Dans le courant du mois de novembre dernier, notre commission a été saisie pour avis du projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) liant l'État à l'Institut français pour la période 2011-2013, conformément à l'article 1er de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État. Ce projet de COM a été préalablement examiné et validé par le conseil d'orientation stratégique de l'Institut lors de sa première réunion, le 28 septembre 2011.
Sur la forme, permettez-moi, tout d'abord, de formuler deux observations principales :
- le projet de COM nous a été adressé, dans un premier temps, au début du mois de novembre, sans les indicateurs, sous prétexte qu'ils étaient en cours de finalisation avec la direction du budget. De toute évidence, il faut que les services ministériels concernés comprennent que l'envoi d'un document incomplet, qui plus est sans les éléments fondamentaux d'évaluation et de suivi de la performance que constituent les indicateurs, ne vaut pas transmission officielle. Sans doute le ministère des affaires étrangères et l'Institut français font-ils la découverte de leurs outils communs de contractualisation et d'évaluation. Pour autant, notre commission a une longue expérience des COM entre l'État et les sociétés de l'audiovisuel public qui se sont, en général, caractérisés par une grande rigueur dans la définition des priorités d'action, des moyens correspondants et des indicateurs de résultat et de suivi.
Ces outils nous sont nécessaires pour appréhender les choix stratégiques, et pour évaluer si les moyens sont à la hauteur.
Par similitude d'exigence, je ne peux donc que déplorer les imprécisions du présent document. C'est là ma première critique sur la forme ;
- deuxièmement, une première lecture du projet de COM m'a laissée quelque peu perplexe quant à la présentation des priorités assignées au principal opérateur de notre action culturelle extérieure. Je constate un manque criant de hiérarchisation dans les priorités et de précision sur les moyens pour atteindre ces buts. Des objectifs bien souvent très généraux, au point d'être redondants pour certains d'entre eux, sont déclinés, au sein du COM, dans un catalogue d'actions dispersées et démultipliées. On se perd dans les biennales d'art, les saisons culturelles et les missions Stendhal, sans que l'on puisse réellement dégager une cohérence stratégique applicable à chaque objectif. Ceci interroge la programmation.
De longs développements sont parfois accordés à des opérations dont le descriptif n'a pas forcément sa place dans un document stratégique tel que le COM. De l'aveu même des responsables de l'Institut français, on aurait pu se dispenser, par exemple, d'entrer autant dans le détail dans la présentation du plan d'aide aux médiathèques.
Je rappelle que ce COM devrait s'articuler autour de quatre objectifs fondamentaux :
- inscrire l'action culturelle extérieure dans les objectifs de notre politique étrangère, en adaptant nos actions en fonction des zones géographiques et des publics, en agissant au service de l'influence et de l'image de la France dans le monde, en renforçant la dimension culturelle de notre politique de solidarité, et en favorisant le dialogue des cultures et en encourageant la diversité culturelle ;
- soutenir et développer l'action du réseau culturel dans le monde ;
- développer des partenariats au profit d'une action plus cohérente et efficace ;
- améliorer le pilotage et l'efficience dans la gestion des ressources que je ne confonds pas avec la RGPP, ce que sous-tend, hélas, le document qui entend que l'Institut, je cite, « adopte des principes de gestion analogues à ceux de l'État, y compris en matière d'évolution des effectifs ».
