Intervention de Didier Boulaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2011 : 1ère réunion
Plates-formes d'enchères communes et instance de surveillance des enchères — Examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud, rapporteur :

Notre commission est saisie de deux projets de loi de ratification concernant le système européen d'échanges de quotas d'émission de gaz à effet de serre, adoptés en conseil des ministres le 30 novembre.

Il s'agit de deux accords de passation conjointe de marché en vue de la désignation de plates-formes communes d'enchères de quotas d'une part, et de la désignation par adjudication, d'autre part, d'une instance de surveillance des enchères, signés par la Commission européenne et les États membres le 9 novembre.

Alors que la Commission et tous les autres États membres, à l'exception de l'Espagne, considèrent ces documents comme des contrats, et n'entreprennent aucune procédure de ratification, le Conseil d'État a considéré, à l'inverse, qu'il s'agit d'accords internationaux aux termes de l'article 53 de la Constitution devant, en conséquence, être ratifiés par le Parlement dans la mesure où ils comportent des dispositions relevant du domaine législatif.

Rappelons tout d'abord que, dans le cadre de la mise en oeuvre des accords de Kyoto, l'Union européenne s'est fixé un objectif de réduction du niveau global d'émission des gaz à effet de serre de 20 % entre 1990 et 2020. A cette fin, les États membres ont, par une directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003, établi un mécanisme de politique publique spécifique et assez novateur : le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE). Entré en vigueur en 2005, ce système couvre environ 50 % des émissions de dioxyde de carbone de l'Union européenne, constituant ainsi le plus important marché carbone au monde.

Or, le SCEQE devrait connaître de profondes mutations lors de son entrée en phase III au 1er janvier 2013, puisqu'outre une extension du marché par l'inclusion de nouveaux secteurs tel que le transport aérien, son périmètre sera étendu par l'assujettissement de nouveaux gaz en sus du dioxyde de carbone et, surtout, les quotas seront en principe attribués par les États membres au moyen de ventes aux enchères, alors qu'aujourd'hui 96 % d'entre eux sont alloués à titre gratuit.

Toutefois, pour éviter les délocalisations d'activités motivées par le coût européen du carbone au sein de l'Union européenne, ce principe général admet des exceptions substantielles, 50 % des quotas continuant à être alloués gratuitement.

D'un point de vue financier, la mise aux enchères permettra aux États membres de percevoir une recette supplémentaire. Compte tenu des allocations gratuites, ce sont environ 1 milliard de tonnes qui seront mises aux enchères dans l'Union européenne en 2013, dont 60 millions par la France, soit un montant de recettes attendu d'environ 500 millions d'euros sur la base du cours actuel de 8 euros la tonne.

Pour faciliter la transition entre les phases II et III, il a été décidé de mettre 120 millions de quotas de phase III, et 30 millions de quotas aériens aux enchères de façon anticipée, ce qui signifie que l'infrastructure européenne de mise aux enchères devra être opérationnelle dès le deuxième semestre 2012.

A cette fin, la Commission a adopté le règlement n° 1031/2010 du 12 novembre 2010 relatif au calendrier, à la gestion et aux autres aspects de la mise aux enchères des quotas d'émission de gaz à effet de serre, définissant le fonctionnement des plates-formes d'enchères et établissant une instance de surveillance.

Ce texte prévoit la désignation d'une plate-forme commune d'enchères par les États membres, tout en laissant ouverte la possibilité d'opter pour des plates-formes nationales, ce qu'ont retenu les principaux émetteurs de gaz à effet de serre de l'Union européenne que sont l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Pologne.

La France, quant à elle, a choisi d'utiliser la plate-forme commune, parce que susceptible de s'avérer moins coûteuse pour chaque pays participant. Cette situation n'est pas pénalisante pour les opérateurs français sur le marché secondaire, comme Bluenext, qui pourront se porter candidats au marché pour les plates-formes communes, comme aux compétitions qui seront organisées par les États non signataires pour désigner les opérateurs de leur plate-forme nationale.

Quant à l'instance de surveillance, elle prend la forme d'une entité indépendante chargée de la totalité des enchères de quotas réalisées sur l'ensemble des plates-formes ; elle sera à ce titre chargée du contrôle de chacune des opérations.

Pour la mise en oeuvre de ce règlement, la Commission et les États membres ont conclu les accords déterminant les règles de procédure et les modalités pratiques de coopération entre les États membres participants et la Commission européenne. Aux termes de ceux-ci, la Commission agit en quelque sorte comme un mandataire des États membres chargé de conduire la procédure.

