Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, fallait-il attendre la plus longue grève en France depuis mai 1968, avec ses tragiques dégâts collatéraux, pour que le Gouvernement concède de revenir sur les restrictions envisagées dans les dispositifs d’exonération et de défiscalisation existants ?

Aujourd’hui, ce même gouvernement ouvre si largement son portefeuille pour l’outre-mer que j’en arrive à me demander ce que cache cette capacité subitement recouvrée.

Souvenez-vous de l’examen ici même, en décembre 2008, des crédits de la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances pour 2009 : la crise économique mondiale est installée, la récession largement annoncée, la Guyane tout entière est en grève, et, malgré les alertes de certains parlementaires, on vote le plafonnement des réductions d’impôt pour l’investissement productif en outre-mer, la réduction des exonérations de charges sociales et la dégressivité des exonérations de charges patronales !

Trois grèves générales, un mort et des millions d’euros de dégâts plus tard, le Gouvernement, sans changer de cap, débloque 450 millions d’euros supplémentaires pour l’outre-mer, dont 150 millions d’euros pour la présente loi.

Aux parlementaires qui souhaitent un report de l’examen d’un texte devenu caduc, il est demandé d’agir en pompiers face à la crise, ou plus exactement face aux conflits sociaux qui agitent nos territoires. Or, nous le savons tous ici, ce texte ne pose pas les conditions d’un véritable développement économique endogène. Il ne propose aucune remise en cause des orientations du texte d’origine. Il n’intègre aucune des conditions de base de tout développement économique tenant compte des hommes et de la réalité de nos sociétés. En outre, l’examen dans l’urgence ne permet ni aux commissions ni aux autres parlementaires de transformer une liste de mesures de soutien aux entreprises en une véritable loi pour le développement des territoires et des populations, malgré la tentative louable de nos collègues du groupe CRC proposant l’ajout d’un titre sur le développement humain.

En juillet 2008, dans l’exposé des motifs du projet de loi, on prétendait promouvoir l’excellence économique pérenne de l’outre-mer en réformant les dispositifs et en diminuant les enveloppes ! En mars 2009, on veut simplement répondre à la conjoncture...mais avec des mesures décidées pour dix ans, tout de même !

Face à des territoires qui s’étranglent, on renvoie les questions de fond à plus tard, grâce à une formidable opération de communication qui cherche à nous faire croire que dans trois mois, d’ici à juin, on aura tout compris et tout réglé.

Honnêtement, en dehors d’une véritable et nécessaire réflexion en vue de réformer le système économique ultramarin français, était-il besoin d’États généraux pour savoir qu’on ne développe pas des territoires sans élever les niveaux de formation, sans lutter contre l’illettrisme, sans éradiquer l’habitat insalubre, sans développer une véritable politique de santé publique, enfin, sans mettre en place un système vertueux reliant la formation, les filières d’activités économiques et les débouchés ?

Avant les événements récents, ignorait-on la problématique des monopoles, des surcoûts et des surtaxes ? Ignorait-on les situations d’enclavement, les contraintes pesant sur le commerce extérieur, ou encore sur l’intégration des régions d’outre-mer françaises dans leurs aires géographiques respectives ?

Aujourd’hui, j’ai tout d’abord envie de soulever de nouveau la question que je posais ici même en décembre 2008 par la voix de mon collègue Georges Patient : quand donc le Gouvernement accordera-t-il à nos populations, à nos territoires et à nos élus, en dehors des avis de tempête, un peu de respect, ainsi qu’un peu d’écoute, d’écoute réelle ?

« À quand demain ? », disait le poète et député guyanais Léon-Gontran Damas ? À quand une politique de l’État en outre-mer s’appuyant sur le simple bon sens, et concevant donc des politiques et des projets pertinents à partir des réalités des territoires et non de cadres juridiques métropolitains qu’il faut ensuite adapter ou auxquels il faut forcément déroger ?

La première rupture ou le premier changement de paradigme dans l’appréhension du développement des terres ultramarines devrait être celui-là.

Or, le projet de loi dont nous allons débattre est encore un texte conçu en termes d’adaptation, de dérogation, de perfusion, tant la logique de dépendance outre-mer-métropole est forte, tant l’idée est ancrée que la norme est forcément métropolitaine et que toute mesure particulière serait une preuve manifeste de bienveillance, alors qu’on la voudrait fondatrice et structurante, surtout quand il s’agit de compenser des handicaps !

Enfin, aujourd’hui, la situation est exceptionnelle. Nous sommes pris en étau entre les cris de nos populations et des choix inopérants. Nous avons donc finalement le devoir d’aller dans le sens du projet de loi, et même d’aller encore plus loin dans sa logique actuelle, tout en sachant que les problèmes de fond n’y sont pas traités.

Mais même dans cette logique de compensation, qui semble généreuse, le compte n’y est pas.

Reprenons donc les trois axes que vous avez développés ce matin, madame le ministre.

La politique d’exonération et de défiscalisation en faveur de l’activité et de l’emploi, même réformée pour limiter les effets pervers du passé, est déployée sans véritable exigence de contrepartie en matière de formation, d’augmentation des salaires, de baisse du coût de la vie, hormis sur cent produits – mais les prix des autres produits pourront bien exploser pour compenser cette baisse. Finalement, cette politique moralise une niche fiscale pour en créer d’autres.

Par ailleurs, le petit commerce n’a pas été retenu, de même que le soutien aux emplois intermédiaires ou de cadres au profit de nos jeunes diplômés.

Le soutien à l’investissement, notamment par le fonds exceptionnel d’investissement outre-mer, n’affiche pas clairement ses domaines d’intervention, ses priorités, ni même ses modalités de mobilisation. C’est la seule mesure de soutien aux collectivités locales, par ailleurs fortement mises à contribution dans la mise en oeuvre des mesures proposées. Or les collectivités locales jouent un rôle fondamental dans la commande publique et dans la cohésion sociale.

Quant à la relance du logement social, qui devrait relever essentiellement d’une politique publique volontariste par l’augmentation de la ligne budgétaire unique, la LBU, vous voulez l’aborder par un dispositif moins attractif pour les investisseurs que le précédent système, aux indéniables effets pervers, qui concernait le logement libre. C’est, me semble-t-il, chercher à attirer les mouches avec du vinaigre, surtout en temps de crise.

Nous serons donc vigilants sur chacun des articles afin de permettre à l’outre-mer de traverser la crise sans trop d’encombre, tout en préparant les États généraux qui sauront, je l’espère, intégrer la dimension humaine manquant à ce texte.

« L’heure a sonné de nous-mêmes », disait Aimé Césaire.

Mais de grâce, puisque vous nous offrez des espaces d’expression, écoutez-nous ! Pour une fois, écoutez-nous, prenez en compte nos amendements, qui n’ont qu’une finalité : rendre le dispositif plus opérant. La situation en outre-mer au cours des dix prochaines années en dépend !

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