Intervention de Hervé Mignon

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 novembre 2011 : 1ère réunion
Energies alternatives : gestion de l'intermittence et maturité des technologies

Hervé Mignon, directeur du département Développement du Réseau et Perspectives Énergétiques (RTE) :

Avant d'évoquer les actions de RTE pour intégrer les énergies renouvelables intermittentes dans le réseau, je voudrais rappeler le contexte européen. Ce qui existe en Allemagne et en Espagne a, en effet, des interactions sur la scène européenne puisque le système électrique y est interconnecté.

Il est intéressant de superposer deux cartes de l'Europe. La première montre les zones de fort potentiel de développement des éoliennes terrestres (en France, en Espagne, au nord de l'Allemagne,...) et maritimes (en Mer du Nord, dans la Baltique,...) ainsi que les perspectives de future localisation de la production éolienne. La seconde est une photographie par satellite de l'Europe la nuit. On y voit les zones, très éclairées, de forte consommation. Et l'on constate qu'il n'y a pas de cohérence géographique entre les lieux de production des nouvelles énergies intermittentes et les lieux de consommation d'électricité. Les premières sont éloignées des secondes. Comment assurer l'acheminement ? Comment anticiper la construction des parcs d'éoliennes ou de photovoltaïque ? En Allemagne, cet été, jusqu'à 20 GW ont été injectés ponctuellement dans le système - avec des conséquences sur le réseau électrique européen. A horizon de dix ans, la congestion guette, si le réseau n'est pas significativement développé. Pour être prêts à appliquer en 2020 le « paquet énergie » et les feuilles de route nationales, il faudra construire 20 000 kilomètres de nouvelles lignes à très haute tension (THT).

En matière d'éoliennes, les capacités installées représentent 30 GW en Allemagne, plus de 30% du total européen. L'Espagne arrive ensuite avec 25% ; l'Italie est troisième, la France quatrième, avec un parc de plus de 5 GW. En 2010, l'Allemagne a installé 1,5 GW de capacités de production nouvelles, ce qui la place encore à la première place, avant l'Espagne, puis la France - avec 1 GW d'installé. Nous sommes dans le groupe des acteurs dynamiques, comme la Grande-Bretagne, qui poursuit la construction de parcs d'éoliennes, notamment offshore, à un rythme soutenu.

Quant au réseau de transport électrique, le maillage des lignes à 400 000 et à 250 000 volts doit être développé afin de renforcer la sécurité d'approvisionnement et assurer une meilleure gestion des aléas de production ou de consommation. La mise en commun de toutes les ressources disponibles en temps réel crée une respiration européenne, de plus en plus nécessaire. En Allemagne, sur une seule journée de septembre dernier, la production d'énergie photovoltaïque et éolienne a tant varié, avec une si forte amplitude, que l'impact est très net sur le solde d'importation en provenance des pays voisins. Une plus forte intermittence conduit en effet à solliciter de façon plus soutenue toutes les formes de la respiration européenne.

En France, l'évolution de la puissance éolienne installée est en croissance stable, 1 GW terrestre de plus chaque année depuis 2006. Le photovoltaïque est en essor rapide ; le rythme de progression se rapproche de celui de l'Allemagne ou de l'Espagne. Pour prévoir l'acheminement, il faut anticiper la localisation des nouveaux moyens de production, définir les infrastructures à construire pour le raccordement et l'acheminement vers les zones de consommation. Depuis 2007 et le Grenelle de l'environnement, un travail est mené en ce sens. Avec un objectif de 19 GW terrestres, RTE devra investir 1 milliard d'euros sur dix ans en infrastructures de transport.

Le Grenelle a prévu des schémas régionaux « air, énergies, climat » et RTE pilote l'élaboration d'un schéma de raccordement, en lien avec les acteurs de la filière et sous l'égide des préfets. Des postes seront dédiés pendant dix ans à l'accueil des énergies renouvelables. On voit clairement sur une carte, celle de la région Pays-de-Loire par exemple, que les futurs postes et les nouvelles lignes sont situés dans des zones historiquement dépourvues de moyens de transport, parce qu'elles n'étaient des lieux ni de production ni de consommation.

La planification doit déterminer la localisation des futures installations éoliennes ou photovoltaïques. C'est crucial, car les délais de mise en route sont de quatre à cinq ans pour un parc d'éoliennes, deux à trois ans pour le photovoltaïque, mais de dix ans pour de grandes lignes THT, sachant que la procédure d'autorisation prend huit ans et la construction des lignes deux ans. Il est donc préférable d'anticiper la création des nouvelles installations de production.

Les sites de production une fois raccordés, reste le problème de l'intermittence, faute de stockage possible. RTE a mis au point de nouveaux dispositifs dits de « smart grids » ou réseaux intelligents. L' « Insertion de la production éolienne et photovoltaïque dans le système » (Ipes) est un outil de gestion en temps réel : prévision, gestion, transmission de l'information afin que les centres de contrôle - ou dispatchers - aient une vision d'ensemble de la production des heures à venir. Plus de 90% du parc éolien est suivi en temps réel par Ipes. Nous avons relié les éoliennes aux postes par fibre optique. L'enjeu principal est d'assurer à chaque instant l'équilibre entre l'offre et la demande. Et ce n'est pas tant la variabilité de la production qui est gênante, que l'écart entre la prévision et la réalisation. C'est pourquoi nous avons travaillé avec Météo France et avons créé nos propres modèles de prévision météorologique. Plus fine est la prévision, meilleure est la gestion. Les réserves primaires et secondaires, en particulier, sont alors calculées au plus juste pour correspondre aux aléas de l'intermittence. Ipes offre une solution concrète pour gérer les 5 à 6 GW déjà installés en France. L'écart entre la prévision et la réalisation ne dépasse pas 3% à l'échelle du territoire, grâce à l'effet de foisonnement. Mais il peut localement atteindre jusqu'à 15%.

Le photovoltaïque se développe de plus en plus, dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, si bien que, dans les années à venir, on ne pourra plus parler d'énergie décentralisée. On passera à une nouvelle forme d'énergie centralisée : songez qu'elle atteint déjà 10 GW en Allemagne !

J'en viens à l'éolien en mer, qui a fait l'objet d'un appel d'offres gouvernemental. Il faut prévoir le raccordement sous-marin au réseau terrestre et renforcer celui-ci pour accueillir ces nouveaux flux. Le raccordement représente 10% de l'investissement total, soit 1 milliard d'euros sur les 10 du projet d'éolien en mer.

RTE est confronté, avec la mutation des sources d'énergie, à trois défis. D'abord, le défi géographique lié à l'éloignement des zones de production des lieux de consommation. L'arrivée massive des nouvelles énergies commande de renforcer le réseau - à la fois la maille européenne et la maille française. Le défi opérationnel ensuite, suscité par une production intermittente et fluctuante, laquelle exige de nouvelles modalités de gestion de la sécurité et des réserves. Ainsi en Espagne, les gestionnaires de réseau ont le droit d'arrêter la production si celle-ci excède les capacités d'absorption du réseau. Le défi temporel enfin, puisque la création de nouvelles lignes de transport se fait en dix ans mais l'installation de parcs éoliens ou photovoltaïques en deux à cinq ans. Notre mission est d'éviter à terme la congestion !

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