Intervention de Jean-Paul Virapoullé

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Jean-Paul VirapoulléJean-Paul Virapoullé :

… les casseurs envahissent les rues ! Demain, des pères et des mères de famille honnêtes perdront leur travail parce que leur magasin, qui est leur outil de travail, a été pillé.

Nous devons tirer les leçons de la crise antillaise, pour apporter des solutions d’avenir. Aux Antilles, plus encore qu’à la Réunion, je crois comprendre que l’histoire du peuplement, qui n’est pas encore assimilé et accepté, a laissé des séquelles.

En métropole, l’esclavage, dont l’histoire a été rappelée, est aujourd’hui considéré comme un crime contre l’humanité. Mais existe-t-il aux Antilles un mémorial qui reconnaisse, sur place, ce crime ? Existe-t-il la volonté non pas d’effacer l’histoire – on n’efface pas –, mais de se débarrasser du sentiment d’en avoir été la victime ?

Une telle situation pose un problème que, personnellement, j’avais mal compris. À travers les événements récents, j’ai pris conscience de sa dimension, mais je regrette de ne pas l’avoir fait plus tôt. En écoutant les manifestants antillais s’exprimer à la télévision, j’ai réalisé que leur premier grief était lié à l’histoire du peuplement, à leur identité.

Leur second grief est commun aux autres départements d’outre-mer. Alors que la solidarité nationale dont je parlais tout à l’heure augmentait, comme en témoigne le flux des crédits vers l’outre-mer qui ont apporté un mieux-être à une population dans le besoin, se multipliaient parallèlement les situations de monopole.

On observe en effet une situation de monopole dans la grande distribution : à la Réunion, trois centrales d’achats possèdent 80 % des parts de marché. Dans ce contexte, comment voulez-vous que la concurrence joue sans être entravée par des ententes illicites ? Depuis la semaine dernière, un magasin Leclerc a ouvert ses portes. J’espère qu’il résistera à la tentation de l’entente illicite et qu’il se comportera en rival et non pas, comme les autres, en requin.

Ces événements nous enseignent également une troisième leçon. Les jeunes qui pillent ce soir les magasins à la Réunion, ceux que j’ai vus à la télévision aux avant-postes de la révolte aux Antilles, ne tombent pas du ciel : ce sont les enfants qui sortent du système scolaire, après plus de soixante ans de départementalisation. Or, 30 % des jeunes sont en situation d’échec scolaire total. Après la classe de troisième, et alors qu’ils savent à peine lire et écrire, on leur dit : vie active ! Ils se tournent alors vers le maire de leur commune, pour lui demander un contrat aidé. Mais le maire et le président du conseil général ou du conseil régional ne peuvent pas employer toute la jeunesse en situation d’inactivité ! Ces jeunes deviennent alors les bras armés des explosions sociales qui se produisent. Il faudra traiter le problème de l’échec scolaire outre-mer autrement qu’en métropole, parce qu’il y a là une importance déterminante pour l’avenir institutionnel des départements d’outre-mer, leur cohésion et leur paix sociales.

Je m’adresse à tous les élus qui siègent dans cette assemblée, et plus particulièrement à Mme Lucette Michaux-Chevry et à M. Claude Lise, qui pourront également apporter leur témoignage, puisqu’ils étaient députés à l’époque des faits que je souhaite relater.

Au moment de l’adoption du traité de Maastricht, nous avions pris l’initiative de réunir les députés et sénateurs des DOM-TOM au sein d’un intergroupe. Avec M. Louis le Pensec, qui était alors ministre des départements et territoires d’outre-mer, nous avions demandé un rendez-vous au Président de la République François Mitterrand. Nous redoutions que les spécificités de l’outre-mer ne soient pas prises en compte dans le traité, auquel cas l’application de l’ensemble des directives communautaires nous aurait vite asphyxiés !

Parce que nous étions unis, toutes opinions politiques confondues, et que nous sommes allés voir le Président de la République pour demander qu’une déclaration solennelle des douze États membres soit annexée au traité, nous avons obtenu gain de cause. Plus tard, cette annexe est devenue l’article 299-2 du traité d’Amsterdam.

Mes chers collègues, je veux vous lancer un appel ce soir : ne faisons pas de l’outre-mer un enjeu partisan entre la droite et la gauche ! L’intérêt de la France, à travers la planète, mérite mieux qu’un affrontement sur les travées de cette assemblée, affrontement qui serait mal ressenti par la population de nos départements et qui aggraverait les tensions sur place. Unissons-nous pour la cause de la France sur l’ensemble de la planète. C’est une cause juste, une cause d’avenir, que je vous demande de soutenir tous ensemble, quelle que soit votre appartenance politique au sein de cette assemblée.

Le temps qui m’est imparti s’étant déjà largement écoulé, j’évoquerai rapidement quelques pistes de solution, qui se trouvent bien évidemment dans le projet de loi.

Des efforts substantiels ont été réalisés pour ce qui concerne les zones franches d’activités et l’abaissement des charges sociales. En matière de concurrence, certains amendements ont pour objet d’empêcher, dans le domaine du câble, les situations de monopole que l’on observe dans la grande distribution. Par ailleurs, j’espère que les amendements visant à la mise en œuvre de la loi dite « loi Scellier » dans les DOM seront adoptés, parce que le logement est la branche essentielle de notre activité.

Il faut décoloniser l’outre-mer et décloisonner son économie, pour que chacun reçoive selon sa chance, et non selon son hérédité. Les ateliers des États généraux doivent être mis en place dans un esprit de concertation, de transparence, de vérité et d’efficacité, pour faire sauter sans aucun tabou tous les verrous qui, depuis tant de temps, bloquent le développement de l’outre-mer. Je pense aux verrous de la distance et du coût du fret, aux verrous des monopoles, de la continuité territoriale et numérique, et au fait que le système éducatif ne répond pas, outre-mer, aux impératifs que nous lui assignons, malgré la décentralisation, qui a doté la région de toutes les responsabilités en ce domaine.

Voilà donc notre état d’esprit. Tous ensemble, nous avons ouvert un chemin essentiel pour l’outre-mer. Cette loi, qui sera complétée par les États généraux, va permettre d’écrire une nouvelle page de notre développement, sous l’angle non pas d’une économie colonisée et cloisonnée, mais d’une économie pour laquelle nous évoquerons, chacun à notre place, tous les sujets qui fâchent, en ayant le courage d’y apporter des solutions.

M’adressant à la population d’outre-mer, je voudrais lui dire, en paraphrasant John Fitzgerald Kennedy : ne vous demandez pas ce que la France peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la France et pour l’outre-mer, que nous aimons tous.

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