Intervention de Pierre Mallet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 novembre 2011 : 1ère réunion
Energies alternatives : gestion de l'intermittence et maturité des technologies

Pierre Mallet :

Linky est un très beau projet industriel qui apportera de nouveaux services innovants à nos clients et qui constitue une étape importante vers les réseaux intelligents de l'avenir, ce qui contribuera à consolider la position de l'industrie électrique française dans les premiers rangs au niveau mondial.

Après la présentation du projet, je vous expliquerai comment ERDF prépare l'intégration des énergies renouvelables, la gestion de l'intermittence et, plus généralement, les réseaux et systèmes électriques intelligents de l'avenir.

Le projet Linky vise à installer des compteurs communicants pour l'ensemble des clients domestiques d'ERDF, soit 35 millions de compteurs dans le cadre de l'application d'une directive européenne prévoyant la mise en place de compteurs communicants pour l'ensemble des États avant 2020.

Il s'agit d'un projet de grande ampleur, puisque son coût total s'élève à 4,3 milliards d'euros, le déploiement de l'ensemble des compteurs s'effectuant entre 2013 et 2018, à raison de 35 000 compteurs par jour en régime de croisière. Cinq mille personnes seront employées à cette tâche, le coût du déploiement représentant d'ailleurs environ la moitié de celui du projet.

Les solutions techniques retenues en matière de télécommunication sont le courant porteur en ligne (CPL) sur les réseaux basse tension et le GPRS pour les liaisons entre les postes moyenne tension/basse tension. Avant de lancer un projet d'une telle ampleur, ERDF a lancé une expérimentation dans les régions de Lyon, en zone urbaine, et Tours, en zone rurale. Elle a permis d'installer, depuis maintenant un peu plus d'un an, 250 000 compteurs et 4 700 concentrateurs. Les résultats de l'expérimentation confortent les choix techniques effectués et confirment la faisabilité économique du projet.

Ces compteurs intelligents Linky apportent aux clients de nouveaux services pratiques, à commencer par la possibilité de relever le compteur à distance, alors qu'aujourd'hui 50 % des compteurs gérés par ERDF ne sont pas accessibles car situés à l'intérieur des habitations, ce qui oblige à prendre rendez-vous avec le client pour relever les index.

Avec les compteurs intelligents, il ne sera plus nécessaire de passer chez le client pour la relève, ce qui simplifiera singulièrement la vie de nos clients.

De plus, les factures seront désormais établies sur la base des consommations réelles, alors que le client reçoit aujourd'hui six factures par an, dont quatre sont établies sur la base d'estimations présentant parfois un écart important avec la consommation réelle.

Linky facilitera aussi le fonctionnement du marché de l'électricité, puisque les changements de fournisseurs et de systèmes tarifaires pourront se faire d'une façon à la fois simple et rapide.

Enfin, le compteur Linky constitue aussi un formidable outil au service de la maîtrise de la demande d'énergie, les clients disposant d'informations sur leur consommation d'électricité, et pouvant ainsi ajuster celle-ci au plus près de leurs besoins, pour dégager de substantielles économies d'énergie.

Dans sa communication du 12 avril 2011 sur les réseaux intelligents, la Commission européenne indique d'ailleurs que les consommateurs disposant de compteurs intelligents ont réduit leur consommation d'énergie de 10 % en moyenne.

L'infrastructure mise en place dans le cadre du projet Linky favorisera aussi le développement de nouveaux services à valeur ajoutée. Le gouvernement a ainsi décidé que, dans le cadre du projet Linky, l'ensemble des clients devraient pouvoir consulter gratuitement sur internet leur consommation des deux dernières années et recevoir gratuitement des alertes par SMS en cas de dépassement d'un seuil prédéfini de consommation.

D'autres services avancés peuvent être imaginés, les clients pouvant par exemple comparer leur consommation à celle de clients au profil proche. Des services innovants, inspirés par l'univers Web 2.0, commencent d'ailleurs à émerger et sont appelés à se développer rapidement.

Le comptage intelligent, grâce à l'infrastructure de communication associée, peut aussi servir à moderniser très fortement la gestion du réseau de distribution.

Grâce à Linky, il est en effet possible de suivre la qualité de l'électricité fournie aux clients et d'identifier les clients mal alimentés ; de cibler plus finement les investissements et, en fonction des consommations, de déterminer les ouvrages à renforcer ; de localiser les défauts sur les lignes haute tension A (HTA) et donc d'envoyer les équipes plus rapidement là où elles doivent intervenir et finalement de réduire les temps de coupure ; d'observer le réseau basse tension et, en cas d'incident, de savoir où les clients sont en rupture.

Nous passerons ainsi d'un réseau dans lequel le capteur est le client et le lien de communication le téléphone, à autre type de réseau dans lequel le capteur sera le compteur et le lien de communication l'infrastructure de communication Linky, ce qui constitue pour nous une véritable révolution technique.

Pour en venir plus précisément aux réseaux intelligents de l'avenir, les smart grids, il convient de rappeler que les réseaux de demain subiront quatre événements principaux : le développement de la production décentralisée ; l'introduction de la gestion active de la demande ; l'apparition de moyens de stockage raccordés au réseau de distribution et enfin le développement de nouveaux usages, dont la pompe à chaleur mais aussi surtout les véhicules électriques.

Le distributeur est au coeur de ces transformations dans la mesure où, aujourd'hui, 95% des centrales éoliennes et photovoltaïques en France sont raccordées au réseau de distribution ; 100% des bornes de recharge des véhicules électriques seront évidemment raccordées au réseau de distribution ; et ce sont les distributeurs qui mettent en place et exploitent les infrastructures de comptage intelligent, de même qu'ils gèrent et mettent à disposition des acteurs du marché les masses considérables de données ainsi obtenues.

