Le Livre blanc de 2008 a fait de l'Europe de la défense l'une de ses priorités. Depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) a connu certains progrès : mise en place de nouvelles structures, comme le comité politique et de sécurité, l'état-major européen et le comité militaire européen, création de l'Agence européenne de défense (AED), lancement de plusieurs opérations, comme l'opération Atalanta contre la piraterie maritime dans le Golfe d'Aden. Le traité de Lisbonne a créé le poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, confié à Mme Catherine Ashton, et le Service européen pour l'action extérieure, dont la mise en place s'avère toutefois laborieuse, introduit une clause de défense mutuelle, permis les coopérations renforcées ou la coopération structurée permanente.
Le retour plein et entier de la France au sein des structures de commandement de l'OTAN visait surtout à lever les réticences de nos partenaires, européens et américains, qui nous soupçonnaient de vouloir construire l'Europe de la défense contre l'OTAN. Il devait également favoriser l'émergence de l'Europe de la défense. Or, comme l'a souligné le chef d'État-major des armées, l'Europe de la défense est aujourd'hui « en hibernation ». Vue optimiste, qui suppose qu'elle se réveillera un jour...
L'Union européenne a été totalement absente d'un conflit à sa proximité immédiate, en Libye, exactement comme elle l'avait été quinze ans plus tôt dans les Balkans. Ses États membres sont apparus profondément divisés : d'un côté, la France et le Royaume-Uni, favorables à une intervention ; de l'autre, l'Allemagne, hostile. Ni le Haut représentant, ni le Service extérieur, ne sont parvenus à aplanir les divergences. L'Union n'a même pas été capable de lancer une opération pour la surveillance de l'embargo maritime sur les armes, le Royaume-Uni, bien que favorable à l'intervention en Libye, étant fortement opposé à une opération de l'Union européenne.
La Pologne ayant érigé l'Europe de la défense en priorité de sa présidence de l'Union européenne au deuxième semestre 2011, la France a fait, avec l'Allemagne et la Pologne, dans le cadre du triangle de Weimar, des propositions concrètes en décembre 2010, soutenues par l'Espagne et l'Italie. Aucune n'a débouché sur de véritables avancées. Le Royaume-Uni oppose son véto au renforcement des capacités européennes de planification et de conduite des opérations, pourtant indispensable pour lancer rapidement une opération, comme on a pu le voir lors de l'intervention au Tchad, considérant qu'un quartier général européen permanent dupliquerait celui de l'OTAN.
Je vous renvoie au compte rendu du dernier Conseil des ministres de la défense de l'Union européenne, qui s'est tenu les 30 novembre et 1er décembre derniers à Bruxelles. Après de longues discussions, les partisans d'un quartier général permanent, à savoir l'Allemagne, la France, la Pologne, rejoints par l'Italie et l'Espagne, ont finalement obtenu un lot de consolation. Le Royaume-Uni a accepté, à condition qu'il ne soit ni systématique, ni permanent, l'activation à partir du mois de janvier du centre d'opération de Bruxelles, localisé au même endroit que l'état-major de l'Union européenne, chargé de la pré-planification des opérations. On est loin toutefois d'un quartier général permanent. Si certains diplomates y voient une première étape, j'y vois plutôt un point final à la discussion : circulez, il n'y a rien à voir...
De même, la Grande-Bretagne refuse toute augmentation du budget de l'Agence européenne de la défense, qui n'est pourtant que de 30 millions pour 27 Etats membres, à comparer aux 300 millions de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), qui ne compte pourtant que six membres.
Difficile de lancer de nouveaux programmes d'équipements quand la plupart de nos partenaires européens diminuent leur budget défense. Les résultats de l'initiative de partage et de mutualisation des capacités pilotée par l'AED déçoivent. Faute de financement, les mutualisations portent davantage sur le soutien ou la formation, comme par exemple le soutien médical ou la formation des pilotes d'hélicoptères, que sur les équipements. Les expériences des coopérations européennes, à l'instar de l'A400M, ne sont guère encourageantes.
L'amélioration des relations entre l'Union européenne et l'OTAN se heurte toujours au blocage de la Turquie et de la Grèce sur Chypre.
Les groupements tactiques n'ont à ce jour jamais été utilisés.
Enfin, l'Union européenne peine à prolonger le mandat de ses opérations ou à en lancer de nouvelles. L'opération Atalanta manque de navires et les armateurs font de plus en plus appel à des sociétés militaires privées. Le lancement d'opérations dans la Corne de l'Afrique, au Sud Soudan, en Libye ou au Sahel, zone pourtant stratégique pour notre sécurité, est au point mort. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la lassitude des opinions publiques, notamment à l'égard de l'intervention en Afghanistan et la remise en cause, dans de nombreuses sociétés européennes, de l'idée même du recours à la force. Les responsables européens mettent désormais davantage l'accent sur la gestion civile des crises, abandonnant l'action militaire à l'OTAN.
En définitive, le retour plein et entier de la France au sein de l'OTAN ne s'est pas traduit par des avancées de la PSDC. Au contraire, conjugué aux accords franco-britanniques, il a été perçu, notamment par les Allemands et les Italiens, comme un renoncement de la France au projet d'une Europe de la défense crédible et autonome. Le Royaume-Uni continue de s'opposer à tout progrès de la PSDC. Son veto tient à l'hostilité des conservateurs britanniques à toute idée de défense européenne, et à leur attachement viscéral à l'Alliance atlantique. Le programme du parti conservateur prévoyait même la sortie de l'AED : « good idea, wrong place » avait dit l'ancien ministre de la défense, M. Liam Fox. Les libéraux démocrates s'y sont heureusement opposés.
Il manque aujourd'hui à l'Union un moteur et une volonté politique pour progresser sur ces questions. La crise budgétaire renforce l'inhibition. Or, la détermination de notre pays pour entraîner nos partenaires me semble plus faible qu'auparavant.