Intervention de Bernard Cazeau

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 décembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Examen du rapport en nouvelle lecture

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau, rapporteur :

Le texte issu de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé montre qu'un accord est possible sur tout, sauf sur l'essentiel.

L'Assemblée nationale était saisie, après l'échec de la commission mixte paritaire, des cinquante et un articles du projet de loi restant encore en discussion. En nouvelle lecture, les députés ont adopté dix articles dans la rédaction du Sénat. Ajoutés aux huit qui avaient déjà fait l'objet d'un vote conforme, dix huit articles de ce texte auront donc été adoptés dans une rédaction commune. Restent quarante et un articles, parmi lesquels dix-sept ont été modifiés par l'Assemblée en nouvelle lecture pour rétablir le nom de la future agence en charge de la sécurité du médicament souhaité par le Gouvernement ; c'est là parfois le seul changement qui a été opéré et on peut considérer qu'il ne s'agit pas d'un point majeur même si je persiste à penser qu'il n'est pas judicieux d'intituler cette agence « nationale » et non « française », ce qui a plus de sens dans les instances internationales.

Les améliorations rédactionnelles apportées par le Sénat ont été, dans la plupart des cas, conservées, de même que quelques amendements de fond adoptés par notre assemblée, principalement ceux proposés par le Gouvernement ou le groupe UMP, ce qui ne vous étonnera pas, mais aussi certains émanant du groupe CRC ou des sénateurs Verts.

L'Assemblée a cependant refusé les principaux renforcements qu'avaient apportés notre commission puis le Sénat en séance publique concernant le contrôle des liens d'intérêts, la prévention des conflits d'intérêts et le renforcement des droits des victimes. Ont également été écartés tous les débats de fond tendant à l'octroi de moyens publics pour la mise en place d'un corps d'experts indépendants, le financement des associations de patients, ainsi que la question de la formation initiale et continue des professionnels de santé et celle de l'avenir des visiteurs médicaux.

Le refus de discuter de ces sujets, manifesté dès la commission mixte paritaire, a fait voler en éclats la perspective d'élaborer un texte consensuel. En première lecture, le groupe socialiste, radical et citoyen de l'Assemblée nationale s'était abstenu lors du vote final pour laisser une « seconde chance » à ce projet de loi devant le Sénat. L'intransigeance de la majorité présidentielle l'a conduit à voter contre le texte de nouvelle lecture. Le texte du Sénat était pourtant directement issu des propositions de sa mission commune d'information sur le Mediator, adoptées à l'unanimité de ses membres. En cohérence avec cette position, le groupe UCR avait d'ailleurs voté le texte résultant des travaux du Sénat en séance publique.

Il n'est pas anodin d'observer que même les avancées adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale ont été restreintes en nouvelle lecture. L'application de l'article 9 bis, initiative heureuse des députés pour soumettre à des essais comparatifs les médicaments proposés au remboursement, a cette fois été conditionnée à la prise d'un décret en Conseil d'Etat. Le prétendu risque d'entraver la diffusion de médicaments innovants a servi une fois encore à protéger le remboursement des nombreux « me too », ces médicaments sans apport thérapeutique réel par rapport à l'existant qui encombrent le marché.

Au total, en dehors d'une amorce de contrôle des dispositifs médicaux, enjeu majeur de sécurité sanitaire, l'essentiel des apports de ce texte réside dans la transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance. Les autres dispositions soit figuraient déjà dans les compétences de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), soit dépendront, à titre principal, de mesures réglementaires dont le contenu est incertain. Le flou qui entoure plusieurs dispositions est par ailleurs de nature à faciliter les contentieux et à inhiber à nouveau la future agence dans l'exercice de ses compétences.

Je noterai simplement quelques points saillants de désaccord avec le texte qui nous est soumis.

L'Assemblée nationale a refusé d'harmoniser, comme nous l'avions prévu, la procédure de contrôle des déclarations d'intérêts prévue pour les acteurs de la sécurité sanitaire avec celle prévue par le projet de loi « Sauvé ». Ce seront donc des comités d'éthique internes aux organismes et aux moyens limités qui seront chargés du contrôle de l'exactitude des déclarations, ce qui sera peu efficace. Par ailleurs, l'Assemblée a refusé l'interdiction, pourtant limitée, de tous liens d'intérêts pendant trois ans pour diriger les principales agences sanitaires que nous avions souhaitée. Il me semble, en effet, que la position tout à fait particulière des dirigeants des agences était de nature à justifier cette exclusion et le fait que d'éminents professeurs de médecine seraient privés de ces postes ne me paraît pas déterminant : ils auraient pu, s'ils souhaitent conserver des liens d'intérêts, exercer des fonctions d'expertise au sein des agences, ou mieux encore, continuer à oeuvrer directement pour la recherche et le soin au sein des services hospitaliers.