Le développement de la production décentralisée est certainement le facteur de changement le plus important. Fin septembre 2011, 943 centrales éoliennes et 221 000 installations photovoltaïques étaient raccordées au réseau de distribution géré par ERDF, correspondant respectivement à des puissances installées de 5,9 GW en éolien et 1,9 GW en photovoltaïque.

Ce développement de la production d'électricité à partir de ressources renouvelables modifie en profondeur le fonctionnement du système électrique. L'insertion de ces installations de production sur le réseau de distribution demande en effet d'adapter nos pratiques. Il s'agit de garantir la sécurité des personnes lors de manoeuvres ou d'incidents sur le réseau, notamment en prévenant la formation d'îlots électriques où les dispositifs de protection ne fonctionneraient plus ; d'assurer la sûreté de fonctionnement du système électrique en veillant à ce que ces énergies viennent soutenir le réseau lors d'incidents importants et non s'en retirer comme cela leur était demandé lorsqu'elles étaient marginales ; de maintenir la tension dans les plages prévues et d'éviter l'apparition de surcharges sur les lignes et les transformateurs ; d'optimiser de façon coordonnée les équilibres offre/demande en intégrant les contraintes sur le réseau, au bénéfice de tous les acteurs du marché.

ERDF a déjà mis en place des réponses opérationnelles pour faire face à l'accroissement important du nombre de centrales raccordées ces dernières années ; nous développons de nouvelles solutions pour mieux tenir compte de la multiplication des centrales dans la conduite des réseaux, afin, par exemple, de définir des schémas optimisés de reprise de service après incident en prenant mieux en compte la production, pour améliorer le réglage de la tension ou encore pour établir des modèles de prévision de la production photovoltaïque.

La deuxième évolution importante du système électrique est le développement de la gestion active de la demande, dans le but de faire face aux fluctuations de la production, de reporter la consommation de la pointe vers des heures creuses, où le prix est moins élevé et le contenu carbone du kilowattheure (kWh) est moindre, ou encore de réduire l'énergie consommée.

Pour les clients résidentiels, il est ainsi possible d'agir par exemple sur les chauffe-eau, les radiateurs ou la climatisation, les appareils électroménagers, ces actions relevant soit de l'initiative du client pour réduire sa consommation, soit de son fournisseur dans le cadre de son contrat ou encore pilotées par le gestionnaire de réseau.

Il conviendra d'intégrer au fonctionnement global du système de nouveaux acteurs tels que les agrégateurs et les divers fournisseurs de services ou de conseils.

Là encore, le distributeur, notamment en déployant des systèmes de comptage évolués, joue un rôle clé dans le dispositif. Sa mission doit s'étendre aux étapes successives de certification ex ante, d'activation et d'évaluation ex post des effacements.

La troisième évolution du secteur électrique est constituée par l'apparition possible de moyens de stockage, certains centralisés et d'autres décentralisés grâce à des batteries de tailles diverses. Leur raccordement pourrait de même se faire sur les réseaux de distribution.

Le développement des véhicules électriques constitue un quatrième défi pour le distributeur. Un véhicule électrique constitue en effet une charge mobile que son propriétaire souhaitera connecter au réseau à des endroits variables. Nous n'avons actuellement pas l'habitude de traiter ces situations sur nos réseaux et le coût pourrait être extrêmement élevé.

Des solutions intelligentes de gestion des recharges se révèlent donc indispensables à la maîtrise de l'impact de cette évolution sur le réseau électrique.

Le système électrique de demain sera beaucoup plus complexe, et le distributeur a un rôle central à jouer pour maîtriser cette complexité tout en garantissant la qualité et la continuité de l'alimentation électrique. Son action se situera naturellement à l'articulation entre local et national, dans un ensemble de règles à inventer en concertation avec l'ensemble des parties prenantes.

Ces évolutions nécessiteront notamment des adaptations de l'interface entre les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution, les échanges d'informations entre ces acteurs étant appelés à s'amplifier afin de garantir la sécurité du système.

Un important effort de recherche et développement est nécessaire pour concevoir et tester les réseaux intelligents de l'avenir. Dans cette perspective, ERDF accroît de façon importante son effort de recherche et développement et s'est fortement mobilisée pour le montage de projets de démonstration français et européens.

ERDF est ainsi le coordonnateur de plusieurs projets financés par le Commissariat général à l'investissement, tels que « NICEGRID » en PACA, « GreenLys » à Lyon et Grenoble, ou « Venteea » dans l'Est de la France.

ERDF est aussi le leader du projet Grid4EU, qui est le plus important projet européen de recherche et développement en matière de réseaux intelligents, avec 27 partenaires et six démonstrateurs dans autant de pays différents. Il est doté de 50 millions d'euros avec une subvention européenne de 25 millions d'euros. ERDF, en partenariat avec les grandes entreprises du secteur, mais aussi des PME et des centres de recherche, contribue ainsi à positionner «l'équipe de France des réseaux intelligents» dans les premiers rangs au niveau mondial.

En conclusion, je voudrais souligner que les coûts d'acheminement constituent la moitié de la facture d'électricité payée par les clients, avec une répartition d'environ deux tiers pour le réseau de distribution et un tiers pour le réseau de transport.

De plus, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que, dans l'Union européenne, il faudra investir 300 milliards d'euros sur les réseaux de distribution entre 2010 et 2020. Au cours de la même période, les besoins d'investissement sur les réseaux de transport s'élèveront à 100 milliards d'euros.

Face à ces enjeux, il est devenu indispensable de réfléchir à la conception du système électrique futur. On ne peut se contenter de dire «le réseau suivra», comme l'on dit parfois «l'intendance suivra».

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