Intervention de Pierre-Franck Chevet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 novembre 2011 : 1ère réunion
Energies alternatives : gestion de l'intermittence et maturité des technologies

Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat :

Les énergies renouvelables sont au coeur de la feuille de route énergétique française. Les objectifs du Grenelle nous obligent ; ils sont en cours de déploiement. Par rapport à d'autres pays, la France a un bon bilan CO2 : sur les énergies renouvelables, nous sommes dans la moyenne européenne, c'est pourquoi il faut aller de l'avant ; pour les autres critères, nous obtenons des résultats corrects, mais il est un domaine où nous devons progresser, c'est l'efficacité énergétique des logements.

Nos énergies renouvelables produisent aujourd'hui 20 millions de tonnes équivalent pétrole (tep). L'objectif est de doubler la production d'ici à 2020, dont 7 millions de tep pour l'électricité, dont on parle tant, 10 millions de tep pour la chaleur, dont on parle peu, mais qui est un grand enjeu, et 3 millions de tep pour les biocarburants.

Le plan d'action national décline les efforts à accomplir d'ici à 2020. Un gros travail est à fournir pour développer les réseaux de chaleur raccordés aux énergies renouvelables. La part des énergies renouvelables doit augmenter de 33 % pour la chaleur, 27 % pour l'électricité et 10 % pour les transports. La trajectoire estimée de développement montre la part des économies d'énergie, la part relativement importante de l'éolien en mer, l'hydroélectricité assumant la plus grande partie, pour des raisons historiques, ce qui explique d'ailleurs la bonne place que nous tenons, en Europe, en matière d'énergie renouvelable.

En termes de puissance à installer, dans la suite du Grenelle, nous avons pris des arrêtés fixant les objectifs suivants pour 2020 : 19 000 MW pour l'éolien terrestre, 6 000 MW pour l'éolien en mer, 5 400 MW pour le solaire (on devrait atteindre 7 000 à 8 000 MW), 2 300 MW pour la biomasse et plus de 3 térawatt-heures (TWh) par an pour l'hydroélectricité, soit un total de 35 000 à 40 000 MW, ou l'équivalent, en puissance, d'une quarantaine de réacteurs nucléaires en dix ans. C'est un effort comparable à celui qui a été fourni pour le nucléaire dans les années soixante-dix et quatre-vingts. Ce développement n'est pas sans limite, au regard de son acceptabilité, et implique un effort d'explication, qui passe par les débats publics locaux.

L'éolien terrestre est une technologie mature, marquée par une forte concurrence internationale, animée par des acteurs industriels forts. La Chine assure le tiers de la production mondiale de machines, mais sa capacité d'exportation est plus limitée que pour d'autres filières, en raison de la taille des objets. L'éolien terrestre représente le quart du déploiement du Grenelle. En 2011, il produit 6 200 MW, l'objectif 2020 implique une augmentation annuelle de 1 000 MW en moyenne. Nous sommes en train de clarifier le régime réglementaire. Les schémas régionaux climat - air -énergie détermineront les zones propres au développement de l'éolien. Ils seront achevés dans six mois environ. Les premiers retours sont encourageants et devraient nous permettre d'aller au-delà de l'objectif du Grenelle. Le principal obstacle au développement, c'est l'acceptabilité. Le cadre réglementaire que nous avons élaboré se rattache à celui des installations classées pour la protection de l'environnement, qui est robuste. La question de l'intermittence se pose davantage à moyen et long terme que dans l'immédiat.

L'objectif de l'éolien en mer représente le tiers de l'objectif de l'éolien à terre, pour un marché un peu moins mature, comportant beaucoup d'innovation. Les éoliennes sont de plus grande taille, elles doivent affronter un milieu particulièrement agressif, d'où les efforts sur la maintenabilité. Le marché européen a un potentiel de 40 GW, ce qui est important. La France fait partie des acteurs qui comptent mais le Royaume-Uni déploie des ambitions plus fortes. Tout un tissu de PME participe aux recherches et au déploiement des éoliennes en mer, ainsi que de grands groupes, comme Areva, Alstom. Nous avons, c'est une chance, une façade maritime relativement propice. Nous disposons de ports et pouvons compter sur les professionnels de la pêche, qui ont la pratique de la mer. Nous avons lancé l'appel d'offres pour la première tranche de 3 000 MW, soit la moitié de l'objectif 2020. Le temps des procédures et de la construction est relativement long, de quatre à cinq ans. La mise en exploitation n'interviendra donc pas avant 2015-2016. Nous travaillons au lancement d'un deuxième appel d'offres.