S'agissant des avantages consentis par les entreprises, l'Assemblée a également supprimé la mise en place d'un site internet gratuit centralisant ces informations...

Toute personne désirant connaître les liens d'un professionnel de santé ou d'un établissement devra donc consulter l'intégralité des sites des entreprises du secteur ou espérer que son moteur de recherche lui fournira un lien vers toutes les pages pertinentes. La pertinence de Google tiendra donc lieu de transparence !

Concernant les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), l'Assemblée nationale est revenue sur le choix du Sénat de limiter leur durée de vie à une année renouvelable deux fois. Je demeure pourtant convaincu qu'il aurait été préférable de marquer clairement la différence entre les ATU de droit commun, qui ne sont qu'une première étape, par définition temporaire, vers l'AMM, et les ATU délivrées dans le cadre d'une procédure dérogatoire, qui répondent à des situations isolées et douloureuses, et ne doivent être soumises à aucune contrainte temporelle.

Le Sénat avait fait le choix d'inscrire dans la loi une interdiction de principe de la publicité concernant les vaccins. L'Assemblée est revenue à un système d'autorisation encadrée qui, à mon sens, n'apporte toujours pas les garanties suffisantes pour assurer la correcte information des patients. Je l'ai dit et le réaffirme, la politique de prévention en matière de vaccins doit relever exclusivement de la puissance publique.

Sur l'expérimentation de la visite médicale collective dans les établissements de santé, l'Assemblée nationale a réintroduit les dérogations que nous avions supprimées pour certains médicaments à prescription restreinte. Elle en a même « rajouté une couche » puisque les dispositifs médicaux ne seront pas non plus inclus dans le champ de la visite médicale collective. Autant dire que l'expérimentation qui nous est proposée est aujourd'hui totalement vidée de son sens...

Le ministre a été pris à son propre jeu. Il ne peut même plus faire d'expérimentation ! Cela amène à se poser quelques questions sur l'importance de certains lobbies que je ne veux pas citer présents à l'Assemblée nationale !

J'en viens maintenant à la question de la protection des droits des patients. A l'initiative des groupes socialiste-EELVr et CRC, le Sénat avait introduit trois articles mettant directement en pratique le principe énoncé par le ministre de la santé selon lequel « le doute doit désormais bénéficier au patient ». L'Assemblée est revenue sur ces trois avancées.

L'article 17 bis portait sur la responsabilité du fabricant du fait d'un produit défectueux. Depuis la transposition, en 1998, de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, un fabricant ne peut être jugé responsable du dommage causé par un produit défectueux lorsqu'il lui était impossible, au moment de sa mise en circulation, de déceler l'existence d'un défaut dans sa conception. Prenant en compte la spécificité des médicaments, l'article 17 bis visait à supprimer cette exonération en matière de médicaments, alignant par là même leur régime juridique sur celui qui s'applique actuellement aux produits issus du corps humain.

Revenant lui aussi sur les conséquences défavorables pour les victimes d'accidents médicamenteux de la directive de 1985, l'article 17 ter mettait en place un système de faisceau d'indices qui permettait d'assouplir la charge de la preuve qui pèse à l'heure actuelle sur les requérants lorsqu'ils demandent réparation des dommages causés par un médicament.

Si elle a reconnu l'intérêt que pouvaient présenter ces deux articles, l'Assemblée nationale n'a pas jugé bon de les conserver dans le texte adopté en nouvelle lecture.

Enfin, l'article 30 bis A introduisait en droit français une procédure d'action de groupe pour les victimes d'accidents médicamenteux. Nous sommes aujourd'hui confrontés à un paradoxe sur cette question des actions de groupe : tout le monde ou presque reconnaît leur utilité mais toutes les tentatives mises en oeuvre jusqu'à présent pour les introduire en droit français ont été vouées à l'échec. Alors, certes, il aurait été préférable de mettre en place un tel dispositif dans le cadre d'une loi générale sur l'action de groupe. Mais à partir du moment où celle-ci semble reportée sine die, il était légitime de prévoir une procédure spécifique dans le cadre du présent projet de loi pour les victimes d'accidents médicamenteux. Pourtant, l'Assemblée nationale a préféré le statu quo et a choisi de supprimer l'article en nouvelle lecture.

Pour tous ces motifs, je crains qu'il soit inutile de nous acharner à convaincre les députés du bien-fondé de nos observations. Je vous propose donc que notre commission présente une motion tendant à opposer la question préalable, afin de manifester notre désaccord profond avec le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé tel qu'il a été présenté par le Gouvernement et tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

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