Intervention de Yves Cochet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Yves Cochet :

Depuis l'ouverture de cette audition, les propos des experts que j'ai entendus ne m'étonnent pas, compte tenu de la pression idéologique du nucléaire en France depuis des décennies. Qu'on se souvienne des déclarations grossières de M. Proglio, PDG d'EDF, dans Le Parisien la semaine dernière ! On vient de nous présenter nombre de transparents, des prospectives et des perspectives. Aussi j'espère avoir le temps de développer mes vues, rappelant que nous sommes dans le cadre d'un débat parlementaire, qui se prolongera bientôt par un débat politique dans un contexte électoral. De fait, les acteurs du nucléaire sont très présents depuis longtemps dans le débat parlementaire, mais aussi le débat politique, comme on a pu le constater hier. Et pour ma part, je ne crois pas qu'ils reviennent aux acteurs eux-mêmes de faire la politique énergétique de la France.

S'agissant d'abord du coût, plusieurs facteurs ont été évoqués. Je ne vais pas tous les reprendre, ne disposant pas du temps dont ont disposé les experts. Le coût du nucléaire, estiment-ils, est inférieur à tous les autres. Encore faut-il que la comparaison soit équitable. Or combien valait le coût du kilowatt nucléaire en 1950, au moment où le nucléaire était une industrie émergente, comme c'est le cas aujourd'hui des énergies renouvelables ? Dans les pays de l'OCDE, on observe ainsi que les dépenses publiques de R&D étaient de 60 % pour le nucléaire, 8 % pour l'efficacité énergétique, autant pour les renouvelables. Lorsque, pendant des décennies, vous mettez à disposition 60 % de votre dépense publique de R&D dans le nucléaire, heureusement qu'on constate, 50 ans après, un kilowatt compétitif ! Et pourtant, je ne crois pas qu'il soit compétitif, pour des raisons que j'expliquerai plus tard. D'après le rapport Charpin-Dessus-Pellat, de 2000, l'estimation de l'investissement initial, tout compris, pour ces 58 réacteurs, est de l'ordre de 450 milliards d'euros, valeur 2000. Donnez-moi autant : en 2030, je vous sortirais un coût du kilowattheure photovoltaïque ou éolien tout à fait compétitif. Bref, les comparaisons doivent être équitables, faute de quoi on triche.

Par ailleurs, le coût du kilowattheure intègre-t-il vraiment tous les coûts ? Je ne le crois pas. Reportez-vous au livre magnifique de MM. Dessus et Laponche, En finir avec le nucléaire, auteurs qui sont également experts dans le domaine de l'énergie. Ils expliquent toutes les tricheries et les omissions réalisées pour l'évaluation du coût du nucléaire, s'agissant notamment du démantèlement, de l'assurance et des provisions. Le coût de production est de l'ordre de 4 centimes, contre un coût de 12 à 13 centimes pour les ménages, soit un facteur 3. Ces 4 centimes devaient être augmentés de 6 à 7 centimes, simplement parce que les sommes provisionnées ne couvriront pas les coûts réels de démantèlement, comme le montre des estimations produites en Grande-Bretagne, où l'on est passé du simple au triple, alors que cette dernière est moins nucléarisée que la France. Du temps de M. Roussely, on s'en souvient, il y a eu quelques tricheries sur les manipulations des provisions pour le démantèlement. Mais il est vrai qu'on avait alors voulu faire du Monopoly en matière de gestion.

Mais surtout, le nucléaire ne paye pas ses coûts d'assurance, contrairement à toutes les industries, notamment chimiques. On vient de commémorer le dixième anniversaire de la catastrophe d'AZF à Toulouse. Les gens de Total plaident le fait que leurs usines relèvent des normes Seveso 2, ce qui engendre des coûts d'assurance considérables. Pour le nucléaire, le payeur en dernière instance est l'Etat, soit les contribuables. Quel est aujourd'hui le coût du kilowattheure nucléaire au Japon ? Combien coûtera la partie nucléaire de ce qui se passe à Fukushima ? 30 milliards d'euros ? 100 milliards d'euros ? Une évaluation des coûts futurs s'impose.

Je vous invite donc à lire ce livre, mais aussi les comparaisons énergétiques entre la France et l'Allemagne s'agissant de l'énergie en général, notamment du nucléaire. Bien sûr, lisez le très beau scénario Négawatt, publié le 29 septembre dernier, qui montre qu'on peut sortir du nucléaire vers 2033 en France, à coût constant par rapport au coût du renouvellement. Car vous ne comptez jamais qu'il faut choisir une option énergétique en ce qui concerne l'électricité. Soit il s'agit de sortir du nucléaire dans 25 ou 30 ans, soit de renouveler le parc.

Le parc, dites-vous, était prévu pour 40 ans. A l'origine, il était prévu pour 30 ans, l'ASN se prononçant pour des prolongations de dix ans. Pour l'heure, il n'existe aucun retour d'expérience dans le monde de réacteur nucléaire qui ait duré plus de 47 ans. Pousser jusqu'à 60, voire 80 ans ? Ce sont des spéculations de gens convaincus, du volontarisme industriel, alors qu'on ne dispose d'aucun retour d'expérience.

J'en viens au désapprentissage en marchant et à l'évolution du coût d'investissement nucléaire au cours du temps depuis 1977. A cette date, on comptait 5 000 francs par kilowattheure installé pour le palier de 900 mégawatts. Pour les 900 mégawatts du palier CP2, on comptait 8 000 francs par kilowattheure installé, contre 10 000 francs par kilowattheure installé d'investissement pour le pallier P4. On comptait à peu près 13 000 francs par kilowattheure installé pour le pallier N4, celui des 1 500 mégawatts, et 20 000 francs par kilowattheure installé pour l'EPR. Contrairement à toutes les autres technologies de par le monde, quelles que soient les industries, plus le nucléaire a de l'expérience, plus cher est son coût d'investissement par kilowatt.

S'agissant enfin de l'emploi, les experts nous ont dit que le nucléaire était très bon. Je ne connais pas une étude sérieuse qui montre que le nucléaire, du point de vue de la prodigalité des emplois, est meilleur que l'efficacité, la sobriété et les renouvelables. On le voit bien en Allemagne, qui essaie de sortir du nucléaire. Qui penserait que les Allemands ou les Suisses sont des gens déraisonnables, pris d'une folie « écolo » ? En matière d'emploi, ces pays ont apparemment de meilleurs résultats économiques que les nôtres, M. Sarkozy ayant récemment déclaré qu'il fallait s'inspirer de l'Allemagne, comme M. Fillon.

En matière de création d'emploi, une politique de sortie du nucléaire, vers un triptyque sobriété, efficacité et renouvelables, serait bien meilleure que la politique nucléaire, et ce dans tous les domaines - construction et maintenance. Relisez cette interview scandaleuse de M. Proglio dans Le Parisien de la semaine dernière, son arrogance et ses mensonges éhontés. M. Proglio n'est pas un ingénieur. Il préfère le marketing. Et pourtant, il est à la tête de la plus grande entreprise mondiale de service énergétique. Il y a de quoi être inquiet...

Bref, en matière d'emploi, je ne connais pas d'études sérieuses montrant que le nucléaire est meilleur que le triptyque dont j'ai fait état. J'aurais beaucoup d'autres choses à dire, mais j'ai dû faire preuve de sobriété, alors que les experts ont parlé plus d'une heure et demie. Je vous transmettrai une note qui répond de manière précise aux affirmations mensongères de M. Proglio de la semaine dernière, et aux affirmations des experts.

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