La question de l'acceptabilité se pose, les conflits d'usage sont importants, comme nous nous en sommes aperçus, lors du premier appel d'offres, en 2004-2005. La procédure n'a pas abouti, faute d'un travail préalable de concertation sur le zonage, essentiel pour permettre l'acceptation de ces projets. Nous en avons tenu compte pour l'appel d'offres que nous avons lancé, dans de bien meilleures conditions après une phase de concertation avec l'ensemble des acteurs de la mer : pêcheurs, associations, élus, responsables des activités touristiques. Nous avons délimité cinq zones : au large de Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, Courseulles-sur-mer, Fécamp et Le Tréport. Le zonage est crucial car il est plus intéressant d'installer une puissance maximale dans les zones ainsi définies, que de gaspiller un espace public qui est rare.

La biomasse est une filière mature, dont l'usage le plus efficace est la production de chaleur. L'un des enjeux de son développement réside dans le conflit d'usage sur la ressource : ne créons pas d'installation qui gêne une papeterie voisine ; veillons aux autres usages du bois ; soyons attentifs à la qualité de l'air, puisque ces installations peuvent émettre des particules, à propos desquelles il existe un contentieux ! Nous le voyons à Strasbourg, où nous avons envie de développer la biomasse, à cause du CO2, mais où nous devons faire attention aux particules : il y a des arbitrages à faire. Nous avons demandé aux préfectures de constituer des cellules biomasse, qui se prononceront sur ces questions, lors de chaque appel d'offres, afin d'éviter que soient acceptés des projets qui ne rempliraient pas tous les critères. Notre dispositif à deux étages prévoit un tarif d'achat pour les installations de taille moyenne, un appel d'offres pour les grandes installations.

Le photovoltaïque est une technologie à évolution très rapide, ce qui crée des problèmes de maîtrise et de régulation. Le parc installé en France, à la mi-2011, représente 1 700 MW, dix fois plus qu'en 2009. La puissance installée dans le monde s'élevait à 40 GW fin 2010, dont 30 GW en Europe. Le marché annuel est évalué à 13 GW. La course à la production a entraîné une chute vertigineuse des prix, qui doit se poursuivre. Les subventions, les aides sont là pour créer le marché, les gains de productivité permettant ensuite d'obtenir des conditions de marché. Le photovoltaïque évolue à une telle vitesse que nos dispositifs réglementaires classiques ont parfois du mal à suivre. Nous avons défini une nouvelle régulation aussi vite que possible. Un moratoire a été mis en place entre la fin de l'année dernière et le début de cette année.

Le nouveau dispositif a créé, pour les installations de petite puissance, un mode relativement automatique, qui couvre notamment les installations domestiques. Les tarifs auto-ajustables sont fixés en début de trimestre et sont régulés, en fin de trimestre, en fonction des valeurs constatées. Nous en sommes au troisième trimestre de fonctionnement. Pour les installations de taille intermédiaire, nous organisons un concours de beauté sur le prix. Pour les très grandes installations, qui ont un impact paysager, nous recourons à des appels d'offres. L'on peut retrouver tout cela sur notre site.

Les tarifs ont été adaptés à la baisse des coûts. Il est vrai que la fabrication s'est internationalisée, mais comme la facture d'une installation se répartit par moitié entre les panneaux et la pose, le bilan sur l'emploi et l'économie locale du photovoltaïque est positif.

L'hydroélectricité est une énergie historique en France, implantée depuis longtemps et bien exploitée. Les nouveaux gisements sont donc limités mais ils existent. Nous allons renouveler les concessions qui ont été accordées il y a 70 ans. Cette opération lourde, à forts enjeux, donne à l'Etat les moyens de valoriser son patrimoine, dans le respect des équilibres nécessaires. La gestion de l'espace public peut gagner en efficacité, mais doit tenir compte des conflits d'usage (pêche, protection de l'avifaune notamment). La redevance peut rapporter un peu d'argent, ce qui n'est pas indifférent par les temps qui courent.

Les autres technologies ne font pas partie du plan de développement du Grenelle, ce qui ne signifie pas que nous ne nous en occupons pas.

Les énergies marines liées aux vagues, aux marées, aux courants, au thermique marin, en sont plutôt au stade du prototype. Elles doivent être testées, non pas à grande échelle, mais pas à trop petite échelle non plus. Nous avons ouvert un dossier au titre des investissements d'avenir, qui méritent bien leur nom ; nous n'en sommes pas aux appels d'offres ! Dans quatre à cinq ans, les retours d'expériences d'exploitation dans les conditions marines nous permettront de voir si et dans quelles conditions aller plus loin.

