Intervention de Thierry Dujardin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Thierry Dujardin, science et développement, OCDE/AEN :

directeur-adjoint, science et développement, OCDE/AEN. Le GIF regroupe 13 pays, plus précisément 12 pays et la communauté européenne de l'énergie atomique Euratom, qui veulent coopérer en matière de R&D pour développer les systèmes d'énergie nucléaire du futur. Les neuf pays fondateurs ont commencé par définir ensemble des objectifs qu'ils partagent. On en compte deux en matière de développement durable, à savoir la meilleure utilisation des ressources naturelles et la minimisation des déchets ultimes à traiter. On notera qu'il s'agit d'une définition du développement durable différente de celle admise à l'OCDE, qui s'appuie sur les trois piliers de l'économie, de l'environnement et de l'aspect social. Le GIF a choisi de réduire le concept de développement durable à une meilleure utilisation des matières naturelles et la minimisation des déchets.

On compte également deux objectifs économiques, la compétitivité et la minimisation du risque financier, de façon à ce que le risque financier du développement d'un réacteur de génération IV ne soit pas supérieur aux autres risques financiers pris dans le développement d'autres sources énergétiques. Il s'agit d'un défi lorsqu'on sait l'importance du poids capitalistique, induisant des risques financiers majeurs, de l'énergie nucléaire.

On compte également trois objectifs en matière de sûreté et de fiabilité : un, une certaine excellence, deux, une faible probabilité d'accidents graves, et l'absence de nécessité de plan d'urgences externes, de façon à éviter toute conséquence hors site, trois, un objectif de résistance à la prolifération, pour éviter le détournement de matière et améliorer la protection physique.

Les neuf pays fondateurs ont commencé par élaborer une feuille de route technologique, de façon à identifier les systèmes les plus prometteurs. Ils sont partis d'une centaine de systèmes, pour en retenir six. Pour chacun, il s'agit d'identifier les besoins de R&D pour les faire progresser en vue d'une commercialisation éventuelle. Un planning de R&D est inclus dans cette technology world map, avec trois phases : viabilité, performance et démonstration, étant entendu que cette dernière ferait intervenir de l'ingénierie et des industriels.

Les quatre systèmes sont bien connus et vous les trouverez sur mes transparents. Pour des raisons de développement durable, on constate une large majorité de réacteurs à neutrons rapide, à cycle fermé. Il s'agit du SFR, du LFR, qui seront évoqués dans les présentations ultérieures. Le GFR est un réacteur à haute température visant un fonctionnement à 850°, refroidi à l'hélium, avec un combustible carbure et un gainage céramique, avec une boucle secondaire faite d'une turbine à gaz hélium/hydrogène, alimentant un échangeur pour faire de la vapeur et alimenter une turbine classique. Le réacteur à très haute température (VHTR) tend à fonctionner à 1000°, en étant refroidi à l'hélium. Son objectif premier vise à la production d'hydrogène, de façon à ce que l'énergie nucléaire puisse contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports, au travers de l'utilisation de pile à combustible.

Le réacteur refroidi à l'eau supercritique (SCWR), fortement poussé par les Canadiens, vise à un fonctionnement avec de l'eau légère, à haute température, à 600°, en utilisant deux types de concepts, soit une cuve pressurisée, soit avec des tubes sous pression. Le MSR, lui, est un réacteur à sel fondu, dont la caractéristique est d'avoir un combustible nucléaire liquide.

Quelle a été la logique de la sélection pour les pays du GIF ? C'est d'abord l'espoir d'avoir des progrès significatifs dans les huit objectifs déterminés en commun avant cette sélection. C'est d'ouvrir des possibilités d'application différentes de la production d'électricité, en particulier la production d'hydrogène, éventuellement le dessalement ou la production de chaleur industrielle, pour utiliser les sables bitumineux et extraire du pétrole. C'est aussi disposer d'un choix suffisamment varié, de façon à avoir une capacité d'innovation. Un des objectifs du GIF était de viser à des ruptures technologiques, de ne pas rester dans la continuité des technologies actuelles. Les priorités nationales des pays membres ont été prises en compte, avec un calendrier à 2030 ou après, pour un déploiement commercial ou un début de déploiement industriel.

Cela dit, le comportement politique des différents acteurs a modifié cet agencement. Les Canadiens ont estimé que le SCWR était proche des réacteurs à eau légère, suivis par les Japonais, qui pensaient être prêts avec les réacteurs refroidis au sodium. L'administration Bush, qui visait à introduire l'économie de l'hydrogène, voulait un réacteur de génération IV qui produise de l'hydrogène rapidement, d'où le concept de NGNP défendu par le laboratoire d'Idaho. Le précédent Président de la République française a eu l'occasion d'annoncer qu'il voulait un réacteur prototype de génération IV aux alentours de 2020.

De telles démarches ont eu pour conséquence une réduction progressive des ambitions. Le réacteur à haute température est devenu moins haut en température. On a moins d'ambition pour le SCWR, etc. Elles ont impacté l'ambition initiale du GIF, qui entendait créer des ruptures technologiques de long terme.

