Intervention de George Kariniotakis

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 novembre 2011 : 1ère réunion
Energies alternatives : gestion de l'intermittence et maturité des technologies

George Kariniotakis :

Rappelons tout d'abord les objectifs européens particulièrement ambitieux fixés pour 2020 en matière d'énergies éolienne et photovoltaïque.

Pour l'énergie éolienne, il s'agit de 230 GW, ce qui permet de couvrir entre 14 % et 18 % de la demande en électricité, alors que nous ne disposons aujourd'hui que d'une capacité installée de 74 GW. En matière d'énergie photovoltaïque, l'objectif proposé par le Conseil européen des énergies renouvelables (EREC) est d'atteindre 150 GW.

Dans ce contexte d'intégration à grande échelle des énergies renouvelables, le caractère fluctuant de la production de ce type d'énergie pose un défi technologique majeur au système électrique traditionnel que nous connaissons et aux acteurs qui le composent.

Dès lors, se pose la question des prévisions de court terme - c'est-à-dire établies quelques heures ou quelques jours à l'avance - nécessaires au bon fonctionnement et à la sécurité du système électrique. Ces prévisions permettent aux gestionnaires du réseau de transport et de distribution de planifier les moyens de production et d'assurer l'équilibre quotidien entre l'offre et la demande mais aussi de gérer les congestions du réseau de distribution, de planifier les échanges avec les réseaux voisins, de maintenir les interconnexions et de gérer les moyens de stockage.

S'agissant plus particulièrement des producteurs indépendants d'énergie renouvelable, ces prévisions sont très importantes pour planifier la maintenance des fermes éoliennes, particulièrement dans le cadre de l'éolien en mer où l'accession au site dépend des conditions météorologiques, et pour participer directement au marché de l'électricité.

En Espagne par exemple, où le système de tarification n'est pas fixe, un producteur éolien peut ainsi proposer de vendre sa production directement sur le marché de l'électricité du jour au lendemain.

En matière d'énergie renouvelable, la prévision de la production est un problème particulièrement complexe en raison tant de la variabilité des conditions météorologiques naturelles que des caractéristiques propres aux machines de production d'énergie éolienne. Sur ce dernier point par exemple, au-delà d'un certain niveau de force du vent, il est nécessaire de suspendre les appareils pour les protéger.

Ainsi, dans une situation où la force du vent atteindrait 26 mètres par seconde, la production serait nulle car la force maximum que l'on peut enregistrer sur ce type d'appareils est de 20 mètres par seconde. Ces situations sont heureusement peu fréquentes et peuvent être limitées grâce à l'effet de lissage que peut offrir l'agrégation de plusieurs fermes éoliennes géographiquement dispersées. Celles-ci permettent donc à la fois de réduire la variabilité et d'augmenter le niveau de prévision de la production.

L'exemple d'une journée type de production d'électricité en Espagne, celle du 11 juin 2011, démontre de façon étonnante que la pénétration de la production d'énergie éolienne dans la demande globale peut monter jusqu'à 60 %, alors qu'il y a deux ans seulement, un communiqué de presse du gestionnaire de réseau espagnol, Red Electrica, annonçait un record de 53 % qui paraissait déjà exceptionnel.

Dans cette perspective, on remarque que la variabilité infra-journalière n'est pas un élément de grande importance et que, sur 24 heures, la contribution de l'énergie éolienne peut, d'une part, parfaitement coexister avec d'autres types d'énergies comme la biomasse, le fioul, le charbon, le cycle combiné gaz ou encore l'énergie nucléaire, et, d'autre part, s'insérer dans les échanges avec les réseaux voisins.

Quant aux prévisions en matière d'énergies éolienne et photovoltaïque, elles reposent sur des modèles informatiques permettant d'agréger les informations du passé, les données en cours sur le terrain disponibles dans les fermes éoliennes ou photovoltaïques et les prévisions météorologiques des organismes spécialisés. Les résultats sont traduits en courbes sur 24 heures ou 48 heures, avec des prévisions heure par heure et par intervalles.

