriment du développement économique.

Depuis des décennies, bien des systèmes ont été mis en place afin de pallier l'absence d'un réel développement économique et de faire face au coût de la vie. C'est ainsi qu'un dispositif totalement artificiel a été établi, qui a aujourd'hui démontré qu'il avait atteint ses limites.

Certes, les ultramarins ont leur part de responsabilité dans cette situation ; les élus et les syndicats locaux ont tantôt laissé faire, tantôt choisi le mauvais cheval de bataille.

Mais il nous faut tourner la page des injustices du passé. Par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon, il ne serait pas constructif de continuer à en vouloir à l'État français de nous avoir sacrifiés face aux Canadiens en 1992, dans l'espoir, un peu vain, de vendre quelques TGV ou Airbus. Nous adoptons souvent des attitudes de victimes qui nous rendent de moins en moins crédibles.

Certes, donc, nous avons notre part de responsabilité dans les événements du passé, et le travail reste encore à faire aujourd'hui. Mais j'avoue supporter difficilement qu’on montre du doigt l'outre-mer en l’accusant de ne pas se développer et de coûter cher, alors qu’on refuse depuis trop longtemps de lui donner les moyens adaptés – les moyens non pas financiers, mais techniques et humains, qui lui manquent le plus souvent – pour se prendre en main et construire un avenir prospère et durable.

Il est trop facile et foncièrement injuste de nous accuser alors qu'on nous a imposé ce système artificiel.

Quand j'observe qu’un des principaux journaux nationaux annonce qu'une majorité de Français métropolitains, lesquels connaissent pourtant peu ou mal les Français d'outre-mer, serait favorable à l'indépendance de la Guadeloupe, je suis perplexe, ou plutôt en colère ! Que cherche-t-on à prouver et à faire ? Serait-on en train de diviser pour mieux régner ?

Nous ne devons naturellement pas céder devant une telle attitude. Face à cela, je n'ai qu'une réponse : l'union. L'union entre les ultramarins ne pourra que renforcer l'union entre les Français de métropole et les Français d'outre-mer. À nous d'expliquer qui nous sommes, ce dont nous avons besoin mais aussi ce que nous pouvons apporter. Ne ratons pas cette opportunité que nous offrent les États généraux pour revoir en profondeur la place de l'outre-mer français dans le monde ! Permettons à nos compatriotes hexagonaux de mieux nous connaître, que ce soit par la télévision, les programmes scolaires ou la continuité territoriale ! Bref, encourageons la connaissance et l'échange.

En effet, ce n'est que dans l'échange, ouvert et sans jugement hâtif, que nous arriverons tous à sortir de cette crise qui nous concerne tous. Écoutons bien ce qui a été dit dans les départements d’outre-mer pour éviter une aggravation dans toute la France, comme ce fut le cas par le passé.

Concernant plus spécialement Saint-Pierre-et-Miquelon – j’en ai peu parlé jusqu’ici –, une opportunité unique, une échéance très importante pour l'avenir de cette collectivité d'outre-mer de l'Atlantique Nord arrive à grand pas : le gouvernement français a jusqu'au 13 mai pour revendiquer auprès de l'ONU les droits de l'archipel, donc de la France, pour une extension de son plateau continental.

Ce droit est reconnu à un niveau international. L'ensemble des élus et de la population est mobilisé pour qu'une lettre d'intention soit déposée. Une simple lettre nous mènera non pas vers un nouveau conflit avec notre voisin canadien – nous ne le voulons pas –, mais plutôt vers un espace de dialogue et de coopération dans notre environnement géographique régional.

Il s'agit là d'un espoir pour une identité maritime retrouvée à laquelle nous aspirons tous légitimement. Nous avons toujours existé par et pour la mer ; j'ose espérer que l'on ne nous refusera pas ce droit d'exister dans notre région.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j'espère pouvoir compter sur le soutien du Gouvernement dans ces moments décisifs pour l'avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon.

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