Comment est organisé le GIF ? Son document fondateur est une charte, qui est une lettre de bonne intention entre pays qui veulent collaborer ensemble. Le GIF n'ayant pas de personnalité morale, n'est pas une organisation internationale. La charte définit les conditions d'accession, prévoit de coopérer au maximum avec ma propre agence et l'AIEA, pour tirer bénéfice de ce que font ces agences internationales. Il ne veut avoir ni budget propre, ni personnel permanent, ni bureaux indépendants. La charte définit sa propre gouvernance, avec un policy group qui est son comité de direction, qui s'appuie sur un groupe d'expérience. Elle a été signée pour dix ans en juillet 2001 par les neuf pays fondateurs, rejoints un par la Suisse, Euratom, la Chine et la Russie un peu plus tard. Elle vient d'être modifiée récemment, de façon à être prorogée pour une période indéterminée.

Comme le nucléaire est un sujet sérieux, les gouvernements ont demandé qu'un accord intergouvernemental cadre couvre l'ensemble de ces activités. Il a été signé en 2005 par cinq pays, puis est entré en vigueur le même jour, sauf pour le Royaume-Uni qui ne l'a pas ratifié. Depuis, la Suisse, la Corée du Sud, Euratom, la Chine, l'Afrique du Sud et la Russie ont accédé à ce traité. L'Argentine et le Brésil, qui avaient signé la charte au début, sont des membres non actifs au sein du GIF, mais gardent la possibilité d'y revenir. Quant au Royaume-Uni, il y participe au travers d'Euratom.

Cet accord cadre prévoit des agents de mise en oeuvre dans chacun des pays signataires, dont vous trouverez la liste dans mes transparents. Chaque pays avait la liberté de définir un ou plusieurs agents de mise en oeuvre.

En matière de gouvernance, un comité de direction s'appuie sur un comité d'industriels de haut niveau venant de chacun des pays du GIF. Pour chacun des six systèmes, un comité pilote l'ensemble des projets identifiés avec de forts besoins de R&D. Trois groupes transverses sont en place, un sur l'économie, un autre sur la résistance à la prolifération et la protection physique, et un troisième sur la sûreté. Ma propre agence fournit des services de secrétariat technique à l'ensemble des groupes techniques du GIF. Nous sommes financés par les pays du GIF, plusieurs pays au sein de mon agence ne voulant pas qu'une partie de leur argent soit détournée pour développer les technologies du futur.

Des arrangements systèmes ont également été définis, qui s'appuient sur un plan de recherche spécifique, lequel définit le fonctionnement d'un comité qui pilotera ces activités. Quatre arrangements système ont d'ores et déjà été signés, les partenaires variant de quatre à huit. Des projets ont été définis. Il s'agit d'engagements contractuels beaucoup plus précis, avec des calendriers, des ressources et des livrables qui traitent de la propriété intellectuelle dans chacun des systèmes.

Qui participe à quoi ? Quatre pays pour le GFR : Euratom, la France, le Japon et la Suisse. Un projet Conceptual Design & Safety sera signé prochainement par les mêmes quatre pays, le Japon ne souhaitant pas y participer. Le GFR devrait aussi bénéficier de recherches dans le cadre du GIF pour tout ce qui relève des composants et des matériaux à haute température, hors coeur.

Le LFR et le MSR sont moins dynamiques dans le cadre du GIF. Aussi n'y a-t-il pas de system arrangement signé par les pays, mais des memorandum of understanding signés par trois pays, dont Euratom, concernant le LFR, et la Russie.

S'agissant des réacteurs refroidis à l'eau supercritique, le Canada est un pays fortement impliqué, avec Euratom, le Japon et la Russie. Deux projets fonctionnent déjà très bien sur les matériaux spécifiques, l'eau supercritique à haute température posant beaucoup de problèmes de corrosion et présentant aussi une thermo-hydraulique très complexe dans certaines phases transitoires.

S'agissant de SFR, plusieurs projets sont en place, sur les combustibles avancés, la Chine et la Russie étant en train de définir leur contribution dans le futur. Le projet GACID vise à fabriquer des aiguilles de combustible avec des actinides mineurs, pour les irradier dans un autre réacteur, et les analyser après radiation. Component Design & Balance of Plant est un projet qui vise à travailler sur l'inspection en service et les méthodes de réparation. Pour le projet Safety & Operation, la Chine, Euratom et la Russie sont en train de définir leur contribution. Un projet doit prochainement démarrer sur l'évaluation globale et le system integration.

Huit pays participent au réacteur à haute température, de même que sur le volet production d'hydrogène et les Cycles, la Chine n'ayant pas encore défini sa contribution. S'agissant du projet sur les matériaux, une question se pose pour la participation de l'Afrique du Sud, le signataire PBMR ayant été dissous. Un projet sur les méthodes de validation devrait démarrer prochainement.

En conclusion, le GIF traduit une prise de conscience partagée par les pays membres de la nécessité de favoriser la renaissance du nucléaire. C'est une ambition très forte de rupture technologique, un cadre international robuste pour développer la R&D nécessaire. Le GIF n'a jamais eu l'ambition d'amener les six systèmes à maturité commerciale ou industrielle. S'il y aura immanquablement une sélection, le GIF a toujours exprimé qu'il ne fallait pas la faire trop tôt. C'est un consensus vers la famille des réacteurs à neutrons rapides avec cycles fermés, mais aussi un objectif de production d'hydrogène à haute température, et un outil qui permet d'amener de jeunes ingénieurs et scientifiques dans le secteur nucléaire, condition sine qua non pour que l'énergie nucléaire de demain soit correctement exploitée, ambition d'un certain nombre de laboratoires internationaux.

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