Le solaire thermodynamique est une technologie émergente, plus proche de l'industrialisation que la précédente. Son potentiel national est limité, mais il est très fort à l'export, où les projets de la rive sud de la Méditerranée prennent tout leur sens économique. Il convient d'encourager son développement à l'export, son intérêt étant plus industriel qu'énergétique.

Ces technologies vont se développer d'ici 2020, mais, sauf bonne surprise, leur contribution sera relativement faible. Au-delà du Grenelle, à l'horizon 2030, elles peuvent introduire de changements, mais pas de ruptures. De l'argent y est investi dans cette perspective.

Les filières matures (biomasse, éolien terrestre, hydroélectricité) ont un coût de production plus faible que les filières peu matures (photovoltaïque, géothermie, éolien en mer). Les filières en développement (énergies marines, solaire thermodynamique) ont le coût de production le plus élevé.

La loi prévoit que certaines énergies peuvent être développées, dès lors que l'Etat le souhaite. Les arrêtés que j'ai évoqués, affichant des ambitions quantitatives de puissance, pour chaque technologie concernée, déclenchent un système d'obligations d'achat, assuré par EDF, mais refacturé au client. La loi impose que les tarifs soient fixés de manière à assurer « une juste rémunération du capital ». Il ne doit pas y avoir d'effet d'aubaine, de rentes de situation, comme cela s'est produit dans le photovoltaïque avec un tarif d'achat qui ne bouge pas malgré la chute des coûts. A l'inverse, il ne faut pas que le prix descende en-dessous d'un certain seuil, qui dissuaderait d'y placer de l'argent.

L'énergie renouvelable la plus compétitive est l'hydroélectricité, avec un coût de 30 à 40 euros par MWh ; la majorité des installations sont rentables aux conditions du marché classique. Le tarif d'achat de l'éolien terrestre avoisine le prix de marché, de l'ordre de 60 à 70 euros, avec un coût de production d'environ 60 euros, qui double si l'on y inclut tous les coûts jusqu'à la distribution. L'Allemagne a un prix de marché de 70 euros : nous en sommes proches.

La géothermie a un tarif d'achat de 130 euros par MWh, outre-mer. L'éolien en mer et la biomasse se situent entre deux et trois fois le prix du marché, de 150 à 180 euros par MWh et le solaire, de cinq à dix fois le prix du marché, de 200 à 400 euros par MWh.

Le coût des filières d'énergies renouvelables électriques se répercute sur la facture du consommateur, via la contribution au service public de l'électricité (CSPE), indiquée à la dernière ligne de celle-ci. La charge de la cogénération reste à peu près stable, aux alentours de 800 millions d'euros, en revanche, la part des énergies renouvelables, qui était faible en 2008, à 14 millions d'euros, a fortement évolué depuis le Grenelle, atteignant plus d'un milliard et demi d'euros cette année.

Le double objectif de l'Etat est de réduire les coûts des énergies renouvelables et de développer les filières industrielles. La croissance du marché local repose sur les appels d'offres, encadrant certains critères, sur les obligations d'achat et sur l'utilisation de différents outils. Les investissements d'avenir soutiennent la recherche-développement ; sur 35 milliards d'euros autour du Grenelle, de 6 à 8 milliards sont à l'oeuvre pour les énergies renouvelables, certains projets étant à cheval sur le numérique, mais il s'agit de sommes considérables.

Nous accompagnons la structuration de la filière. Vous avez, monsieur le Président, cité mon rapport sur les énergies décarbonées. Le ministère chargé du développement durable a recruté une dream team de dix spécialistes de chaque secteur qui ont accompagné chacune des filières, en repérant avec les industriels les enjeux, tant en matière de réglementation qu'en des domaines plus prosaïques. Par exemple, le développement de la géothermie suppose des professionnels du forage. Le bilan qui est sorti il y a deux ou trois mois a vocation à se reproduire annuellement. C'est la démarche « filières vertes » que nous avons lancée.

La recherche-développement est également soutenue par le fonds démonstrateur européen, créé sous présidence française, dans le cadre du paquet énergie-climat, NER300, doté de 300 millions de quotas d'émissions de CO2 correspondant à une aide de 6 milliards d'euros. Nous faisons remonter au niveau européen certains projets que nous soutenons au titre des investissements d'avenir par ce biais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion