Le 2 novembre 2010, plus de dix ans après le sommet de Saint-Malo, ont été signés à Londres deux accords historiques entre la France et le Royaume-Uni : un traité bilatéral d'amitié et de coopération en matière de défense et de sécurité et un accord en matière nucléaire. Il a été question de coopération opérationnelle, de partage ou de mutualisation d'équipements et d'actions de formation ou de soutien, de coopération en matière de recherche et d'armement, de rapprochements dans l'industrie.
Comme toujours avec nos amis britanniques, c'est un mariage de raison plus que d'amour, mais, après tout, il y en a beaucoup d'heureux. Entre la France et Royaume-Uni, les facteurs de convergence sont nombreux. Leur effort de défense, le volume de leurs forces, la gamme de leurs capacités opérationnelles et industrielles en font les deux plus importantes puissances militaires en Europe. Membres permanents du Conseil de sécurité, ils sont les seuls en Europe à disposer de l'arme nucléaire et entendent maintenir un outil de défense à la mesure de leurs responsabilités internationales.
Il s'agit, avec pragmatisme, d'optimiser les investissements et les capacités de défense, dans le respect de la souveraineté et des intérêts nationaux de chaque partenaire. Cette démarche entend également servir d'exemple à l'échelle européenne, à l'heure où l'effort de défense fléchit en Europe.
Le Royaume-Uni réduira de 8 % son budget de défense d'ici 2015, avec pour conséquences le retrait de son porte-avions et un trou capacitaire sur l'aviation embarquée jusqu'en 2020, la renonciation à l'aviation de patrouille maritime, la réduction de format de la flotte de surface, de l'aviation et des forces terrestres.
Les objectifs de coopération identifiés portent sur un nombre limité de domaines d'intérêt majeur pour l'un et l'autre pays : la dissuasion nucléaire, les systèmes de combat sous-marins, les satellites de télécommunications et les drones d'observation et de combat.
British Aerospace et Dassault ont déjà établi une proposition commune pour un drone d'observation franco-britannique à l'horizon 2020. Ce rapprochement est indispensable si l'on veut un appareil européen dans la prochaine génération d'avions de combat. La consolidation entre les entités française et britannique de MBDA est également déterminante pour pérenniser une présence européenne dans le domaine très concurrentiel des missiles.
L'impulsion politique devra être maintenue dans la durée. C'est pourquoi le traité de coopération a prévu une structure de pilotage au plus haut niveau, avec le chef d'état-major particulier et le conseiller diplomatique du Président de la République et le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre britannique. À l'échelon inférieur : le groupe de travail de haut niveau, avec le DGA et le secrétaire d'Etat à l'équipement britannique, et, pour les aspects opérationnels, la réunion des deux chefs d'état-major des armées. Le président de Rohan avait souhaité un suivi parlementaire franco-britannique, sous la forme d'un groupe de travail qui doit tenir sa prochaine réunion le 13 décembre.
Certains ont opposé ce renforcement de la coopération bilatérale et l'avenir de l'Europe de la défense.
Premièrement, la France et le Royaume-Uni sont les seuls pays européens à disposer de toute la gamme des capacités militaires. Leur statut international, les relations qu'ils entretiennent sur tous les continents les amènent à jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité internationale, on l'a vu en Libye. Il est évident qu'un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays obéissent à leurs intérêts nationaux, mais ils contribuent aussi à maintenir une contribution européenne significative dans l'OTAN et une base solide pour les opérations de la PSDC. On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l'Europe pour lui reprocher aujourd'hui une coopération renforcée avec la France.
Deuxièmement, la coopération franco-britannique n'interdit pas la participation d'autres pays européens aux projets dédiés en commun, dès lors qu'ils partagent les mêmes objectifs. Elle n'exclut pas non plus d'autres domaines de coopérations potentielles. Ainsi, dans le domaine spatial, la coopération porte sur les satellites de télécommunications, mais le Royaume-Uni n'est pas impliqué dans les satellites d'observation, qui font l'objet d'une coopération avec d'autres pays. Idem pour la lutte sous-marine contre les mines, domaine d'expertise des Allemands.
Cette coopération réaliste, montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers, témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables. Il serait souhaitable que d'autres groupes de pays s'engagent sur la même voie. Je pense à l'Italie, l'Espagne, la Suède ou la Pologne. Dans le contexte actuel, il est crucial de maintenir une base industrielle de défense européenne. C'est pourquoi cette coopération, bien que bilatérale, me paraît incontestablement utile pour l'Europe de la défense, à condition qu'elle reste ouverte aux pays européens, et en particulier à l'Allemagne. Le monde bouge très vite : ne fermons pas la porte à des évolutions.