Son mandat est encadré par un comité directeur de passation conjointe de marché, composé des représentants de chaque partie contractante, auquel seront soumises pour approbation les principales décisions. Des comités de gestion des marchés, d'une part, et d'évaluation, d'autre part, composés des membres présentés par les États membres et désignés par la Commission, sont, en outre, chargés, pour le premier de superviser la mise en oeuvre du marché et son exécution, pour le second de l'évaluation des offres.

Le Titre V de l'accord sur les plates-formes d'enchères communes définit les modalités d'association à la démarche des États ayant opté pour des plates-formes nationales, soit comme membre des comités de gestion et d'évaluation, soit comme observateur au sein du comité directeur, l'objectif étant d'assurer la plus grande cohérence possible au sein de l'ensemble du système d'enchères.

Les accords contiennent aussi des dispositions communes finales dont certaines ont attiré mon attention.

Tout d'abord, les accords créent un régime de responsabilité non contractuelle, en ce qu'ils prévoient l'indemnisation intégrale ou partielle de la Commission européenne par le ou les États membres concernés, du coût de réparation de tout dommage non contractuel en relation avec l'accord à un tiers ou à un État membre, et surtout parce qu'ils n'exonèrent un État membre de sa responsabilité que s'il apporte la preuve qu'il n'a pas pu causer le dommage, même partiellement.

En effet, la Commission est désignée comme étant l'opérateur des procédures de marché. Elle agit au nom et au profit des États-membres ; il n'est donc pas illogique que les accords prévoient de la garantir lorsqu'elle est tenue de dédommager un tiers ou un État membre. En revanche la clause établissant la charge de la preuve est plus discutable au regard des principes du droit français, dans la mesure où la responsabilité d'un État membre est présumée, et qu'il lui appartient d'apporter la preuve contraire. C'est essentiellement la raison pour laquelle la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères et le Conseil d'État, saisi pour avis, ont considéré que ces accords devaient faire l'objet d'une ratification par le Parlement.

Quant aux clauses de modification de ces accords, elles posent le principe selon lequel une modification de l'accord nécessite l'approbation unanime des membres du comité directeur de passation conjointe de marché. Précisons toutefois que la ratification des accords par le Parlement ne saurait avoir pour conséquence de déléguer au représentant de la France, au sein des comités directeurs de passation de marché, le pouvoir d'accepter une modification incompatible avec le droit national et qui, en conséquence, devrait faire l'objet d'une procédure de ratification.

Les accords prévoient une entrée en vigueur 14 jours après la signature, dès lors que neuf États membres auront transmis à la Commission la confirmation de l'accomplissement des procédures nationales pour leur approbation ou l'absence de nécessité de telles procédures.

Comme je l'ai indiqué en introduction, à l'exception de l'Espagne et de la France, les États membres signataires et la Commission européenne n'ont pas jugé nécessaire de les soumettre à une procédure nationale d'approbation. En conséquence, les accords sont entrés en vigueur le 24 novembre. Les parties travaillent d'ores et déjà à la rédaction des cahiers des charges des consultations pour l'instance de surveillance et la plate-forme transitoire, l'objectif étant d'attribuer en avril ou mai 2012 le marché pour la mise en place de la plate-forme provisoire.

On ne peut que s'étonner des conditions dans lesquelles ces accords sont soumis à ratification par le gouvernement. En effet, il avait été établi que la fin de l'année 2011 constituait une date butoir pour permettre une entrée en vigueur anticipée de la plate-forme et de l'instance de surveillance. Il aura fallu dix mois à la Commission européenne et aux États membres pour mettre au point cet accord, près de deux mois pour recueillir les signatures, deux semaines pour le faire adopter en Conseil des ministres, et une semaine pour permettre à votre rapporteur d'en prendre connaissance et de vous soumettre ses conclusions.

Nous devons toutefois garder à l'esprit que tout retard dans le processus de ratification priverait la France du droit de participer pleinement aux instances d'instruction et de décision, et que l'absence de ratification l'empêcherait de mettre ses quotas aux enchères, privant ainsi l'Etat des recettes correspondantes.

En conclusion, votre rapporteur, malgré les délais impartis qui n'ont pas permis un examen très approfondi des accords, et ses observations sur le caractère dérogatoire de la clause de responsabilité non contractuelle et sur la portée des clauses de modification, vous recommande l'adoption des deux projets de loi de ratification.

Compte tenu en outre de leur caractère technique, il considère que la procédure d'adoption simplifiée est la plus appropriée.

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