Intervention de Jean-Guy Devézeaux de Lavergne

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Jean-Guy Devézeaux de Lavergne, directeur de l'Institut de technico-économie des systèmes énergétiques :

Il s'agit essentiellement de deux types d'enjeux : ceux du parc existant et ceux du parc futur. Ils se cumulent peut-être dans la perspective qui anime la réflexion de certains, d'une évolution forte du bouquet énergétique.

Cela dit, je traiterai surtout du parc futur, M. Jean-Paul Bouttes devant traiter du premier sujet. Combien coûte le nucléaire ? Combien coûtera-t-il ? Combien coûteront les prochains réacteurs ?

Une étude a été réalisée en 2010 par l'AEN et l'AIE, étude qui classe par grandes zones dans le monde les mérites microéconomiques relatifs des différentes formes de production d'électricité. On constate que le nucléaire est l'énergie la moins chère ou parmi les moins chères. En Asie, le nucléaire en développement est la source d'énergie électrique la moins chère en base.

En matière de durabilité, le coût de l'uranium dans le coût du kilowattheure est marginal, de l'ordre de 5 %. En matière de réserves énergétiques, on constate que le charbon représente la moitié de l'ensemble, le nucléaire, moins de 10 %. Demain, avec les nouvelles technologies, le nucléaire permettrait de disposer de réserves de plusieurs milliers d'années au taux actuel de consommation.

Les coûts des réacteurs sont relativement divers. Selon les zones, les réalités sont assez différentes, les spécificités des pays étant marquées, qu'il s'agisse des coûts locaux, des contraintes de site ou du droit du travail. On évalue le coût d'un réacteur EPR à environ 6 milliards d'euros, étant entendu qu'on peut estimer à 3,5 milliards d'euros un EPR fabriqué en Chine.

De tels coûts sont en hausse, et pour diverses raisons. Néanmoins l'accumulation d'expérience que les industriels sont en train de constituer sera un facteur déterminant dans leur baisse. Ces coûts ont augmenté de plusieurs dizaines de points de pourcentage. Encore faut-il rappeler que le coût des centrales à charbon ou des centrales à gaz a également augmenté de manière significative.

Dans les années qui viennent, on peut identifier plusieurs défis, qui ont trait aux retours d'expérience, à des retours sur la façon de construire les réacteurs. La standardisation jouera à coup sûr un rôle important, comme l'effet de série, qui se développera. Il y aura des effets d'échelle et des duplications. Le rodage du dialogue avec les autorités de sûreté contribuera à réduire les délais.

La conjoncture économique a déjà changé depuis deux ans : une moindre pression sur les matières premières, les coûts de l'énergie, l'ingénierie internationale. Par contre, des tensions s'exercent sur les taux d'intérêt, suivant les zones mondiales.

A long terme, le facteur le plus important est la R&D. Le nucléaire est une industrie de progrès technique, qui se traduit dans nombre de dimensions, comme l'augmentation du taux de combustion ou la réduction du volume des déchets radioactifs. Je pense en particulier aux déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL), puisqu'on constate, en France, un rapport de 50 au kilowattheures produit, en termes de volume, entre la deuxième et la troisième génération. Tous ces progrès vont se poursuivre dans le futur et contribueront à la réduction des coûts. De nombreuses pistes de travail sont en cours d'étude, notamment au CEA.

Cela dit, où se place le nucléaire vis-à-vis de ses principaux compétiteurs ? Je parlerai essentiellement du gaz, et non du charbon qui, dans la perspective européenne, n'est pas l'énergie qui nous permettra d'aller vers l'objectif de réduction des émissions de CO2 d'un facteur quatre d'ici 2050 (scénario facteur IV). Le gaz pourra être un point intermédiaire, sans doute pas pour la France. Quant aux énergies renouvelables, M. Bouttes en parlera.

De fait, la concurrence est vive entre le nucléaire et le gaz. Même si le gaz peut apparaître peu cher dans certaines zones, notamment aux États-Unis avec les gaz de schistes, plusieurs questions méritent d'être évoquées. Je pense en particulier à un engagement aussi long en matière de gaz que dans le nucléaire lorsqu'on développe des politiques d'approvisionnement en électricité, compte tenu des aspects réseaux et contractuels. Aussi certains pays se retrouvent-ils en situation de « lock-in », comme l'Allemagne qui a dans ces cartons nombre de constructions de centrales à gaz. Mais elle risque de rencontrer de sérieux problèmes d'évolution vers le facteur IV si elle construit un nombre significatif de grosses centrales à gaz. Une fois qu'elles seront installées, il ne sera évidemment plus question de les arrêter avant plusieurs dizaines d'années.

Autres facteurs : la volatilité des prix du gaz et leur augmentation annoncée ; une place très importante de ce prix dans le coût de production de l'électricité nous rendrait très vulnérables en termes de variabilité, à la différence du nucléaire ; des émissions de CO2 qui restent significatives, de l'ordre de la moitié de celles des émissions de centrales à charbon, et des conséquences en matière de sécurité d'approvisionnement.

Pour l'Europe, si le gaz peut être choisi par certains, une telle option n'a guère de sens pour la France.

Un mot sur les évolutions du prix du gaz. En la matière, tout laisse à penser que l'avenir ne sera pas calme, que les augmentations tendancielles s'empileront, rendant la compétitivité du gaz défavorable.

S'agissant des énergies nouvelles et renouvelables, la plupart des projections reposent sur les coûts totaux de ces énergies qui restent supérieurs à ceux du nucléaire, avec peut-être un bémol sur l'éolien terrestre, qui pose cependant un certain nombre de questions, notamment en matière de réseau.

J'en viens à quelques éléments de conclusion. En premier lieu, le nucléaire existant en France est compétitif, et même très compétitif. C'est un point acquis, et un avantage très significatif pour notre pays.

Pour le nucléaire futur, les études internationales montrent qu'il est compétitif, dans la meilleure zone de compétitivité vis-à-vis de ses concurrents directs, notamment le gaz, des nuances devant être apportées selon les pays. Il est bien placé en France, en ayant passé cette phase de début de la génération III. Bien évidemment, le coût microéconomique n'est pas le seul facteur qui déclenche les investissements. On le voit bien dans le cas du Japon, ou de l'Allemagne. Il faut aussi insister sur l'appréciation du partage des risques entre les différents acteurs et les États.

Par ailleurs, tout écart par rapport à l'optimum économique est susceptible d'induire rapidement des coûts qui, pour un pays comme la France, se chiffrent en centaines de milliards d'euros. Les ordres de grandeur, on le voit, sont extrêmement importants. Il faut bien sûr continuer à viser cet optimum, de très nombreux scénarios s'en écartant résolument. Il comportera sans doute une part d'énergie nouvelle et renouvelable. Devant nous, nous avons encore des travaux de développement technologique, de R&D, pour que ces énergies nouvelles et renouvelables pénètrent. Nous avons bien évidemment aussi encore devant nous des travaux de R&D pour améliorer le nucléaire. Le CEA travaille dans ces deux directions.

Le concept d'optimum microéconomique peut être discuté. Reste qu'il est intéressant. La théorie microéconomique standard nous dit que si une énergie s'avère être la plus compétitive en base, il faut remplir toute la base avec cette technologie. L'optimum économique est là. Autrement dit, pour un pays comme la France, où le nucléaire est l'énergie la plus compétitive en base, il faut conserver cette base. Si on la réduit, les compteurs commencent à s'incrémenter, avec des coûts qui se chiffrent en centaines de milliards d'euros.

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