Avant d'aborder dans le détail les critiques que nous pouvons formuler à l'égard de la déclinaison concrète en actions de ces différents objectifs, je voudrais, au préalable, souligner quelques aspects positifs et encourageants :
- l'Institut français semble avoir pris la bonne mesure de l'importance de la formation des personnels du réseau culturel à l'étranger. Il devrait par conséquent consacrer près de deux millions d'euros par an au développement des compétences des agents de notre réseau. L'approche en matière de formation est transversale, en couvrant des domaines aussi variés que le management, la gestion comptable, le marketing, l'organisation logistique des manifestations culturelles, l'enseignement du français, etc. Les actions de formation pourront s'appuyer sur un réseau diversifié de partenaires expérimentés tels que la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, le Centre d'approche des langues vivantes et des médias (CAVILAM) à Vichy, le Bureau international de l'édition française ou encore le Centre international d'études pédagogiques (CIEP) ;
- un accent particulier sera porté sur le développement de la capacité d'autofinancement des bureaux locaux de l'Institut français dans les 12 postes expérimentateurs. Il est vrai que les autres postes, non expérimentateurs du rattachement, seront d'autant plus enclins à être rattachés à l'Institut français s'ils constatent que cette opération implique un renforcement pérenne de leurs ressources propres, et donc une plus grande autonomie financière. Pour autant, je tiens à souligner que l'autofinancement ne constitue pas la panacée et qu'il est indispensable de tenir compte de la situation particulière de certains postes culturels, en particulier en Afrique, dont le recours à l'autofinancement et au mécénat est structurellement très limité.
J'attire votre attention sur un exemple révélateur : le COM mentionne, au titre de son autonomie financière, des conventions de cofinancement avec des collectivités. Ce qui est un contresens. L'Institut et les collectivités peuvent soutenir des projets ensemble. Mais les collectivités ne vont pas financer l'Institut ! Je rappelle, en effet, que pour un euro investi par les collectivités dans un projet culturel cofinancé, l'Institut doit par réciprocité investir un euro. Les collectivités territoriales interviennent donc dans une logique de cofinancement paritaire avec l'Institut français, et n'ont donc pas vocation à renforcer son autonomie financière.
Malgré ces quelques aspects positifs, je relève une série d'insuffisances préoccupantes qui doivent, selon moi, être résolues avant de pouvoir considérer sérieusement que ce COM constitue une base de travail ambitieuse :
- la mention d'une nécessaire et étroite coopération avec les collectivités territoriales est diluée au travers du document sans une approche réellement stratégique dans ce domaine. L'action culturelle des collectivités territoriales à l'étranger a connu une montée en puissance significative au cours des dernières années, c'est pourquoi il me semble indispensable d'élaborer une stratégie, déclinée en objectifs clairs et cohérents, assortie d'indicateurs de résultat et de suivi. Or, il n'y rien de tel dans le COM.
Par conséquent, j'y recommande l'inscription d'indicateurs de résultat et de suivi sur le nombre de partenariats conclus avec les collectivités territoriales et sur le montant global de leur financement afin de pouvoir déterminer la marge de progression de l'Institut français pour les deux prochaines années dans le soutien à l'action culturelle des collectivités territoriales à l'étranger. Les partenariats avec les collectivités territoriales sont systématiquement envisagés par le seul prisme des cofinancements.
Comme je l'ai dit plus tôt, on aurait tort de croire que l'apport de nos territoires se réduit à des compléments financiers. Leur participation à notre diplomatie culturelle nationale doit s'inscrire impérativement dans une stratégie concertée. C'est pourquoi je recommande la mise en place d'un correspondant « coopération décentralisée » de l'Institut français pour chaque grande zone géographique, qui sera chargé d'établir une interface avec les collectivités territoriales et de coordonner leurs efforts en fonction des besoins spécifiques identifiés dans les grandes régions du monde ;
- le COM n'offre aucune visibilité prospective sur les moyens humains et de financement concrets qui seront consacrés à l'apprentissage du français, hormis l'effort particulier qui sera consenti à la formation des enseignants. Je ne relève qu'un catalogue de manifestations dispersées telles que des salons comme « Expolangues », des expositions sur la langue française ou encore des programmes de mobilité tels que « Allons en France » ou « Profs en France ». Là encore, nous avons les plus grandes difficultés à identifier une stratégie cohérente. Il n'est fait aucune mention des modalités de coordination entre les alliances françaises et l'Institut français en matière d'enseignement du français à l'étranger. Quand deux partenaires cohabitent, il est nécessaire et rassurant pour tous, que le rôle de chacun soit clarifié. En outre, je rappelle que le ministre des affaires étrangères avait exprimé le souhait, en septembre dernier, que les efforts de promotion du français s'accentuent dans les pays concernés par les révolutions arabes. Cette orientation doit, selon moi, se traduire par un effort particulier dans le développement de programmes de bourses, cofinancées par l'Institut français et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), afin de favoriser l'apprentissage du français ou la scolarisation d'élèves arabes au sein d'établissements d'enseignement français à l'étranger. Je n'ai trouvé aucune mention chiffrée sur les moyens que pourrait consacrer l'Institut à de tels programmes ou à une coopération renforcée avec l'AEFE ou avec les alliances françaises et c'est particulièrement regrettable ;
- les indicateurs de résultat en matière de création et de développement d'outils ou de projets numériques au service du réseau sont insuffisants. Un objectif de seulement 2 %, en 2012, puis de 3 %, en 2013, de la part des dépenses d'activité consacrées au développement d'outils numériques pour le réseau semble très en-deçà des ambitions que l'on est en droit de nourrir pour la modernisation de notre intervention culturelle à l'étranger. Je rappelle qu'en matière d'apprentissage de la langue espagnole sur Internet, les Instituts Cervantès sont très avance sur nous. Notre marge de progression est significative dans ce domaine, et nous devons encourager plus fortement le développement de plateformes numériques au service de l'apprentissage du français, notamment en coopération avec l'audiovisuel extérieur (TV5 Monde et RFI). Je recommande donc la réévaluation à la hausse de ces indicateurs ;
- lors des auditions que nous avions conduites en commun avec la commission des affaires étrangères sur la réforme de l'action culturelle extérieure, aussi bien les préfigurateurs de l'Institut français que les représentants du British Council ou du Goethe Institut avaient souligné la nécessité pour l'Europe de marquer son empreinte dans le débat d'idées sur des enjeux globaux tels que le réchauffement climatique et le développement durable. Le British Council s'est imposé en première ligne dans la diffusion des connaissances en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de l'environnement, en particulier au sein des pays du Commonwealth. Or, si le COM mentionne la promotion de la production intellectuelle française et de l'image scientifique et technique de notre pays, il n'affiche pas d'objectifs concrets en matière de diffusion de la culture scientifique ;
- dans le même ordre d'idées, je regrette que le COM ne prévoie pas, pour l'évaluation de la mission de l'Institut de promotion de la production intellectuelle et scientifique française, de partenariat avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) afin d'établir des statistiques sur la diffusion des travaux de la recherche française à l'étranger. Afin d'être ambitieux dans ce domaine, il me semble que les deux établissements publics, l'Institut français et le CNRS, devraient se voir fixer un objectif partagé dans le nombre de publications scientifiques françaises soutenues dans leur diffusion à l'étranger (par exemple, via la traduction et l'aide à l'exportation de ces publications) ;
- enfin, le projet de COM est d'ores et déjà obsolète à plusieurs égards. Le document porte sur la période 2011-2013, alors qu'il se pourrait qu'il ne soit même pas signé avant la fin de l'année 2011. De plus, l'affichage des subventions consenties par le ministère des affaires étrangères pour cette période ne tient pas compte de la diminution de 3 millions d'euros qui ramène la subvention pour 2012 à 34 millions d'euros, et non plus 37.
Les contraintes de l'Institut sont énormes : le ministère du budget souhaite un budget prévisionnel en équilibre, ce qui théoriquement n'autorise pas l'Institut à compenser l'intégralité de ces 3 millions d'euros de rabot dans son fonds de roulement ; l'opérateur ne peut pas non plus envisager de diminuer sa masse salariale, déjà très tendue, pour son premier exercice ; et les crédits d'intervention ne peuvent raisonnablement baisser au risque de contredire les engagements du ministre. Comment donc résoudre cette équation financière impossible ? Le COM n'y répond pas...
En conclusion, je souhaite souligner les deux insuffisances majeures de ce projet de COM qui ternissent quelque peu sa portée et ses ambitions : l'absence de hiérarchisation et de cohérence stratégique dans l'articulation des objectifs assignés à l'opérateur, d'une part, et des indicateurs de performance insuffisants dans leur nombre et dans leur ambition, d'autre part. Compte tenu de ces analyses, je vous propose de donner un avis négatif à la signature de ce COM, en demandant aux différents partenaires de revoir leur projet et de prendre en compte nos recommandations.