Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2011 : 1ère réunion
Evolution du contexte stratégique depuis 2008 : place et rôle de la france au sein de l'otan et au regard de l'europe de la défense — Communication

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, membre du groupe de réflexion :

Notre collègue M. Didier Boulaud vous a présenté le verre à moitié vide ; je le vois, moi, à moitié plein. C'est principalement la crise économique et financière, avec ses implications budgétaires, qui explique, à mon sens, la panne actuelle de l'Europe de la défense. Comme « on fait de la peinture avec des peintres », force est de reconnaître qu'on ne fera pas une défense européenne sans la France et le Royaume-Uni, d'où l'importance des accords franco-britanniques.

La réintégration pleine et entière de la France a renforcé notre influence au sein de l'Alliance atlantique, comme nous l'ont confirmé tous nos interlocuteurs au siège de l'OTAN. L'Amiral Di Paola, ancien président du comité militaire de l'OTAN et actuel ministre de la défense italien, que nous avions reçu au Sénat, a estimé que la voix de la France en a été renforcée à tous les niveaux. Notre pays a ainsi influé sur la définition du nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique, adopté en novembre 2010 lors du sommet de Lisbonne. La France avait fait inscrire dans les conclusions que la défense anti-missiles de l'OTAN était un complément et non un substitut à la dissuasion nucléaire, et qu'elle devrait se faire en coopération avec la Russie. La France a également obtenu le commandement allié chargé de la transformation (ACT), confié au général Abrial, qui est au premier plan dans la mutualisation des capacités. C'est une source d'économies importantes. Nous jouons un rôle majeur dans la réforme de l'organisation de l'OTAN : l'expérience libyenne en a montré toute la pertinence.

Surtout, sans cette réintégration, la France et le Royaume-Uni n'auraient pas pu jouer le rôle majeur qui a été le leur lors de l'intervention de l'OTAN en Libye. La présence d'officiers français au sein des états-majors nous a permis d'exercer une forte influence, tant politique qu'opérationnelle. L'opération a été un succès, avec la chute du régime de Kadhafi, aucune perte militaire et des dégâts collatéraux très limités. Surtout, elle marque l'émergence d'un pôle européen au sein de l'OTAN, idée que la France défend depuis soixante ans. Pour la première fois, les Etats-Unis sont restés en retrait, laissant les pays européens en première ligne, même s'ils ont apporté un soutien indispensable. L'opération libyenne a mis en lumière les lacunes capacitaires des pays européens en matière de ravitaillement en vol, de moyens de surveillance, de renseignement, de drones - sujet sur lequel nous avons adopté un amendement lors du débat budgétaire.

Longtemps, les États-Unis ont été réticents à l'émergence d'une identité européenne au sein de l'Alliance atlantique. « Non duplication, non discrimination, non découplage », telle était la position américaine, résumée par Mme Albright. Aujourd'hui, l'ancien secrétaire d'Etat américain à la défense, Robert Gates et son successeur Leon Panetta, appellent les Européens à prendre leurs responsabilités pour assurer leur propre sécurité. Les Etats-Unis se concentrent sur le Pacifique et la montée en puissance de la Chine, et reconsidèrent leur présence militaire en Europe. La perspective d'une forte diminution du budget de la défense des Etats-Unis - de 500 à 1 000 milliards de dollars sur les dix prochaines années - aura également des conséquences pour l'Europe.

Face à cette situation, loin de se doter des capacités nécessaires, la plupart de nos partenaires européens réduisent drastiquement leur budget de défense. Seuls la France, le Royaume-Uni et la Grèce consacrent 2 % ou plus de leur PIB à la défense ; dix-sept pays y consacrent moins de 1,5 %. L'Allemagne, qui est à 1,4 %, s'est lancée dans une profonde réforme de son outil de défense : elle compte faire en trois ans ce que nous avons fait en quinze ! L'effort de défense va encore y diminuer de 15 %. Aux Pays-Bas ou en République tchèque, la baisse est telle que l'on s'interroge sur l'avenir même de leur défense.

Dès lors, on comprend la réticence de nos partenaires à lancer en commun de nouveaux programmes capacitaires, et leur choix de privilégier l'achat « sur étagère » d'équipements américains. La mutualisation des capacités, prônée par le Secrétaire général de l'OTAN dans le cadre de son concept de Smart defense, se résume souvent à un partage des coûts de maintien en condition opérationnelle des équipements américains. Le programme Alliance Ground Surveillance (AGS) reviendrait ainsi à faire supporter par les 28 pays de l'Alliance les coûts de maintenance des drones HALE de haute altitude américains, les Global Hawk, acquis par 13 pays de l'OTAN mais pas par la France, qui contribuerait toutefois à hauteur de 214 millions... Lors du Sommet de Chicago, en mai, les Etats-Unis appelleront les Européens à maintenir leur effort de défense. Attention à ce que cet appel ne se traduise pas par des financements communs, voire par une spécialisation des pays européens évoquée par certains think tanks, qui nous rendrait encore plus dépendants des américains.

Enfin, lors du Sommet de Lisbonne, il a été décidé d'engager l'OTAN dans une défense anti-missile. L'Europe aura-t-elle la volonté d'assurer elle-même la protection de son territoire et de ses populations ou souhaitera-t-elle s'en remettre aux États-Unis ? L'architecture du futur système de commandement et de contrôle sera centrale : qui appuiera sur le bouton, et dans quelles circonstances ? Étant donné l'absence de moyens des Européens, on peut avoir quelques inquiétudes sur leur place au sein du futur système.

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