La réalisation de bonnes prévisions dépend essentiellement de la qualité des prévisions météorologiques réalisées par les organismes spécialisés, des progrès ayant été réalisés grâce aux améliorations des modèles et des outils de calcul. Il est évident que les prévisions à court terme sont les plus précises et que les prévisions hivernales sont moins fines, la tâche étant rendue plus difficile par l'existence d'un relief.

La qualité des prévisions dépend aussi du niveau de production d'énergie, la marge d'erreur étant d'autant plus importante que le niveau de production est élevé.

Il convient aussi de prendre en compte le niveau d'agrégation. Plus celui-ci est important, plus la prévision sera efficace. Ainsi, la prévision du niveau de production des fermes éoliennes à l'échelle d'un pays sera plus efficace qu'à l'échelle d'une région seulement.

Les prévisions dépendent enfin des erreurs de phase, dont l'impact pour les gestionnaires de réseau est important, car si ces derniers parviennent à prévoir les événements, ils le font avec une incertitude sur le moment où celui-ci interviendra.

Trois pays utilisent aujourd'hui, et depuis de nombreuses années, les prévisions en matière d'énergie éolienne.

En Espagne, le gestionnaire de réseau, Red Electrica, a développé depuis maintenant dix ans un modèle combinant plusieurs modèles différents. La puissance installée s'y établit à 20 000 MW, plutôt concentrée sur la partie nord du pays, ce qui offre une situation moins avantageuse que la situation française par exemple, où la répartition géographique du secteur éolien repose sur trois grandes régions.

S'agissant des performances de prévision à 24 heures, la marge d'erreur absolue pour l'ensemble de la production à l'échelle de l'Espagne est inférieure à 4 % de la capacité installée. A horizon de 48 heures, le taux de marge d'erreur se situe en revanche entre 1 % et 4,5 % de la capacité installée, le perfectionnement de la modélisation année après année ayant permis des améliorations considérables.

Ainsi, entre 2005 et 2009, le taux d'erreur à horizon de 48 heures a été divisé par deux et la marge d'erreur est aujourd'hui inférieure à 5 %.

Au Danemark, le gestionnaire de réseau Energinet utilise des modèles alternatifs de prévision qui lui permettent d'atteindre, par comparaison sur 24 heures, un taux d'erreur n'excédant pas 4,3 % de la capacité installée, et, à horizon de 48 heures, un taux situé entre 1 % et 6,5 % de la capacité installée. Sur le court terme, à savoir entre 2 heures et 3 heures, le taux d'erreur se situe à 3 % de la capacité installée.

En Allemagne, la prévision à 24 heures pour l'ensemble de cette production offre un taux d'erreur, dite « erreur quadratique normalisée », de 3,7 %. S'agissant plus particulièrement de l'énergie photovoltaïque, le taux atteint 4,17 % pour la production globale.

Au total, il apparait bien que la question de la prévision en matière de production d'énergie renouvelable est complexe. Les recherches en la matière se sont d'ailleurs intensifiées au cours de ces vingt dernières années.

En France, Mines Paris Tech a joué un rôle clef dans la coordination d'un des projets les plus importants dans le domaine de la prévision en matière d'éolien mené entre 2002 et 2005. Ce projet, « Anemos », est considéré comme un véritable succès par la Commission européenne car il a fait évoluer significativement la technologie de la prévision dans ce domaine.

Nous avons ensuite développé un autre projet en partenariat avec des acteurs tels qu'EDF et Météo France, baptisé « Anemos plus », à l'usage des gestionnaires de réseau et des producteurs, tendant à optimiser les prévisions en matière d'estimation des réserves, de gestion des congestions, de coordination du stockage, en vue de la prise de décisions opérationnelles sous incertitude.

Enfin à ce jour, le projet le plus important dans ce domaine est le projet « Safe Wind », coordonné par Mines Paris Tech, qui doit permettre de développer les liens entre la météorologie et la prévision éolienne, afin d'améliorer la prévisibilité en la matière. L'enjeu est de développer de nouveaux outils de prévision et surtout d'alerte en cas de situations extrêmes, afin de prévenir le réseau et de prendre les mesures nécessaires pour y faire face.

Aujourd'hui, cette activité de recherche développée par Mines Paris Tech est un véritable succès avec des utilisateurs jusqu'en Australie ou au Canada.

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